Richard Wagner (1813–1883)
Parsifal (1882)
Bühnenweihfestspiel in drei Akten
(Festival scénique sacré en trois actes
Livret du compositeur

Direction musicale : Marko Letonja

Mise en scène : Amon Miyamoto

Décors : Boris Kudlicka
Costumes : Kaspar Glarner
Lumières : Felice Ross
Vidéos : Bartek Macias

Parsifal : Thomas Blondelle
Kundry : Christianne Stotijn
Amfortas : Markus Marquardt
Gurnemanz : Ante Jerkunica
Klingsor : Simon Bailey
Titurel : Konstantin Gorny

Chevaliers du Graal : Moritz Kallenberg, Gautier Joubert
Ecuyers : Tristan Blanchet, Thomas Kiechle, Claire Péron, Michaela Schneider
Filles fleurs : Marta Bauza, Julie Goussot, Claire Péron, Michaela Schneider, Francesca Sorteni, Anaïs Yvoz

Une voix : Michaela Schneider

Chœur de l'Opéra national du Rhin / Chœur de l'Opéra de Dijon, Les Petits Chanteurs de Strabourg / Maitrise de l'Opéra national du Rhin

Orchestre de l'Opéra national du Rhin

26 janvier 2020 à l'Opéra National du Rhin à Strasbourg

Pas moins de trois salles européennes montent la même saison, le même jour à la même heure une nouvelle production du dernier opéra de Richard Wagner : L’Opéra du Rhin à Strasbourg, le Théâtre du Capitole à Toulouse et le Teatro Massimo de Palerme. Cette abondance de Parsifal ne nuit pas à Wanderer qui proposera dans les prochains jours une recension détaillée de ces trois productions fort différentes. Palerme a inauguré la série, c’est désormais à l’Opéra du Rhin de poursuivre, avec un Parsifal signé Amon Miyamoto. Inégale par ses enjeux et ses moyens, cette production peine à séduire sur la durée, malgré des intentions sans doute trop nombreuses pour fonctionner sans se chevaucher. Le plateau offre de belles révélations, tandis que Marko Letonja  conduit d’un geste très sûr et très sobre, une fosse qui ne démérite pas.

Ante Jerkunica (Gurnemanz), Tristan Blanchet, Thomas Kiechle, Claire Péron, Michaela Schneider (Ecuyers) © Klara Beck

Nous avions découvert Amon Miyamoto avec le très rare Pavillon d’Or de Toshiro Mayuzumi, monté lors du festival Arsmondo organisé à Strasbourg par la regrettée Eva Kleinitz. La dimension culturelle japonaise et la curiosité d’entendre pour la première fois en France un ouvrage composé dans les années 1970, avait participé à une impression d’ensemble positive. En lui confiant Parsifal, Eva Kleinitz souhaitait explorer une dimension spirituelle qui fasse jouer entre elles des frontières culturelles qui n’ont apparemment que peu à voir – sauf à considérer les esquisses des Vainqueurs, projet inabouti que Wagner voulait consacrer à la vie de Bouddha.

Amon Miyamoto a de toute évidence, voulu confronter le matériau catholique (voire carrément sulpicien) avec une spiritualité orientale mâtinée d’universalisme. On sent dès le lever de rideau combien l’afflux de références devient très vite boulimie ; le vaisseau est lourdement lesté et peine à flotter librement vers sa destination. Tout se joue sans surprise dès le prélude,  avec une scène muette au cours de laquelle on voit Herzeleide, la mère de Parsifal, passer du prie-Dieu à la nudité du divan masturbatoire, surprise par son adolescent de fils qui ne trouve rien d’autre que de briser le cou du cygne en plâtre trônant dans le salon pour s’en servir contre sa mère. Cet écho se double de la vision subreptice du suicide du père par seppuku. Le rideau se lève ensuite sur le décor tournant de Boris Kudlicka montrant les différents espaces d’un musée qui consacre une vaste exposition à « l’Humanité ». Dans Parsifal, "le Temps devient Espace", ce qui nous vaut un voyage en forme de visite entre Vénus de Willendorf et peintures abstraites, en passant par représentation grandeur nature de la chaîne de l'évolution qui relie le primate à l'homo sapiens.

La présence récurrente d'un singe-trublion signale cette part d'humanité incomplète (et donc immature) qui fait du chaste fol, un voyageur un peu perdu dans cette histoire à tiroirs. Miyamoto joue sur l'effet de décalage qui consiste à montrer à travers des images une sorte de spiritualité en forme d'énigme non dénuée d'humour. On croise la mère de Parsifal en gardienne de musée, Klingsor en agent de sécurité et le reste des chevaliers dans les espaces de stockage, dissimulés des regards des visiteurs. La cérémonie du Graal se déroule dans ce sous-sol mystérieux où les restaurateurs se muent en officiants, procédant à une saignée sur Amfortas afin d'abreuver une troupe insolite de guerriers venus de toutes les époques et de toutes les contrées. Si le geste a déjà été vu sur plusieurs scène (et récemment à Bayreuth dans la mise en scène Laufenberg), l'effet semble ici amoindri par l'afflux de correspondances et de sens auquel il renvoie. Les chevaliers n'ont qu'une médiévalité partielle ; on voit parmi eux des combattants des deux guerres mondiales, un samouraï, des grognards de la Grande Armée ou d'autres soldats issus d'époques et de régimes politiques divers. Impossible de se défaire de cette impression de personnages qui seraient sortis de leurs tableaux ou de statues soudain animées de mouvement.

Ante Jerkunica (Gurnemanz), Markus Marquardt (Amfortas) © Klara Beck

Miyamoto connaît l'iconographie wagnérienne sur le bout des doigts – au point de nous servir un catalogue illustré des Parsifal à la mode christique façon Wieland Wagner. L'incongruité liée à la présence des nombreux tableaux de crucifixion et du Saint-Suaire déplace l'action du côté de l'onirisme et du symbolique. On juxtapose ici des artefacts hypermodernes comme par exemple les écrans de contrôle et les caméras de surveillance dans les couloirs du musée, avec d'autres éléments plus conventionnels qui produisent des effets chromos appuyés (les vêtements amples, les barbes et les épées). Ce Festival d'art sacré (Bühnenweihfestspiele) devient soudain une vaste galerie où défilent au débotté le fantôme de Kundry sous la forme d'un ange suspendu dans les cintres, ou bien un Titurel passant du statut de grand brûlé à celui de cadavre en putréfaction.

Que devient Parsifal dans ce cabinet de curiosités ? La lance a perdu une dimension symbolique qu'elle ne retrouve qu'à la toute fin du second acte, au prix d'une manipulation qui voit le figurant adolescent transpercé par Klingsor au moment où Parsifal doit se saisir de cette relique sacrée. On retrouve ce double adolescent dans la dernière scène, ressuscité par la lance après qu'elle eut servi à guérir Amfortas de sa blessure. De la même manière, Kundry n'occupe pas la dimension ambivalente qu'on lui attribue d'ordinaire. Elle n'est pas directement associée à l'image maternelle, tout juste à une forme de désir très explicite où elle trône au milieu de filles fleurs multicolores et monotones, avec une chrysalide entrouverte comme symbole évident de la féminité. Ni les vidéos montrant un voyage intersidéral avec des effets de zooms sur la terre, ni les décors sempiternellement reliés à la thématique abstraite/réelle du musée, ne permettent de situer cette production dans une catégorie clairement définie. On alterne entre modernité des nombreux moyens techniques et sémantiques et extrême classicisme des références qui, malgré le travail de réflexion et de mise en œuvre, n'évoquent en définitive rien de plus qu'une lecture fidèle et confortable du chef d'œuvre de Wagner.

Thomas Blondelle (Parsifal), Marta Bauza, Julie Goussot, Claire Péron, Michaela Schneider, Francesca Sorteni, Anaïs Yvoz (Filles fleurs) © Klara Beck

Le plateau est dominé par la prestation magistrale d’Ante Jerkunica qui signe en Gurnemanz une incarnation de toute beauté. L'enchantement du Vendredi Saint trouve ici un interprète à la dimension du rôle, avec un registre grave d'une densité remarquable et une ligne impeccablement projetée d'un bout à l'autre. L'Amfortas de Markus Marquardt n'a pas la couleur et la projection qui lui permettrait de renvoyer à une épaisseur moins explicitement doloriste et souffreteuse. Le timbre est sec et ne parvient jamais à rivaliser avec les moyens de son éminent collègue gardien du Graal. En petite forme également, Christianne Stotjin se heurte à un rôle de Kundry qui la dépasse à de nombreuses reprises dans le II, au moment où la séductrice se mue en personnage protecteur (ich sah das Kind). Le Parsifal de Thomas Blondelle en étonnera plus d'un, en particulier par un engagement et une urgence de tous le instants, qui tire l'adolescent jeune chien fou du côté du Heldentenor un brin hiératique dans l'ultime Nur eine Waffe taugt. Konstantin Gorny est un Titurel remarquable de puissance et de caractérisation, tandis que le Klingsor de Simon Bailey fait les frais d'une émission en demi-teinte dans la nécessité de camper un personnage sardonique et venimeux. Les rôles secondaires bénéficient de l'excellence des artistes de l’Opéra Studio et les chœurs de l'Opéra National du Rhin sont renforcés pour l'occasion par les forces vives du Chœur de l’Opéra de Dijon. L'espace sonore n'a pas la résonance naturelle qui permettrait de jouer sur des effets de diffraction et de plans, ce qui conduit à des options mitigées comme par exemple la diffusion de cloches enregistrées et certains chœurs placés en coulisses.

Marko Letonja dirige un Philharmonique de Strasbourg un peu à l'étroit dans une fosse qui contraint à des ajustements et des réductions de pupitres. Sa lecture est d'une rigueur absolument remarquable, refusant de confier à des effets superflus, l'essentiel d'un message avant tout porté sur la magnificence et le génie du son wagnérien. Les tempi sont retenus sans s'appesantir outre mesure, avec un refus de grandiloquence qui permet d'apprécier des pages difficiles comme les musiques de transition ou les deux scènes du Graal comme de purs moments de contemplation où le religieux cède à la beauté symphonique.

Thomas Blondelle (Parsifal) © Klara Beck

 

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David Verdier
David Verdier Diplômé en musicologie et lettres modernes à l'université de Provence, il vit et enseigne à Paris. Collabore à plusieurs revues dont les Cahiers Critiques de Poésie et la revue Europe où il étudie le lien entre littérature et musique contemporaine. Rédacteur auprès de Scènes magazine Genève et Dissonance (Bâle), il fait partie des co-fondateurs du site wanderersite.com, consacré à l'actualité musicale et lyrique, ainsi qu'au théâtre et les arts de la scène.

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1 COMMENTAIRE

  1. À trop vouloir montrer et expliquer, la mise en scène alourdit le propos, par exemple elle nous prive du prélude du premier acte par une vision imposée à laquelle on aimerait échapper.
    Heureusement la sublime interprétation de Gumernanz par Ante Jerkunica nous transporte, bouleversante particulièrement au premier acte, tout comme la juvénile incarnation du chaste fol par Thomas Blondelle.

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