Les Résidents
Compagnie L’Unijambiste

Texte et idée originale : Emmanuelle Hiron
Assistée par Nicolas Petisoff

Collaboration artistique : David Gauchard
Création lumière : Benoît Brochard
Régie lumière : Mika Cousin et Alice Gill Kahn en alternance 

Théâtre documentaire
Année de création : 2015

Durée : 1h06

Avec Emmanuelle Hiron

Production L’unijambiste

Avec le soutien de l’Ehpad Les Champs Bleus de Vézin-Le-Coquet (35) // CIAS à l’Ouest de Rennes // Théâtre le Grand Logis – ville de Bruz // Théâtre de Poche – Hédé, scène de territoire pour le théâtre // l’Aire Libre – St Jacques de la Lande.

Théâtre Les Quinconces- L’Espal du Mans, samedi 14 avril 2018

Après deux ans d’observation, d’entretiens, de réflexion sur le travail de Laure Jouatel, médecin gériatre et amie d’enfance, la comédienne Emmanuelle Hiron a choisi la forme du spectacle vivant pour se confronter à la question de la fin de vie, dans un spectacle où humanité et humilité prévalent largement sur l’héroïsme ou le pathos qui enrobent d’ordinaire les documentaires sur le sujet. Un spectacle émouvant mais aussi rassurant, un spectacle qui nous accompagne avec douceur et réalisme dans le dédale de nos rejets, de nos appréhensions, de nos contradictions parfois, sur cette dernière étape de l’existence dont on ne sait pas toujours que faire et que l’on ne veut pas toujours voir.

Un écran, trois chaises empilées, des chaises de salle des fêtes, de celles qui neutralisent toute idée de poésie de l’objet, de dramaturgie du décor. Et un néon. L’espace scénique ainsi aseptisé nous installe dans ce qui va se jouer, se voir, se dire et s’entendre dans ce spectacle : la vie, dans sa dernière ligne droite et parfois douloureuse, son accompagnement, sa qualité, mais sans sublimation ni misérabilisme, sans amabilité feinte ni discours moralisateur. Juste ce qui est.

Le spectacle commence par la vidéo, des images filmées par Emmanuelle Hiron elle-même, de vraies images documentaires, sans mise en scène, sans questions orientées, sans musique grandiloquente. Si bien que cette première vieille dame prend son petit-déjeuner au son de la bande originale de Fame qui passe à la radio, et on sourit déjà de cette incarnation de l’anachronisme symbolisant une société qui préfère encore faire un pas de côté plutôt que de prendre en compte l’augmentation de l’espérance de vie et les besoins d’accompagnement qui en découlent. Puis une femme en fauteuil déambulant dans le couloir de l’EHPAD, dans un décor hybride d’institution médicalisée, agrémenté d’objets décoratifs ou d’affiches qui tentent tant bien que mal d’en faire aussi  un lieu de vie.

« On a recréé de la vie pour que ça ne fasse pas trop hôpital. Maintenant, je te dis que je cherche une qualité de vie, que c'est un lieu de vie, on fait des progrès, c'est vrai mais faut être honnête, c'est pas leur domicile. C'est une chambre qui est complètement anonyme. C'est une chambre qui a été précédemment occupée par quelqu'un et qui sera, après, occupée par quelqu'un d'autre. Alors on leur demande d'amener des objets de chez eux, tout ça pour recréer un lieu de vie. Mais c'est considéré par tous comme un lieu de fin de vie. »

Pendant la diffusion des images, la comédienne entre en scène. C’est donc Emmanuelle Hiron qui nous livre le monologue qu’elle a écrit d’après les nombreux échanges avec son amie Laure Jouatel. Loin de la simple retranscription, elle met à disposition son art, son corps et sa parole au service d’une autre vie que la sienne. Une vie bien réelle, une réalité ordinaire.

Cette présence physique, cette parole vivante, réfléchie, subjective mais profondément réaliste, et finalement merveilleusement humaniste, amène le spectateur à dépasser sa gêne, son émotion, à neutraliser ces sentiments auxquels on s’arrête souvent et qui nous empêchent – peut-être – de réfléchir vraiment à l’accompagnement de nos vieux. Comme si s’émouvoir suffisait à se dédouaner de toute action ou réflexion, échappatoire  facile à nos problématiques contemporaines.

L’émotion est pourtant là, dans les images parfois tremblantes de ces vieux, tremblant eux aussi, dans les propos confus de ces résidents qui tentent d’exprimer une angoisse parfois indicible, à travers l’implication et l’attention perceptibles dans le moindre geste du personnel soignant, et de façon générale dans cette confrontation du spectateur à la vieillesse et ses « petites contrariétés », démence, perte des repères, de la mémoire, et sans doute cette peur de la mort qui doit accompagner leur quotidien

« Les gens ne viennent pas ici spontanément.
 Il y a cette idée de mouroir.
Et il y autre chose aussi, et c'est aussi positif, j'ai vu des familles beaucoup là au début et qui le sont moins. Moi je le vois aussi positivement. Je pense qu'elles ont confiance en nous et qu'elles ont moins besoin…
C'est souvent des gens qui ont été, très, très investis dans cette relation avant que les résidents arrivent ici. Ils sont peut être restéstrois, quatre, cinq ans à s'occuper au domicile de toutes les problématiques : les égarements, les agitations, l'incontinence. Ils sont épuisés.
Il y a une culpabilité quand ils arrivent, c'est clair. Les familles culpabilisent.

Mais y'a aussi ouf.
Il n'y a pas que… Qu'est-ce que c'est que ces familles qui ne viennent pas les voir !
Il y a aussi des familles qui recommencent à vivre. »

 Une des forces du spectacle, et qui en fait un geste artistique essentiel, est donc la présence de la comédienne, au service de son sujet bien évidemment, et sans aucune intention de heurter le spectateur. Ce monologue de théâtre est finalement un dialogue silencieux entre elle et nous. Un langage commun, une entente tacite, pour ensemble accepter de voir ce qui est, sans sublimation, sans dissimulation, sans larmoiement.
Après chaque passage documentaire, elle est là et reprend immédiatement la parole, pour ne pas que l’émotion ne supplante totalement la prise de conscience ni la réflexion. Le propos est parfois léger, parfois cru, mais tout est dit, jusqu’à l’expérience de la toilette mortuaire, moment très fort du spectacle qui nous fait osciller entre rire et larmes mais à l’issue duquel on a envie de lui dire merci. Parce que dire les choses ne les rend pas plus violentes, les entendre non plus. Emmanuelle Hiron nous accompagne dans l’acceptation de l’inévitable. Comment ne pas saluer l’ensemble de son geste, que ce soit son regard, son écriture, sa présence, mais aussi cette main tendue au spectateur que constitue sa proposition théâtrale ?
Alors merci Emmanuelle Hiron d’avoir pris ce sujet à bras le corps et le cœur, merci à travers vous à votre amie Laure Jouanel d’avoir eu, comme vous lui faites dire, « envie de défendre la vie là où on pourrait penser qu'il n'y a que la mort », merci aussi d’avoir utilisé le théâtre comme la tribune d’une artiste-citoyenne, sans chercher à savoir si les programmateurs oseraient, sauraient ou auraient envie de relayer ce chant d’amour auprès de leur public. Cela ne fait qu’ajouter à la beauté du geste.
Enfin, n’oublions pas Mado, une des résidentes que l’on suit à travers les images filmées, qui est un peu le ruban rose et poétique du spectacle et à qui l’on doit la parole la plus juste qui soit : « Ici c’est une maison de repos pour les…Je sais pas, une maison de repos pour les…Je sais pas, je sais pas comment dire… ». Le jour où l’on saura dire, nous saurons sans doute mieux les accompagner, ces Résidents.

Laurent Roudillon
- Professeur de Lettres Modernes et de Théâtre-Expression dramatique.. – Coordinateur de l’Action culturelle dans le domaine du théâtre pour le département d’Indre-et-Loire, missionné par la DAAC de l’académie d’Orléans-Tours auprès du CDN de Tours.  – Membre du conseil d'administration et du comité de sélection du Volapük : accueil de compagnies en résidence pour les écritures contemporaines. (http://www.levolapuk.org/) – Président de Groupenfonction, groupe de création "indisciplinaire". http://www.groupenfonction.net/Actualite#Presentation
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