Programmes

Jeudi 16 mai

Mahler Chamber Orchestra
Wolfgang Amadeus Mozart 

Musique funèbre maçonnique en ut mineur,
Concerto pour piano n°20 en ré mineur,K.466, Lars Vogt, direction et piano

Joseph Haydn,

Symphonie n°83 en sol mineur ≪ La Poule ≫, Matthew Truscott, 1er violon et direction
Wolfgang Amadeus Mozart ,
Concerto pour piano n°21 en ut majeur,K.467, Lars Vogt, direction et piano

Mardi 21 mai

Budapest Festival Orchestra

Gioachino Rossini
Ouverture de La Pie vol6euse,
Wolfgang Amadeus Mozart
Concerto pour piano n°17 en sol majeur K.453

Gioachino Rossini,
Ouverture de L’Italienne à Alger
Franz Schubert
Symphonie n°4 en ut mineur D 417

Emanuel Ax, piano
Iván Fischer, direction

Grenoble, MC2, auditorium, jeudi 16 mai, 19h30 / mardi 21 mai, 20h30

Dans la riche programmation musicale de la MC2 servie par un auditorium aux qualités acoustiques reconnues par tous, le mois de mai a accueilli deux des meilleurs orchestres d’Europe, au format très différent, le Mahler Chamber Orchestra dirigé par le pianiste Lars Vogt, remplaçant Leif Ove Andsnes malade et le Budapest Festival Orchestra, sous la direction de son chef  charismatique Iván Fischer. Deux soirées riches, et enthousiasmantes.

Le Mahler Chamber Orchestra

Plus stimulante que la saison théâtrale, la saison musicale de la MC2 préparée par Antoine Pecqueur essaie de varier les approches, les styles, les musiques, dans une ville de Grenoble dont la tradition est le théâtre ou la danse, moins la musique dite classique : pas de salle d’opéra, pas d’orchestre attaché depuis que la municipalité s’est retirée  du soutien aux Musiciens du Louvre et un public où les jeunes manquent singulièrement. Si l’on excepte la métropole lyonnaise bien servie, l’est du territoire rhônalpin reste un peu fermé au classique, L’orchestre des Pays de Savoie fait son travail sur les territoires de Savoie et Haute Savoie, mais la structure même de l’orchestre qui n’est pas résident empêche le travail approfondi qu’un orchestre résident pourrait avoir. Quant à la Drôme et l’Ardèche, c’est sous ce rapport une très morne plaine…
La saison musicale de la MC2 constitue le seul pôle d’intérêt de cette partie de la Région Auvergne – Rhône – Alpes. Alors, le passage à Grenoble de deux orchestres de ce niveau se devait d’être signalé.
Leif Ove Andsnes fut le premier artiste partenaire du Mahler Chamber Orchestra pour un projet Beethoven (The Beethoven journey) de 2012 à 2015 ; cette année devait commencer un second projet, Mozart Momentum 1785–1786, autour de la production mozartienne particulièrement riche de ces deux années et notamment l’évolution des concertos pour piano. Le projet comprend l’exécution des concertos, où Leif Ove Andsnes est à la fois soliste et chef, et de pièces de musique de chambre avec des membres de l’orchestre.
Malheureusement, Andsnes est tombé malade (une pneumonie), et a dû renoncer à partir en tournée. Lars Vogt, qui est pianiste et chef d’orchestre, a accepté en catastrophe de le remplacer au pied levé, ce qui a sauvé le projet.

Lars Vogt

Le programme comprenait la musique funèbre maçonnique, les concertos n°20 et n°21 de Mozart et la symphonie n°83 en sol majeur de Haydn (« la poule »). Les parties non pianistiques étaient jouées sans chef, sous la direction du 1er violon Matthew Truscott.
Nous n’avons pu malheureusement en écouter que la deuxième partie, de haut niveau, un Haydn interprété par un orchestre aux cordes debout (comme au XVIIIe) très engagé comme toujours, et piloté par Matthew Truscott, particulièrement vif et dynamique, qui manquait peut-être non de couleurs, mais quelquefois de nuances et de tension, même si l’ensemble sonnait très digne.
Mozart a conclu la soirée avec un Lars Vogt très engagé, qui joue un Mozart énergique, juvénile, pas vraiment sentimental. Les caractères ? un toucher souple, grande vélocité et virtuosité, et une intensité notable. Arriver à ce résultat en ayant sauté au dernier moment dans le programme, où rien n’a été changé, est déjà en soi une performance. Il est certain que Leif Ove Andsnes aurait abordé le concert d’une manière très différente, mais Lars Vogt a su imposer un style et aussi une vraie dynamique dans l’orchestre, en installant un dialogue musical entre les pupitres typiquement chambriste et son piano raffiné, coloré, vif, a fait le reste. En bis un vrai cadeau, le deuxième mouvement du Quintette pour piano et vents K. 452 de Mozart qui permet d’entendre quelques solistes de l’orchestre, et notamment Mizuho Ioshii-Smith, le hautbois solo « historique » du MCO. Triomphe, évidemment.

Iván Fischer

Toute autre couleur pour le concert du Budapest Festival Orchestra dirigé par Iván Fischer avec Emanuel Ax au piano, dans un programme « de Mozart à Schubert » avec un arrêt sur Rossini plein d’enseignements.
Le Budapest Festival Orchestra est l’une des meilleures formations d’Europe sinon du monde et cela s’est bien constaté dans cet auditorium de la MC2 à l’acoustique si performante. Le son de l’orchestre limpide, rendant lisible l’architecture des œuvres, la précision technique, et la qualité intrinsèque des musiciens, tout cela apparaît immédiatement, dès l’exécution de l’ouverture de la Pie Voleuse, dans un programme « de Mozart à Schubert » 1784 (Mozart, Concerto n°17), 1813 (Rossini, L’Italiana in Algeri), 1816 (Schubert Symphonie n°4), 1817 (Rossini la Pie voleuse), un programme concentrant en un concert 33 ans de création musicale, dont quelques chefs d’œuvre.
Exécuter une ouverture d’opéra en concert, c’est évidemment changer le contexte d’interprétation. L’ouverture d’opéra en fosse doit travailler sur une dynamique qui va se prolonger quand le rideau sera ouvert. Au concert, ce sont les qualités de composition et les détails qu’on va plutôt considérer. Quel sens aurait l’affichage de deux ouvertures de Rossini dans un tel programme sinon.

Iván Fischer et Emanuel Ax à la MC2 le 16 mai 2019

Bien évidemment, Iván Fischer n’est pas considéré comme un spécialiste de Rossini, et son frère Adam est beaucoup plus un chef lyrique, pendant qu’il est lui un chef plutôt symphonique. Il va donc proposer un Rossini profondément symphonique, avec une lecture très analytique qui révèle quel compositeur il est, et comment faire entendre un texte musical bien plus complexe qu’il n’y paraît. Il y a chez Rossini une sorte de construction dramaturgique de l’instrumentation, de systèmes d’écho, d’interventions solistes virtuoses, qui font déjà spectacle (le hautbois magnifique de Kyeong Ham). Iván Fischer lui-même compositeur, fait d’abord entendre un art de la composition, en jouant aussi sur les échos : afficher L’Italienne à Alger côte à côte avec la Tragique de Schubert, c’est aussi montrer un Rossini de 21 ans (1813) et un Schubert de 19 ans (1816) aux prises avec le discours musical, chacun avec la même maturité et parcourant des chemins radicalement opposés. Si Schubert a écrit des opéras, il est plutôt fameux par ses Lieder et son œuvre pianistique et symphonique, alors que Rossini c’est l’opéra par antonomasie. Opposés aussi par une vie ôtée à 31 ans chez l’un et à 76 chez l’autre. Il y a chez Rossini une observation aiguë de la composition mozartienne, un sens de l’orchestration avec un orchestre aux effectifs qui sont plus liés au XVIIIe qu’au XIXe. En un sens, Rossini à l’opéra est le dernier compositeur du XVIIIe et le premier compositeur du XIXe : il clôt l’opera seria d’inspiration baroque et ouvre le Grand Opera. Forcément, il y a une parenté forte avec Mozart dont il a étudié les compositions avec attention et enthousiasme (Il connaît d’ailleurs tout aussi bien Haydn), c’est là ses écoles, et Fischer en composant son programme le souligne parfaitement. Avec ce travail sur le tissu orchestral qui met en exergue les qualités de composition symphonique ‑ce n’est pas un hasard si les ouvertures de Rossini s’appellent souvent « sinfonia », Fischer en fait donc presque des mini-poèmes symphoniques, ce qui convient tout particulièrement à la Pie Voleuse avec son début aux percussions : de plus en plus à mesure que Rossini avance dans la maturité, les aspects symphoniques vont dominer et c’est bien ce que Fischer nous indique par le prisme avec lequel il dirige. Loin d’être une affiche de programme destinée à séduire, l’insertion de Rossini montre un souci d’insérer ce compositeur dans un fil symphonique et il n’est en aucun cas un « trublion » entre Mozart et Schubert.
Le Mozart du concerto n°17 en sol majeur K.453 remonte à 1784. Fischer comme souvent casse les habitudes en plaçant les bois au premier rang, près du piano, voulant mettre en valeur les échos entre soliste et pupitre, mettant en place à l‘intérieur de l’orchestre l’intimité d’un quintette à vents. Il y a chez Fischer la liberté du compositeur, le refus d’une organisation consacrée et immuable, mais aussi la volonté de créer à l’intérieur de l’orchestre des lignes de force et d’écoute, des « îlots » qui font du soliste non un « plus », mais une partie de l’ensemble, ce qui crée une ambiance et marque ce « zusammenmusizieren » si cher à Claudio Abbado naguère.
Et de fait, le soliste et l’orchestre composent un tout particulièrement élégant et assez compact dans une respiration unifiée. Pas de singularité, mais un exercice au total assez fusionnel et équilibré où dominent douceur et mélancolie (sauf dans l’allegretto jubilatoire). Le dialogue du soliste et des cordes est fort, peut-être encore plus avec les bois, et qui donne cette ambiance chambriste évoquée plus haut. Il en résulte un travail très raffiné sur la couleur et les timbres et c’est cette impression e grand raffinement, ensemble à une sérénité toute particulière qui domine.
Si Schubert a composé sa symphonie n°4 en 1816 à l’âge de 19 ans, il ne l’a sans doute jamais entendue, et celle-ci n’a sans doute pas été exécutée de son vivant. L’appellation « tragique » donnée postérieurement par l’auteur rappelle l’influence du modèle Beethovénien. Mais est-ce un paradoxe si Fischer en propose une interprétation assez mesurée, en cohérence avec la couleur de la soirée, sans contrastes vifs, avec un travail sur la couleur très élaboré. On avait constaté cette délicatesse dans le Mozart précédent, et ce Schubert confirme l’approche. Il y a là une expression intérieure, qui évite le démonstratif et dont le qualificatif « Tragique » pourrait induire en erreur. On reste stupéfait devant la luminosité des pupitres, la clarté et la limpidité de l’approche qui rend l’ensemble un miracle d’équilibre. Un Schubert à des années lumières d’un romantisme tendu, mais un Schubert marqué par une émotivité délicate. Superbe, et à certains moments sublime.
Triomphe marqué et bis en honneur à Bartók par l’exécution de deux danses populaires roumaines, que Fischer affectionne tant. C’est alors l’explosion dans le public.

Iván Fischer et le Budapest Festival Orchestra à la MC2 de Grenoble

 

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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.
Crédits photo : © Ákos Stiller (Iván Fischer)
© MCO (Mahler Chamber Orchestra)
© Wanderersite (Photos du concert du Budapest Festival Orchestra)
© Anna Reszniak (Lars Vogt)

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