Programme

François Saint-Yves
A Nanna, six berceuses corses harmonisées pour six chanteuses

Lucia Ronchetti
Sangu di rosa

Jérôme Casalonga
Nanna di mondu

Henri Tomasi
« Eju filava la mia rocca »,
« O lu nostru merre di Corte »,
« Ninina », « U merre pastore »,
« O pescator dell’onda »

Sequenza 9.3
Direction : Catherine Simonpietri

Bagnolet, parc Jean Moulin Les Guilands, vendredi 10 juillet, 18h

L’ensemble vocal Sequenza 9.3 investit durant le mois de juillet des parcs de région parisienne afin de présenter au public un programme consacré à la musique corse, et notamment aux berceuses. Le répertoire traditionnel est revisité par des compositeurs contemporains qui rendent hommage à une musique de tradition orale, et à des formes de chant réservées aux femmes et généralement méconnues du grand public. Six chanteuses se confrontent à ce répertoire et à la complexité du chant a capella sous la direction de Catherine Simonpietri, soumises aux règles de distanciation sociale mais profitant de l’ambiance particulière des concerts en extérieur.

C’est en plein air que l’ensemble vocal Sequenza 9.3 reprend sa saison de concerts, avec le projet « Jardins, berceaux de culture » qui investira plusieurs parcs de la région parisienne tout au long de l’été, et dont la première représentation avait lieu ce 10 juillet dans le parc Jean Moulin Les Guilands de Bagnolet.

Créé en 1998, Sequenza 9.3 a l’habitude de surprendre par sa programmation éclectique et accorde une grande part de son travail à la création contemporaine, ayant collaboré avec des compositeurs tels qu’Esa-Pekka Salonen, Thierry Escaich, Philippe Hersant ou encore Alexandre Gasparov. L’originalité de « Jardins, berceaux de culture » est ainsi de mêler des pièces contemporaines signées Lucia Ronchetti et Jérôme Casalonga (commandées par Sequenza 9.3), et un répertoire corse plus traditionnel à travers six berceuses et quelques pièces d’Henri Tomasi, le tout a capella.

Aux conditions un peu particulières de la distanciation physique entre les six chanteuses et parmi les spectateurs s’ajoutent les conditions propres au plein air : les bruits de la ville, le chant des oiseaux, le vent qui menace les pupitres et les partitions, et la vie urbaine qui suit son cours ; le concert a également été sonorisé pour y faire face. On se laisse malgré tout facilement plonger dans A Nanna, six berceuses corses harmonisées par François Saint-Yves : chacune d’entre elle est d’abord chantée par une voix soliste, comme pour réitérer le geste de la mère chantant pour son enfant, avant de se déployer de manière polyphonique. On apprécie tout particulièrement la variété de ces pièces car si les berceuses partagent une forme de douceur, certaines se parent d’une couleur orientalisante (« Nanna di u dilà da di monti »), d’autres d’une atmosphère plus religieuse (« Tra lu Boie è lu sumere »), d’autres encore sont plus dansantes (« Ninni Nanna (O La Richezza) »). Le travail d’harmonisation parvient à donner une belle cohérence à chaque berceuse, et on apprécie que les voix soient mises en valeur également de manière individuelle. Le choix de six chanteuses aux timbres différents et facilement reconnaissables favorise le dialogue entre les voix et ramène une forme de subjectivité et d’individualité au sein de l’ensemble vocal.

Ces berceuses sont suivies de la création de Sangu di rosa de la compositrice Lucia Ronchetti, qui s’inspire des voceri corses, les chants funèbres interprétés par les femmes lors d’un décès. Les voceratrice improvisent un chant qui retrace la vie du défunt, lui dit adieu, et s’adresse directement à la mort en lui reprochant la perte d’un être cher. Le voceru est donc une forme musicale profondément ancrée dans la vie sociale et familiale corse, que Lucia Ronchetti extrait de son contexte habituel. Sangu di rosa est une évocation du deuil où la compositrice superpose les plans sonores, joue des timbres, et construit une atmosphère très intense dans laquelle la lamentation se déploie. Malgré la force du sujet, et à défaut de comprendre le texte, on peut donc retenir la dimension impressionniste de cette pièce, où les voix graves se révèlent de manière assez saisissante.

La création pour six voix de femmes de Jérôme Casalonga, Nanna di mondu, a davantage de mal à retenir l’attention, bien qu’on perçoive un travail poussé sur les couleurs et l’évocation d’un paysage (héritage peut-être de la carrière d’artiste plasticien et de scénographe du compositeur, avant qu’il ne se consacre à la musique) ; mais on retrouve avec les mélodies d’Henri Tomasi (« Eju filava la mia rocca », « O lu nostru merre di Corte », « Ninina », « U merre pastore », « O pescator dell’onda ») des sonorités plus familières.

Les chanteuses de l’ensemble Sequenza 9.3 démontrent en tout cas durant tout le concert une qualité d’écoute remarquable, et déjouent les difficultés de la musique a capella, notamment en ce qui concerne l’intonation. Même sans comprendre le sens des paroles, l’auditeur peut déterminer un affect dominant pour chaque pièce, et l’on aimerait les entendre non sonorisées, en intérieur et dans un cadre plus intimiste afin d’en saisir davantage les détails ainsi que la qualité des voix. On constate également l’efficacité de la direction de Catherine Simonpietri qui donne de l’allant aux pièces du programme et ne les laisse jamais, y compris les berceuses, tomber dans la léthargie ou l’appesantissement. Autre atout de la cheffe de chœur : sa capacité à fédérer les chanteuses, pourtant distanciées les unes des autres, pour retrouver une impression de collectif malgré des règles sanitaires qui ne l’encouragent pas.

En plus des qualités musicales du programme, on apprécie qu’il mette en lumière la musique corse chantée par les femmes alors qu’on connaît généralement plutôt les polyphonies masculines. Les berceuses et les voceri sont, on le voit, des formes de l’ordre de l’intime et du cercle familial qui n’ont pas nécessairement vocation à en sortir ; ce sont également des musiques de tradition orale, qui se transmettent de génération en génération par le chant et non par écrit ; mais le travail réalisé par François Saint-Yves et Lucia Ronchetti, en les transformant et en les déployant, leur rend hommage.

 

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Claire-Marie Caussin
Après des études de lettres et histoire de l’art, Claire-Marie Caussin intègre l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales où elle étudie la musicologie et se spécialise dans les rapports entre forme musicale et philosophie des passions dans l’opéra au XVIIIème siècle. Elle rédige un mémoire intitulé Les Noces de Figaro et Don Giovanni : approches dramaturgiques de la violence où elle propose une lecture mêlant musicologie, philosophie, sociologie et dramaturgie de ces œuvres majeures du répertoire. Tout en poursuivant un cursus de chant lyrique dans un conservatoire parisien, Claire-Marie Caussin fait ses premières armes en tant que critique musical sur le site Forum Opéra dont elle sera rédactrice en chef adjointe de novembre 2019 à avril 2020, avant de rejoindre le site Wanderer.

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