Die Entführung aus dem Serail (1782)
Singspiel en trois actes
Livret de Gottlieb Stephanie
Musique de Wolfgang Amadé Mozart

Direction musicale : Ivo Hentschel
Mise en scène : Calixto Bieito
Décors : Alfons Flores
Costumes :Anna Eiermann
Dramaturgie : Antje Kaiser, Pablo Ley
Vidéo : Rebecca Ringst
Chœurs : David Cavelius
Lumières : Franck Evin

Pacha Selim : Guntbert Warns
Konstanze : Nicole Chevalier
Blonde : Nora Friedrichs
Belmonte : Adrian Strooper
Pedrillo : Johannes Dunz
Osmin : Jens Larsen

Orchestre et chœurs de la Komische Oper Berlin

Komische Oper Berlin, 28 avril 2018

La Komische Oper Berlin reprend l'un des spectacles les plus contestés des vingt dernières années, Die Entführung aus dem Serail de Mozart, dans la mise en scène de Calixto Bieito. un tel cumul de violence et de sexe fait penser aux 120 journées de Sodome de Sade. Mauro Mariani a vraiment détesté l'ensemble du spectacle, et en dit les raisons.

Traduit de l'italien par Guy Cherqui

Dans les premières années de ce nouveau siècle, le quadragénaire Calixto Bieito s’affirmait sur les scènes lyriques internationales par une série de succès de scandale et en 2004 la Komische Oper de Berlin aussi l’appela pour une nouvelle production de Die Entführung aus dem Serail qui suscita un super scandale et l’indignation de bonne partie du public et de la critique.
Un critique écrivit que c’était là le pire des spectacles d’opéra qu’il ait vus. Et je partage pleinement cette opinion, mais je veux qu’il soit clair que ce n’est ni à cause des scènes de sexe, ni des scènes de violence bien pires, mais de la totale absence d’intérêt de cette mise en scène.
Cela donne l’impression qu’à vouloir démontrer qu’il était génial, Bieito ait fini par se tromper complètement, ce qui est toujours mieux que penser qu’il n’ait fait cela que pour faire parler de lui.

La Komische Oper reprend cette saison cette production vieille de 14 ans mais justement toute la saveur excitante du scandale s’est évanouie et avec les années il n’est resté que le vide d’une mise en scène qui ne suit qu’une seule idée, mal gérée, et qui devient terriblement ennuyeuse, ne sachant pas faire autre chose que passer du sexe à la violence et de la violence au sexe. Essayons d’en décrire quelques moments.

Pendant l’ouverture à scène ouverte, quelques affiches publicitaires de dessous féminins sexy dominent le centre du plateau, pendant que sur les côtés deux femmes sont exposées en vitrine comme dans les quartiers chauds d’Amsterdam. Puis apparaît une trapéziste qui évolue avec le mini-costume de scène et les poses provocantes habituelles dans ce type d’exhibitions de cirque : tout cela pourrait prétendre être une forme de protestation contre la marchandisation du corps féminin, mais n’a rien à voir avec la musique de Mozart.
Mais allons plus loin.
A la fin de l’ouverture entre Belmonte qui au vu de la trapéziste commence à se masser la braguette, en chantant son air. Au même moment Osmin poursuit une jeune fille et consomme avec elle dans un des parallélépipèdes transparents disposés sur le plateau, qui comme on va vite le comprendre, représentent les différents espaces du bordel dans lequel tout l’opéra se déroulera.
Après une douche, Osmin chante son duo avec Belmonte debout sur un praticable, complètement nu. Selon certains le moment le plus scandaleux, selon moi en revanche un des rares moments de la mise en scène qui pourrait avoir une justification, parce qu’il met en lumière la lascivité du personnage et le ridiculise en même temps (parce que la nudité de ce monsieur sexagénaire est plutôt grotesque), comme Mozart le ridiculise lui-même, avec d’autres moyens bien plus raffinés.
Mais il ne semble pas que ce soit là l’intention de Bieito, parce que ce n’est que le premier d’une série totalement injustifiée d’actes sexuels de tous genres- évidemment simulés- qui impliquent protagonistes comme figurants. Voilà qui me donne l’occasion de raviver mes connaissances en latin en usant des mots fellatio et cunnilingus, une occasion qui jusque-là m’avait été donnée une seule fois dans ma vie de critique musical, à propos de l’air appelé « Air de la fellatio » dans Powder her face de Thomas Adès : mais le compositeur avait composé une musique adaptée à la chose, alors que ce pauvre Mozart est totalement inadapté à ce type de situation.

Avec l’entrée de Konstanze s’ajoute au répertoire de Bieito un échantillon de rapports sado-maso parce que Selim tient la Dame espagnole enfermée dans une cage et tenue en laisse comme un chien, la soumettant à divers outrages. Quelquefois les rôles sont inversés et c’est Konstanze la « maîtresse ». Là aussi Bieito ne part pas d’une observation injustifiée parce que s’il est vrai que Selim retient Konstanze prisonnière, il tout aussi est vrai qu’il montre une âme noble, qu’il la respecte, et qu’il n’a avec elle aucun rapport de nature sexuelle. Le problème est donc que même les maigres idées qui ne soient pas totalement folles, sont mises à bas par le démon dont Bieito est possédé, qui l’empêche de se retenir et le pousse à l’extrême, jusqu’à devenir non seulement exagéré mais aussi répétitif et donc ennuyeux. Le sado-masochisme augmente la palette des actes sexuels que Bieito peut montrer, mais il s’agit en somme de variations sur un thème unique : aucune idée neuve, voire aucune idée.
La belle alternance très calibrée entre drame et comique de Mozart disparaît, et la dramaturgie de l’opéra est totalement détruite, parce que le sexe en série n’a jamais constitué une dramaturgie. La seule chose qui augmente, ce sont les doses de sexe et de violence.
Au second acte, c’est la violence qui prévaut. Ce qui ressemblait à un film porno devient un film gore. Ainsi dans le grand air de Konstanze si acrobatique du 2ème acte (« Martern aller Arten »)((martyrs de toutes sortes)), Selim pour la nième fois soumet sadiquement la femme à ses propres désirs, pendant qu’au premier plan une autre femme est déshabillée, violée, scarifiée avec un long couteau et enfin égorgée, si bien que l’air se termine dans les râles et les secousses de son atroce agonie. Dans le dialogue qui suit , Selim dit à Konstanze qu’il voudrait la voir violée par un porc qui lui vomirait dessus après : voilà de quoi se faire une idée du respect du texte original…

Peu après, dans le duo « Vivat Bacchus », Osmin impose à Pedrillo de jouer à une variante de la roulette russe jusqu’à la troisième tentative où il est touché au genou et roule à terre en hurlant de douleur.  Comment prêter un minimum d’attention à la musique si on nous force à assister à tout ça ?

Continuer à raconter tout dans le détail finirait par ennuyer le lecteur comme cela a ennuyé le spectateur au théâtre, alors passons directement au final, quand Konstanze tue Selim, Blonde Osmin, comme sont tuées toutes les femmes qui travaillent dans ce bordel et tous les hommes qui le fréquentent. Enfin Konstanze se tue, sans qu’on en sache exactement la raison. Peut-être comprend-elle son lien mortifère à Selim et ne peut vivre sans lui ? Ou bien s’aperçoit-elle que son espoir de liberté est vain et que la place de Selim sera bientôt prise par Belmonte ?
Quand on pense que l’opéra a une fin heureuse, avec le noble discours de Selim, qui renonce à la vengeance et rend à tous la liberté, affirmant la morale de l’opéra « c’est un bien plus grand plaisir de réparer une injustice subie par de bonnes actions plutôt que de rendre le mal par le mal ». C’est sûr, c’est une utopie non réalisée encore aujourd’hui à presque deux cent cinquante ans de la composition d’Entführung aus dem Serail, les haines et les désirs de vengeances entre monde chrétien et monde islamique sont plus que jamais violents. C’est justement pourquoi cette utopie a aujourd’hui une très grande valeur.

Malheureusement, comme on l’a déjà dit, la musique de Mozart est totalement en décalage avec les géniales idées de Bieito, et pourrait être un élément de trouble, détournant le spectateur de la mise en scène qui est le seul élément qui compte. Mais heureusement, l’interprétation musicale fait tout pour éviter que cela n'arrive en détruisant complètement Mozart.

Sa merveilleuse orchestration est réduite par Ivo Hentschel  (sans doute les choses allèrent mieux en 2004, quand le chef s’appelait Kirill Petrenko) à une bouillie sonore sans grâce, dans laquelle, par exemple, on ne réussit pas à distinguer un seul des innombrables interventions des bois. Les rapports entre les divers instruments ne sont pas du tout pris en compte, et les choses ne vont pas mieux en ce qui concerne le rapport entre instruments et voix, parce que l’orchestre couvre les chanteurs qui de leur côté ne chantent pas en mesure.
Par ailleurs on peut comprendre que les protagonistes ne réussissent pas à dédier beaucoup d’attention au chant s’ils s’appliquent à faire tout ce que la mise en scène demande. La meilleure est Nicole Chevalier, avec son expérience mozartienne notable mais qui n’est pas (ou plus) à même de dominer avec facilité toute la virtuosité demandée par Mozart au rôle de Konstanze. Jens Larsen (Osmin) Nora Friedrichs (Blonde) et Johannes Dunz (Pedrillo) ne vont pas au-delà d’un théâtre de province, alors que Adrian Strooper (Belmonte) ne connaît pas les principes du chant mozartien. Voilà les inévitables inconvénients des troupes, où un chanteur doit s’adapter à auteurs et styles tout différents.

Désormais cet Entführung aus dem Serail ne scandalise plus et il n’y a eu ni protestations ni sifflets. De rares spectateurs quittent la salle durant le spectacle, les autres restent jusqu’à la fin, applaudissent poliment et sortent.

 

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Mauro Mariani
Mauro Mariani a écrit pour des périodiques musicaux italiens, espagnols, français et allemands, il collabore pour des articles ou des conférences avec des théâtres et orchestres italiens importants comme l’Opéra de Rome, l’Accademia di Santa Cecilia, le Maggio Musicale Fiorentino, La Fenice à Venise, le Teatro Real de Madrid. En 1984 il a publié un livre sur Verdi. Jusqu’en 2016, il a enseigné Histoire de la musique, Esthétique musicale et Histoire et méthodes de la critique musicale au Conservatoire « Santa Cecilia » de Rome.

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