Programme :

L.v.Beethoven (1770–1827)

– Symphonie n.º 6, en fa majeur, op. 68, “Pastorale”
Ah ! Perfido, scène et air pour soprano et orchestre, op. 65
Gloria de la Messe en ut majeur op. 86
– Concerto pour piano et orchestre n.º 4, en sol majeur op. 58
– Symphonie n.º 5, en ut mineur, op. 67
Sanctus (et Benedictus) de la Messe en ut majeur, op. 86
– Fantaisie pour piano, chœur et orchestre, en ut mineur, op. 80

Katarina Karnéus, mezzosoprano
Kristian Bezuidenhout, Hammerflügel
Balthasar-Neumann-Chor und ‑Solisten
Balthasar-Neumann-Ensemble
Thomas Hengelbrock, direction musicale

Dorrmund, Konzerthaus, Vendredi 7 février 2020

Les célébrations du deux cent cinquantième anniversaire de la naissance de Beethoven se sont accélérées dans cette première partie de l'année, et entre autres événements de grand intérêt, on a eu la possibilité d'assister à une session marathon comme celle qu’a proposé le remuant Thomas Hengelbrock, rien moins que le programme complet du mythique Akademiekonzert du 22 décembre 1808 à Vienne, où presque toutes les compositions proposées ont été créées, une des dates les plus mémorables de l'histoire de la musique.

 

 

Thomas Hengelbrock

On ne va pas à un concert de Thomas Hengelbrock pour se lover confortablement dans ce que l'on connaît déjà, pour confirmer ses habitudes d'écoute, pour se réconforter dans la beauté du son comme une fin en soi. Héritier spirituel évident d'Harnoncourt, pour sa curiosité face à la partition, pour le caractère radical des solutions qu'il ose adopter, mais aussi pour le talent pur, la fantaisie et la passion dont il fait preuve dans sa pratique, Hengelbrock se construit peu à peu une carrière loin des grands projecteurs, mais d'une qualité et d'un intérêt exceptionnels.
Face aux grands monolithes beethoveniens, il s'avère non seulement indemne mais aussi capable d'apporter une vision qui lui est propre et fascinante de ces partitions cardinales. La disposition des instruments est frappante dès le début, les violons et les altos se tenant de part et d'autre du chef d'orchestre, et les bois au premier rang lui faisant face, tandis que les contrebasses sont en arrière-plan, comme celles des Wiener Philharmoniker au Musikverein. On pourrait penser qu'il s'agit de privilégier les sonorités des bois, mais il suffit de fermer brièvement les yeux pendant l'Allegro ma non troppo initial de la Pastorale pour constater que le paysage sonore est d'une rare plénitude et d'une rare douceur, les parties solistes jaillissant du magma de l'ensemble avec une douceur idyllique. Oui, les textures sont celles d'un ensemble d'instruments originaux, les tempi sont rapides ou plus précisément fluides et la masse sonore est transparente, mais cette Pastorale ne renonce pas à la profondeur dans l'expression des sentiments et ne se limite pas à la surface des formes galantes du XVIIIe siècle. La virtuosité collective des musiciens est évidente tout au long de l'œuvre, et surtout dans une Tempête résolue avec des tempi vertigineux et une précision rare.

Avec l'air de concert Ah perfido, la mezzo Katarina Karnéus fait une apparition unique en cette soirée, se confrontant à la page avec une intensité et une intégrité admirables, sachant jouer avec les couleurs avec une diction claire et incisive pour donner à la musique le drame et l'incandescence nécessaires. Sans aucune solution de continuité (le maestro ne laisse pratiquement pas le temps d'applaudir entre deux compositions), le chœur éclate sur scène, et avec lui un niveau d'excellence musicale nouveau est atteint, car si l'orchestre formé par Hengelbrock est admirable, on comprend immédiatement que le véritable joyau de sa formation est ce chœur, d'une diction, d’une plénitude et d'une puissance tout simplement exceptionnelles, qui donne au Gloria de l'op. 86 tant attendu une qualité imposante et en même temps extraordinairement raffinée. La merveilleuse première partie se termine par le Concerto pour piano en sol majeur, qui est interprété sur un instrument d'époque par Kristian Bezuidenhout. Ces sons se situent à mi-chemin entre ceux du clavecin du XVIIIe siècle et ceux du grand piano à queue, mais sont sans doute plus proches de ceux du second, sans la densité, la profondeur et la personnalité du premier, ce qui n'est pas déraisonnable pour dire qu'il nous met presque face à face avec une nouvelle composition, à tel point que le caractère même de la musique s'en trouve transformé, et qu'elle prend ici un ton encore plus intime et confidentiel, musique de salon ou de chambre, typique d'une époque lointaine, étrangère à l'épique, au grandiose et à l'héroïque Beethoven que nous avons appris à aimer. Aucun reproche n'est possible pour diriger la performance technique du soliste, doué d’une agilité et d’une précision prodigieuses, et dans la cadence du premier mouvement, Allegro moderato, il parvient à transcender les limites de son instrument pour atteindre l'expression extatique et sublime qui est typique de ces rythmes, pas autant dans le deuxième mouvement, Andante con moto où il reste à la surface, légèreté dans laquelle il se maintient pendant le troisième mouvement, Rondo. Une affaire de goût, mais comme il a déjà été souligné, on ne va pas à un tel concert simplement pour réécouter ce que l'on savait déjà.

Après l'entracte, l'attaque fulgurante de la Cinquième est le début spectaculaire d'une performance qui entérine la relation directe de Hengelbrock avec Harnoncourt, dont je me souviendrai toujours d'une version haletante de cette même œuvre avec les Berliner Philharmoniker (heureusement disponible dans la Digital Concert Hall du site des Berliner), dont on a pu déceler bien des traces. Puissamment dramatique, Hengelbrock installe l’incandescence dans le célébrissime Allegro con brio, les phrases du hautbois solo contrastant fortement (peut-être avec un peu d’emphase) avec le tourbillon dans lequel elles circulent. L'Andante con moto s'écoule de manière vivante, l’aspect grandiose de la musique venant davantage de la nature du discours lui-même que de son mode d'énonciation. Le Scherzo, avec des échos de Cherubini, est filiforme et expressif dans un style opératique, laissant place au formidable Allegro final, exécuté sans filet de sécurité, avec une passion admirablement combinée à une extrême habileté dans son exécution, d'une manière que seuls les grands musiciens sont capables de donner. Et l'enthousiasme du public, que le chef d'orchestre avait plus ou moins réussi à contenir jusqu'alors, se déchaîne de façon irrépressible, car la musique de Beethoven possède comme nulle autre la capacité d'interroger et de secouer l'auditeur, pris individuellement et aussi collectivement. Après cette apothéose, la soirée est encore loin d'être terminée, car le chœur n'a pas encore donné une nouvelle démonstration de son excellence dans le Sanctus et le Benedictus de la Messe en fa majeur, confirmant ainsi les qualités exceptionnelles déjà appréciées. Et le programme, maintenant oui, se termine avec la spectaculaire Fantaisie en ut mineur. Beethoven a transcendé toutes les formes consacrées, toutes les conventions, toutes les doxas. Son travail obéit aux impulsions de son esprit, aux besoins de ce qu'il a voulu exprimer. Le début pour le piano solo est impressionnant, avec une musique d'une énorme exigence virtuose et d'une force expressive imposante, à laquelle s'ajoutera après un impressionnant parcours l'orchestre, une composition soliste transformée en concertante, et enfin en hymne avec l'irruption du chœur pour énoncer un message explicite de la même manière que dans la Neuvième. Enfin, les admirables qualités d'interprétation affichées tout au long de l'imposant programme s'expriment une fois de plus, se concluant dans une atmosphère d'exaltation comme il se doit. Cependant, pour correspondre à l'enthousiasme du public, il reste encore de l'énergie à l'orchestre et au chœur pour interpréter de manière jubilatoire un bis triomphal.

Thomas Hengelbrock, Balthasar-Neumann-Ensemble u.Chor

 

Avatar photo
Antoine Lernez
Antoine Lernez aux lointaines origines hispaniques et très lié aux cultures latinoaméricaines, est juriste, spécialisé en droit international. Il parcourt donc le monde, et tel un autre Wanderer, il s’arrête quelquefois là où il y a un opéra, ce qui en fait un des meilleurs et des plus fins connaisseurs de l’art lyrique. Quelquefois, quand l’occasion fait le larron, il fait profiter Wanderersite.com de sa science par des articles fouillés.
Crédits photo : © Pascal Rest 
© Florence Grandidier (Portrait Thomas Hengelbrock)
Article précédentLe Lien
Article suivantOrphée revisité

Autres articles

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire !
S'il vous plaît entrez votre nom ici