Gioacchino Rossini (1792–1868)
La Cenerentola (1817)
Livret de Jacopo Ferretti d’après le dramma giocoso de Stefano Pavesi Agatina o La Virtù premiata et le conte de Perrault Cendrillon

Direction musicale Ramón Tebar
Mise en scène Lindy Hume
Scénographie, costumes Dan Potra
Lumières Matthew Marshall

Angelina Dara Savinova (scène) / Tone Kummerwold (fosse)
Clorinda Marianne Odencrants
Tisbe Francine Vis
Don Ramiro César Cortés
Dandini Jens Persson
Don Magnifico John Erik Eleby
Alidoro Markus Schwartz

Kungliga Hovkapellet
Kungliga Operans Kör

Coproduction  avec Queensland Opera et  New Zeeland Opera

Stockholm, Kungliga Operan/Opéra Royal, mardi 1er octobre 2019

Dans le jeu des coproductions et des reventes clés en main, La Cenerentola de Lindy Hume, (metteur en scène réputée en Australie) montée par et pour le Queensland Opera et le New Zeeland Opera en 2013, est arrivée dans le répertoire de Stockholm en 2017. C’est sa reprise qui est offerte avec deux étoiles montantes dans les rôles royaux mais qui, malades ce soir-là, laissent avantageusement la place à une mezzo norvégienne, Tone Kummerwold, et à un ténor colombien, César Cortés, qui, bien que fraîchement arrivés, brûlent la scène (et la fosse).

Lindy Hume propose une Cenerentola idéale pour les théâtres de répertoire. Très lisible, amusante et fraîche, au plus proche du livret, elle fait la part belle au conte, à la belle histoire de Cendrillon, au happy end, garantissant à l’opéra, a priori, un bon taux de remplissage et une garantie de spectateurs quittant le théâtre le sourire aux lèvres.
Elle se permet, tout juste, une légère transposition du conte dans une atmosphère anglaise du XIXe, noblesse anglo-saxonne oblige. De Perrault, on passe à Dickens, et de la promotion sociale, on passe au petit entreprenariat anglais. Magnifico est à la tête d’une petite boutique, le Don Magnifico Emporium, bric-à-brac, à demi en ruine. Le dispositif scénique signé Dan Potra est astucieux : le magasin Emporium est une maison boîte, avec appartement à l’étage, monté sur une tournette et dont les pans s’ouvrent, comme un jouet pour enfants laissant aux spectateurs la joie de s’amuser avec ses occupants. L’intérieur est conçu comme un décor-jouet, plein de savoureux détails (briques déchaussées, poutre vermoulue) et fait aussi écho au décor de boutique/maison du film de David Lean, Chaussure à son pied (Hobson’s Choice), comédie qui reprend les éléments de La Cenerentola. On y retrouve la même verve comique voire bouffe : les deux grues qui cherchent à se marier, le père bouffon (incarné par Charles Laughton, forcément énorme), porté sur la bouteille et qui exploite sa fille vertueuse et travailleuse, l’intervention bénéfique d’un noble personnage…

Notons aussi que Lean, plus connu chez nous pour ses chefs‑d’œuvre, Lawrence d’Arabie et Docteur Jivago, a adapté Dickens par deux fois (Oliver Twist et Les Grandes Espérances). Nul doute que pour une Australienne, pétrie de références culturelles anglaises, cela compte. Le cinéma ouvre d’ailleurs le livre d’histoires de cette Cenerentola avec un prologue joué sur l’Ouverture, pendant lequel Alidoro propose un catalogue de filles à marier par écran interposé, avec un cinématographe-lanterne magique qui projette des photos de chanteuses d’opéra d’époque et, même, quelques photos pornographiques !

Deux idées scéniques fortes : l’arrivée de l’Emporium du fond de l’arrière scène, dans un écran de fumée et avec un ballet comique du chœur/peuple au premier plan, dont l’ensemble crée l’atmosphère onirique propre à La Cenerentola.

Perspective d’un chassé-croisé : Francine Vis (Tisbé), Marianne Odencrants (Clorinda), Markus Schwartz (Alidoro), Michele Angelini (Don Ramiro) et Jens Persson (Dandini)

La seconde : l’installation, à vue, d’un parc pour la scène 11 du premier acte. Les serviteurs de Ramiro installent le décor en moins de trente secondes en déroulant ingénieusement des tapis d’herbe et en disposant de faux arbres taillés dignes d’un jardin à la française devant une maquette de château. Le tout créant une fausse perspective, trompe l’œil à la Borromini dans sa fameuse perspective du Palais Spada. Dandini et Ramiro s’y cachent pour échapper au duo de donzelles et nous amusent en jouant avec cette fausse perspective. Tout est jeu, tout est jouet.

Notons également les jeux d’ombres (lumières de Matthew Marshall) avec les rideaux fermés de l’étage appartement ou encore le rideau/horizon du parc qui accentue le côté théâtre de marionnettes de l’univers mécanique du conte.

C’est aussi un jeu de l’envers et de l’endroit, propre aux thématique de La Cenerentola, avec, pour la scène finale du second acte, la tournette qui laisse voir l’envers de l’Emporium, soit le balcon royal : le bas est devenu haut.

Le chef espagnol Ramón Tebar, directeur artistique de l’Opera Naples (Floride, USA) et chef principal du Florida Grand Opera dirige dans la droite ligne de la proposition scénique : il est divertissant. Le geste est large, ample, peu attentif à livrer une Cenerentola analytique qui chercherait à révéler la petite mécanique d’horloger de Rossini, son rôle est de mettre constamment du liant entre les pupitres comme il en met entre les numéros. Peu d’effets donc, ou de mise en relief de certains moments particuliers (una volta c’era un re par exemple) : il se contente de dérouler sa Cenerentola mais il le fait magnifiquement (Ouverture, orage) et on se laisse prendre au piège de la partition-spectacle : les cordes sont soyeuses, les cuivres pompeux et/ou mystérieux, les flûtes particulièrement à l’honneur (piccolo notamment). Il couvre un peu les voix au début mais progressivement se cale sur les chanteurs et réduit ses volumes peu adaptés à la troupe de Stockholm.
Les deux sœurs Francine Vis et Marianne Odencrants, sont un beau duo de dindes, un peu déséquilibré. Marianne Odencrantz a un timbre un peu nasillard par moment mais l’Hollandaise Francine Vis, prise de rôle dans Tisbé, accroche l’oreille par de beaux aigus et une belle tenue de notes (elle est spécialiste du répertoire contemporain).

Bouffonerie et (dé)pantalonnade : Francine Vis (Tisbé), John Erik Eleby (Don Magnifico) et Marianne Odencrants (Clorinda)

Les basses sont toutes tenues par les membres de la troupe de Stockholm. Markus Schwartz est un bel Alidoro, digne, profond, avec belle diction, puissance et émission, un timbre vraiment chaleureux. John Erik Eleby est un Don Magnifico sur-bouffon. La voix est bien projetée, ample, ronde la plupart du temps mais comme il en fait des tonnes sur le côté clownesque de l’auguste personnage, il s’époumone assez facilement et ne tient pas la distance sur sa cavatine. Il se reprend davantage sur son air périlleux Sia qualunque delle figlie. Le Dandini de Jens Persson donne également dans le concours de cabotinage qui nuit réellement au chant. Il s’appuie sur son physique malléable de comique à la Harold Lloyd. Il déchaîne les foules Stockholmoises depuis quelques années avec son Papageno farcesque, dont il reprend les caractéristiques ici : mimes et mimiques, danses effrontées un peu grivoises, suractivité, élasticité du corps. Comme pour Eleby/Magnifico, il s’essouffle un peu vite et son timbre s’obscurcit par moment. C’est dommage car il fait vraiment le show (physique) et peut atteindre des sommets (vocalement) ici ou là (duo Zitto, zitto). Leur duo est une fête scénique mais les voix restent la plupart du temps dans la poitrine sans réelle volonté de dire le texte.

On a craint pour le sextuor mais la disposition particulière des personnages, voulue par Hume (en rang d’oignon sur le devant de la scène pour souligner le caractère factice et joueur de la scène et de la partition), leur permet une concentration soutenue propice à l’exécution sous tension des sillabati. Ce n’est que partiellement réussi mais cela reste un des meilleurs moments d’ensemble du spectacle.

Angelina devait être Dara Savinova (lire le compte-rendu d’Annarita Caroli qui l’a entendue dans le rôle d’Eustazio pour un Rinaldo dirigé par Fabio Luisi) mais enrhumée, elle ne tint que la partie scénique, remplacée en fosse par la norvégienne Tone Kummerwold. On eut donc une Cenerentola, belle, frêle, diaphane, et, à vrai dire, un peu perdue sur scène, car privée de son instrument principal, pendant que la voix chaleureuse de Tone Kummerwold s’échappait de la fosse. C’est une mezzo charnue, propre à habiter avec aisance le vaisseau de bois stockholmois, même au début, lorsque l’orchestre se voulait très présent. Des couleurs charmantes, profondes, une agilité à toute épreuve, une tension particulière dans les moments pathétiques (sa canzone et, surtout, son air final) : on ne voit qu’elle… en fosse. Et on regrette qu’elle n’ait pas pu (voulu ?) reprendre entièrement le rôle qu’elle a pratiqué cette saison pour l’Opéra National de Norvège.

Manège (amoureux) enchanté. Daria Savinova (Cenerentola) et Michele Angelini (Don Ramiro)

César Cortés, qui succède comme second cast  à Michele Angelini (lire le compte-rendu de François Lesueur : il incarnait Nicias dans Thaïs dirigé par Patrick Fournillier). Cortés est un jeune ténor colombien né en 1989 et ayant débuté en solo en 2015 en Eduardo dans La Cambiale di Matrimonio. Il fut aussi Ramiro dans une Cenerentola, produite par Teresa Berganza, en 2018, au Conservatorio del Liceu de Barcelone.

Cesar Cortes a succédé dans le rôle à Michele Angelini qui a assuré les premières représentations

Il est très à l’aise en Ramiro dans cette production. Il est subtilement poétique, aérien, éthéré lorsqu’il chante l’amoureux (notamment sur Si ritrovarla io giuro), solide, assis, puissant en roi… en goguette. Une projection qui sort tout à fait naturellement, des ornementations choisies, une présence, une incarnation et une diction fine de chaque instant. Royal. Et à suivre indubitablement.

Enfin, show à côté du show, Birgitta Svendén, directrice de l’Opéra Royal, qui non contente de dénicher ces perles rares, nous annonce les remplacements du soir avec un sens certain du stand up américain. Belle soirée.

Una volta c’era una Cenerentola… muta stasera (Daria Savinova)
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Guillaume Delcourt
Il collabore, en amateur revendiqué, depuis les années 2000 à divers médias, de la radio associative à la programmation et l’organisation de concerts, festivals et happenings (Rouen, Paris, Stockholm) dans les champs très variés de la musique dite alternative : de la pop à la musique électro-acoustique en passant par la noise et la musique improvisée. Fanziniste et dessinateur de concerts, ses illustrations ont été publiées dans les revues Minimum Rock n’ Roll et la collection Equilibre Fragile (revue et ouvrages) pour laquelle il tient régulièrement une chronique sur la Suède. Il contribue, depuis son installation sous le cercle polaire, en 2009, à POPnews.com, l’un des plus anciens sites français consacrés à la musique indépendante. Ces seules passions durables sont À La Recherche du Temps Perdu de Marcel Proust, les épinards au miso et la musique de Morton Feldman. Sans oublier celle de Richard Wagner, natürlich.

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2 Commentaires

  1. Your information is incorrect as goes my participation. I was not sick nor replaced : my last scheduled performance in Stockholm was on 21/9/19 as I was required by contract to begin rehearsals for the same production of Cenerentola with Seattle Opera and another tenor was engaged to sing the final two performances. It is unfair and unkind to write that a singer falls sick and cancels when it is not true. Also, the Thais was conducted by Patrick Fournillier, not Andres Maspero, who is the director of the Real chorus.

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