Gioachino Rossini (1792–1868)
La Cenerentola (1817)
Dramma giocoso in due atti di Jacopo Ferretti d'après Cendrillon de Charles Perrault

Direction musicale : Sándor Károlyi
Mise en scène : Jean-Romain Vesperini
Lumières : Christophe Chaupin
Projections vidéo : Etienne Guiol et Anouar Brissel
Costumes : Anna Maria Heinreich
Merci à Tirelli Costumi, Chaussures Maison Pompei e ViBi Venezia.

Angelina – “Cenerentola”: Svetlina Stoyanova
Don Ramiro : Josh Lovell
Dandini : Gurgen Baveyan
Don Magnifico : Daniel Mirosław
Tisbe : Monreal Marvic
Clorinda : Giorgia Paci
Alidoro : Blaise Malaba

Chœur : Luis Aguilar, Daniel Barrett, Archie Buchanan, Ross Fettes, Matthew McKinney, Gonzalo Antonio Godoy Sepúlveda, Bekir Serbest, Kyle Patrick Sullivan
Figuration : Antonio Mandrillo, Roberto Maietta, Hazar Mürşitpınar, Rebecca Barry, Alexandra Lowe, Paweł Trojak

Orchestra Senzaspine
 –
Responsable de la musique : Julia Lynch
Directeur du Mascarade Opera Studio : Ralph Strehle
Répétiteurs : Henry Websdale e Kristina Yorgova
Chef d'orchestre : Ben Kearsley

Florence, Jardins Boboli, 26 et 27 août. New Generation Festival

ReGeneration Festival : face à la pandémie, c’est ainsi que s’est rebaptisé le New Generation Festival de Florence, pour sa quatrième édition. Au programme, cette année, La Cenerentola de Rossini dans une mise en scène très « music-hall » signée Jean-Romain Vesperini, et un concert symphonique dirigé par Daniele Rustioni, sans oublier bien d’autres réjouissances, tantôt dans les jardins du Palais Pitti, tantôt au Palazzo Corsini.

Le dispositif

Depuis 2017, Florence accueille, dans les jardins du Palazzo Corsini, le New Generation Festival. Fondée par trois Britanniques – Maximilian Fane, Roger Granville et Frankie Parham –, cette manifestation propose pendant quelques jours de la fin du mois d’août concerts classiques et représentations d’opéra, mais avec aussi une ouverture sur le jazz, sans oublier le théâtre. Et comme son nom l’indique, l’objectif est de permettre à une « nouvelle génération » d’artistes de s’exprimer, en donnant la priorité aux moins de 30 ans. En 2017, Donizetti avait été mis à l’honneur avec L’Elisir d’amore, après quoi le NGF s’était fait mozartien : en 2018, Don Giovanni, en 2019 Le nozze di Figaro. On aurait donc pu s’attendre à ce que des représentations de Così fan tutte viennent conclure cette trilogie Da Ponte bien entamée, mais il en a été décidé autrement.

En cette année de tous les bouleversements, Il est déjà assez réjouissant que le festival ait pu être maintenu. Pour exister, l’édition 2020 a dû cependant sortir de son cadre habituel : adieu au palais Corsini (sauf pour les concerts de midi), bienvenue au palais Pitti. Depuis quelques jours, les jardins Boboli sont fermés au public pour cause de répétitions dans le « Teatro delle Colonne », structure temporaire installée dans ce qui est d’ordinaire le Prato delle colonne, à la pointe sud du jardin. Compte tenu des règles de distanciation sociale, c’est seulement dans ce vaste espace qu’il était possible de réunir un public raisonnablement nombreux – les chaises sont placées à un mètre les unes des autres –, l’orchestre étant lui aussi disposée de manière très aérée, et les chanteurs sur scène évitant plus ou moins les contacts trop rapprochés (sans aller toutefois jusqu’à la sévérité du procédé mis en place à Madrid pour les récentes représentations de Traviata).

C’est donc à l’ombre du Palais Pitti que se déroule cette fois la manifestation, avec accueil en musique dès 19h dans la cour d’Ammanati, puis avant-concert à 19h30 devant l’orangerie (ou plutôt la « citronnerie », ainsi qu’elle est désignée). Et à 20h, le public jusque-là debout et déambulant et invité à aller s’asseoir pour la représentation ou le grand concert.

Gurgen Baveyan (Dandini)

En ce premier soir, mercredi 26 août, Rossini fait son entrée au New Generation Festival avec Cenerentola. Retour au XIXe siècle après deux années mozartiennes, mais sans quitter le répertoire italien ; malgré une présence britannique assez forte (et très logique, compte tenu de la nationalité des organisateurs), on peut supposer que les spectateurs italiens apprécient de voir jouer des œuvres dans leur langue. Quant aux compositeurs choisis, ils permettent de ne pas surexposer ces jeunes talents sur lesquels mise le festival, en programmant des œuvres susceptibles de mettre les voix à trop rude épreuve.

Pour ce Rossini, c’est à une équipe artistique français qu’il a été fait appel, puisque la mise en scène est confiée à Jean-Romain Vesperini, dont on croit savoir qu’il devrait prochainement faire ses premiers pas dans un illustre festival italien où Rossini est roi. Cette production situe Cenerentola dans un XVIIIe siècle de conte de fées, et sans jamais basculer dans la pitrerie, il ne refuse pas le côté comique de l’œuvre, comme d’autres l’ont parfois tenté. Plus précisément, Jean-Romain Vesperini a le courage de faire ce que certains de ses confrères confrontés à Rossini se résignent à pratiquer de manière seulement très occasionnelle : même dans des mises en scène globalement « réalistes », il arrive bien souvent que les personnages se mettent à esquisser quelques pas de danse, simplement parce que le rythme de la musique semble y convier irrésistiblement. Cette fois, ce côté dansant est assumé d’emblée, avec un résultat bien plus cohérent. On comprend très vite que le conte aura un petit air de music-hall, comme le résume l’omniprésence d’un accessoire caractéristique de ce type de spectacle : le grand éventail de plumes. Dans la mesure où la production a dû être conçue plusieurs mois en amont, il ne saurait s’agir d’un hommage à Zizi Jeanmaire récemment disparue, mais on n’est ici pas loin du « truc en plumes » célébré par une chanson restée fameuse. Non seulement les deux méchantes sœurs de l’héroïne manipulent constamment leur éventail de plumes, mais tout le chœur en fait autant : les huit chanteurs qui le composent en sont tous munis et s’en servent pour entourer les protagonistes, dans la meilleure tradition des numéros de revue. Clorinda et Tisbé dansent autour de Don Magnifico dès son premier air, chorus-girls le plus souvent ridicules, Ramiro et Dandini dansent, leurs pas lorgnant parfois du côté de Bollywood, seuls Cenerentola et Alidoro échappant à la chorégraphie générale. Les costumes d’Anna Maria Heinreich accentuent aussi la référence au music-hall, surtout avec le chœur et ses perruques Louis XIV mais aux couleurs acidulées, assorties à leurs chaussures.

Daniel Mirosław (Don Magnifico)

Alors qu’on se demande d’abord pourquoi la représentation ne se déroule pas devant l’une des façades du palais (mais on aurait alors un décor unique, et rien ne montrerait l’opposition entre la demeure décrépite de Don Magnifico et la splendeur du palais princier), alors que l’on s’étonne pendant l’ouverture de voir le décor sobrement limité à un grand mur nu devant lequel deux pièces plus petites permettront entrées et sorties, tout change dès que les chanteurs apparaissent. Tout repose en effet sur les vidéos particulièrement inspirées d’Etienne Guiol et Anouar Brissel, qui nous transportent tantôt à l’intérieur, tantôt à l’extérieur de la résidence de Magnifico, puis chez le prince, parfois dans un immense jardin d’hiver aux colonnes corinthiennes, parfois dans la Galerie des Glaces. Et ces somptueuses projections s’animent de réjouissantes images supplémentaires, fleurs, anges, ou bêtes, comme pour le premier air de Magnifico, où l’âne vu en rêve vient dominer le mur du fond.

Marvic Monreal (Tisbé), Blaise Malaba (Alidoro), Svetlina Stoyanova (Angelina), Gurgen Baveyan (Dandini) Josh Lovell (Ramiro), Daniel Miroslaw (Don Magnifico), Giorgia Paci (Clorinda)

Parmi les sept protagonistes, Alidoro est ici le plus discret, sage précepteur bien plus que magicien. Le Congolais Blaise Malaba possède de solides atouts, avec une voix de basse bien timbrée. Il lui reste peut-être encore à se familiariser davantage avec la langue italienne, car son articulation gagnerait à devenir à la fois plus ferme et plus déliée ; c’est peut-être la raison pour laquelle son air a été coupé. Les deux méchantes sœurs brûlent les planches comme danseuses, et c’est en grande partie sur elles que reposent les effets comiques du spectacle, mais on les remarque aussi comme chanteuses, qu’il s’agisse de la soprano Giorgia Paci ou de la mezzo maltaise Marvic Monreal, à la voix opulente. Comique, Dandini l’est aussi, qui fait son entrée princière transformé en statue équestre, après quoi il gardera la tenue d’empereur romain chère à Louis XIV, avec cuirasse et tonnelets ; Gurgen Baveyan s’y montre très à l’aise, même si l’on peut regretter un léger déficit sonore dans les notes les plus graves de sa tessiture. A l’inverse, on entend rarement Don Magnifico aussi en voix que Daniel Mirosław : avec un tel organe, on est évidemment à cent lieues des barytons sur le retour auquel le rôle est parfois attribué (et c’est d’une véritable voix de contre-ténor qu’il chante le falsetto prévu dans son dernier air). On pourrait estimer que l’on y perd en comique, mais après tout, Magnifico est un « âne solennel », un vaniteux, plus que le vieillard dépassé par les événements que l’on voit parfois, et il ne suffit pas de parler pour interpréter les trois airs que Rossini lui a confiés. Grand succès pour le ténor canadien Josh Lovell, dont le deuxième acte permet de découvrir l’aisance dans le suraigu, indispensable pour Don Ramiro. Quant à Svetlina Stoyanova, elle possède les qualités physiques et vocales d’une Cenerentola : gracieuse et menue, sa voix a l’agilité voulue, l’ambitus nécessaire, et surtout elle évite les couleurs trop sombres qui feraient de l’héroïne une matrone avant l’heure.

A la tête de l’Orchestra Senzaspine, Sándor Károlyi choisit lui aussi, en harmonie avec le spectacle, de ne pas en rajouter dans le côté bouffe de la musique. L’ouverture montre que c’est un Rossini post-mozartien que l’on entendra, spirituel plutôt que loufoque, ce qui n’enlève rien aux effets voulus par le compositeur, qui emportent toute l’adhésion de l’auditeur.

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Laurent Bury
Ancien élève de l’ENS de la rue d’Ulm, auteur d’une thèse consacrée au romancier britannique Anthony Trollope (1815–1882), Laurent Bury est Professeur de langue et littérature anglaise à l’université Lumière – Lyon 2. Depuis un quart de siècle, il a traduit de nombreux ouvrages de l’anglais vers le français (Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Orgueil et préjugés de Jane Austen, Voyage avec un âne dans les Cévennes de Stevenson, etc.) ; dans le domaine musical, on lui doit la version française du livre de Wayne Koestenbaum, The Queen’s Throat, publié en 2019 par les éditions de la Philharmonie de Paris sous le titre Anatomie de la folle lyrique. De 2011 à 2019, il fut rédacteur en chef adjoint du site forumopera.com, puis rédacteur en chef de novembre 2019 à avril 2020. Il écrit désormais des comptes rendus pour plusieurs sites spécialisés, dont Première Loge.

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