RICCIARDO E ZORAIDE
Dramma serio per musica in due atti di Francesco Berio di Salsa
Musica di Gioachino Rossini
Edizione critica della Fondazione Rossini, in collaborazione con Casa Ricordi,
a cura di Federico Agostinelli e Gabriele Gravagna

Direction musicale : Giacomo Sagripanti
Chef des chœurs Giovanni Farina
Mise en scène Marshall Pynkoski
Décors Gerard Gauci
Costumes Michael Gianfrancesco
Lumières Michelle Ramsay
Chorégraphie Jeannette Lajeunesse Zingg

Agorante Sergey Romanovsky
Zoraide Pretty Yende
Ricciardo Juan Diego Flórez
Ircano Nicola Ulivieri
Zomira Victoria Yarovaya
Ernesto Xabier Anduaga
Fatima Sofia Mchedlishvili
Elmira Martiniana Antonie
Zamorre Ruzil Gatin

Orchestra Sinfonica Nazionale della RAI
Coro del Teatro Ventidio Basso di Ascoli Piceno

Nouvelle production

Pesaro, Adriatic Arena, 17 août 2018

Une mise en scène de plomb

Nouvelle édition très attendue de Ricciardo e Zoraide, une rareté à ma connaissance jamais proposée ailleurs qu’à Pesaro, avec une étincelante distribution comptant Juan Diego Florez, qui fait presque figure de vétéran, Pretty Yende et Sergey Romanovsky, de retour à Pesaro  après une première apparition elle en 2016 , lui en 2017. Si c’est effectivement une fête du chant, le spectacle a des difficultés à décoller, à cause d’une production sans idées et inutilement lourde, et influençant une direction d’orchestre raffinée et précise mais peut-être par moments un peu trop sage.

 

Ricciardo e Zoraide, 1990, Pesaro (production Luca Ronconi)

La première production de Riccardo e Zoraide remonte à 1990, sous la direction de Riccardo Chailly, dans une mise en scène de Luca Ronconi, et elle réunissait autour de June Anderson, Bruce Ford et William Matteuzzi. Elle fut reprise en 1996 sous la direction de David Parry, avec Anna Rita Taliento entourée de Gregory Kunde et Charles Workman. C’est la troisième reprise de l’œuvre et compte tenu de la médiocrité de la production on se demande s’il ne valait pas mieux reprogrammer celle des origines.

Juan Diego Flórez (Ricciardo), Zoraide (Pretty Yende) et l'insupportable ballet

Marshall Pynkoski a si peu d’idées qu’il réussit à noyer l’opéra sous une scénographie lourde et sans intérêt et une chorégraphie faiblarde de ballet classique répétitive dont le seul intérêt est sans doute de faire employer comme chorégraphe son épouse, Jeannette Lajeunesse Zingg qui entre en compétition avec le mari pour la pauvreté conceptuelle. Sortant la veille d’un Barbier très classique, mais d’une rare inventivité esthétique et dramaturgique, nous sommes tombés là dans le piège de la fausse reconstitution : il s’agit – c’est je crois la seule idée – de travailler avec des toiles peintes pour retrouver un peu de l’ambiance XIXe qui baigne l’œuvre. Là où la veille l’harmonie des couleurs était étudiée, cette fois l’abondance de couleurs fait « oriental » ou « orientalisant » dans une débauche sans aucun intérêt : les gestes sont stéréotypés, comme à l’opéra de papa, de grand-papa et d’arrière grand-papa, les mouvements souvent répétés, les ensembles sont toujours réglés de la même manière, avec les chœurs en rang d’oignon, les personnages qui entrent en scène avec ballerines et danseurs qui entrent à leur suite et qui les entourent, sans motivation.

La seule chorégraphie dramaturgiquement cohérente, c’est la bataille des croisés et des soldats d’Agorante à la toute fin de l’opéra : on est quand même à des années lumières de la manière dont Sidi Larbi Cherkaoui avait réglé les interventions des danseurs dans Rheingold de Cassiers à la Scala ; ici le ballet est juste là pour faire joli (un anti-mot) avec des costumes de couleur pastel qui rompt avec la débauche colorée ambiante.

L'arrivée marine de Ricciardo (Juan Diego Flórez) et Ernesto (Xabier Anduaga)

La seule image intéressante, vaguement ironique et vaguement poétique est l’arrivée marine de Ricciardo à coup d’étendards bleus.   Quant aux toiles peintes (décor de Gerard Gauci), une prison et l’entrée d’une tente multicolore qu’on voit plusieurs fois, un rideau avec une calligraphie arabe (rideau d’accueil des spectateurs) et un immense moucharabieh, elles n’ont rien de notable, sinon qu’elles font référence au théâtre de l’époque qu’on connaît par les gravures. Les costumes (de Michael Gianfrancesco), sont assez somptueux notamment les costumes féminins de style XVIIIe mais les costumes masculins sont plus caricaturaux, et ne renvoient pas à une archéologie qui semble cohérente et les lumières de Michelle Ramsay éclairent le plateau avec la platitude voulue. On ne lit même pas l’effort d’une lecture ironique, ou résolument archéologique : il n’y a rien à sauver dans ce travail sans intérêt.

C’est bien plus intéressant du côté musical, mais lorsque les chanteurs et le chef ne sont pas engagés dans un spectacle total et ne sont pas concernés par une mise en scène qui n’existe pas, cela finit par se sentir. Dans les soirées réussies totalement il y a un engagement collectif. Ici les chanteurs font une démonstration sur fond d’Orient (ou de Nubie, qui est en Afrique) de pacotille : ils s’appliquent, mais ne défendent rien. À l’opéra il y a des mises en scène qui sont inoffensives et d’autres qui plombent un spectacle, celle de Marshall  Pynkoski est de celles-là.

Duo Zomira (Victoria Yarovaya) et Zoraide (Pretty Yende) et l'insupportable ballet

Alors les choses vont évidemment mieux du côté musical parce que le plateau réuni est exceptionnel, dans les rôles principaux bien sûr mais aussi dans les parties moins importantes, tenues très correctement par tous, dont Zamorre (Ruzil Gatin) Fatima Sofia Mchedlishvili) et Elmira (Martiniana Antonie).

Victoria Yarovaya (Zomira) et l'insupportable ballet

Victoria Yarovaya est une Zomira (la femme d’Agorante menacée de répudiation) vive, puissante, fougueuse, avec une belle présence et une voix bien posée aux aigus triomphaux qui porte dans le vaste hall de l’Adriatic Arena, il faudrait peut-être encore plus travailler les graves qu’une Marilyn Horne eût pu peut-être en son temps mieux dominer. Mais l’artiste est impressionnante et surtout a quelque chose de vital dans son jeu avec un chant est incarné, notamment dans son air “Più non sente quest’alma dolente”.

Xabier Anduaga (Ernesto)

Xabier Anduaga est Ernesto, un ténor émergeant qui semble tout emporter sur son passage tant son triomphe final est grand. La voix est large, le timbre clair, le contrôle impeccable et le volume particulièrement notable, ainsi que la diction d’une rare limpidité. Un chant à la Carreras jeune, lumineux, très prometteur. La mise en scène qui ne recule devant aucun sacrifice fait une opposition claire entre le chrétien (gentil) et l’africain (forcément sauvage) et lui donne un habit ridicule de cardinal, guerrier bien sûr, au service de la bonne cause. L’artiste est sans conteste une voix à suivre : on ne devrait pas tarder à le voir sur de grandes scènes européennes… Et dans des rôles de premier plan. Une vraie révélation.

Nicola Ulivieri est Ircano, le père de Zoraide, détrôné par Agorante qui apparaît au second acte sous forme de chevalier masqué : la voix est puissante, le phrasé élégant, le style de baryton-basse belcantiste devient cependant un tantinet tonituant, mais il doit trancher avec les autres dans ce final.

Sergey Romanovsky (Agorante) et Juan Diego Flórez (Ricciardo)

Sergey Romanovsky, le Don Carlos lyonnais est Agorante, le méchant passionnément amoureux. L’artiste donne à son personnage un caractère plus amoureux que méchant. Le volume vocal est peut-être en-dessous ce qu’il faudrait dans une salle aussi ingrate, mais le style est contrôlé, le phrasé impeccable et les aigus négociés sans aucune difficulté. Il apparaît cependant en retrait, parce que son Agorante manque, de nerf, de relief et de personnalité pour faire face à un Flórez par exemple. Il reste que c’est un bel artiste, qui doit encore travailler l’au-delà du chant. Il est vrai qu’avec pareille mise en scène, il est difficile de construire une personnalité si l’on n’a pas une présence scénique innée.
Pretty Yende, Zoraide, apparaît pour la deuxième fois sur la scène de Pesaro. Et elle séduit. La voix a une assise large qui permet au volume de se déployer dans peine dans la salle, elle est très contrôlée, à tous les niveaux de registre, avec un grave non négligeable et des aigus et suraigus parfaitement abordés, sans problèmes de justesse, et des cadences dans le suraigu qui mettent le public en délire. Il est difficile de caractériser une voix qui visiblement s’élargit, et qui s’impose sans doute comme l’une des plus digne d’intérêt aujourd’hui. On n’entend pas là une voix légère de rossignol, mais une voix qui a du corps et qui va sûrement encore s’élargir. Elle sait aussi s’amalgamer parfaitement dans les ensembles (final du premier acte) et être particulièrement émouvante (au second acte quand elle supplie Agorante). Tel que, c’est déjà imposant.

Zoraide (Pretty Yende) et Juan Diego Flórez (Ricciardo),

Chez Juan Diego Flórez, ce qui frappe est toujours l’inusable sûreté de la technique, même au moment où il aborde un autre répertoire, notamment plus tardif (Werther). Si la voix a peut-être un tout petit peu moins ces aigus stratosphériques qui ont fait sa gloire, elle a encore l’agilité, les variations, le velours du timbre jamais ingrat, jamais nasal, sans jamais de faute de goût et toujours un chant expressif : ce n’est jamais un chant mièvre, et c’est toujours vraiment incarné et lumineux. À n’en point douter c’est une leçon de chant, une leçon de style, une leçon d’excellence au sommet dans la permanence. Le rôle, qu’il aborde pour la première fois, demande moins d’exploits vocaux acrobatiques et exige un lyrisme, un style élégiaque et une ligne de chant qui conviennent peut-être mieux à l’état actuel de la voix de Flórez. Il reste qu’aucun rival aujourd’hui ne peut lui ravir la palme du plus grand chanteur rossinien des 30 dernières années. Immense.

Il faut saluer la prestation du chœur du Teatro Ventidio Basso d’Ascoli Piceno, préparé par Giovanni Farina : un chœur puissant, qui sait être subtil (le chœur des jeunes filles a capella en arrière scène) et qui a su s’imposer tout au long de la représentation.
La musique de cette œuvre rarissime est très étonnante. À la fois conforme à l’attendu, c’est un « Dramma serio » qui prend aux formes du XVIIIe, sans jamais se fondre dans un sillon créé par Gluck. On reste étonné de manière incroyable par l’ouverture, qui n’a rien d’une ouverture passe-partout : on a vraiment l’impression d’entendre une musique à la fois appuyée sur le passé immédiat de quelques décennies auparavant (Gluck) , avec des parties instrumentales solistes d’une rare délicatesse, une couleur sombre qu’on verrait chez Verdi, voire le Verdi tardif, mais on entend aussi des éléments nouveaux, comme l’apparition (la première chez Rossini) d’une fanfare de scène très lointaine et jouant en écho avec l’orchestre de fosse et certains accents beethoveniens, avec l’exaltation notable des bois (la flûte). En bref on croirait que Rossini s’en soit donné à cœur joie à chercher des voies nouvelles pour l’expression musicale. La suite est souvent plus conforme, mais jamais ennuyeuse, et il y a des ensembles vraiment inventifs :  cette musique évidemment doit s’écouter avec l’idée du futur, du grand-opéra que Rossini a contribué à créer, avec des couleurs qu'on retrouve chez Verdi. C’est une partition étonnante avec ses orientalismes tels qu’on les concevait à l’époque et ses échos d’une musique contemporaine que Rossini connaissait parfaitement, mais aussi de traits inattendus. Nous sommes-là aux racines des formes de l’opéra du XIXe , même si la dramaturgie de l’opéra (notamment la dernière partie) se relâche pour devenir une succession de « pezzi chiusi », et qu’elle est peu aidée par une mise en scène si illustrative et creuse.

Giacomo Sagripanti

Giacomo Sagripanti, à la tête d’un Orchestra Sinfonica Nazionale della RAI attentif (qui n’est pas un orchestre de fosse et qui s’en tire merveilleusement), précis, aux pupitres solistes exposés et toujours impeccables, propose une lecture aux couleurs souvent sombres, n’essayant jamais de faire une démonstration virtuose, ni spectaculaire, mais toujours fidèle au plateau qu’il suit avec un souci net de ne jamais le couvrir, au prix d’une relative discrétion quelquefois, voire d’un manque de tension çà et là. Sa direction est très en place, élégante, techniquement parfaitement dominée, mais peut-être pas aussi théâtrale qu’on pourrait le souhaiter, un peu plus sage que souhaitée. Sans doute aussi la mise en scène n’aide pas à mettre le théâtre au centre. Il reste qu’il y a là un vrai travail approfondi qui sait mettre en valeur une musique très variée, aux timbres très différents et qui va du merveilleux au convenu, avec de vraies fulgurances, notamment dans la première partie.
En conclusion, avec une autre mise en scène, c’eût pu être un triomphe et c’est plutôt un paradoxe. On a frôlé le ridicule en scène alors qu’en fosse et dans les voix, on était proche de la perfection.

 

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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.

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