Le Pavillon d'or (Kinkakuji) de Toshiro Mayuzumi (1929–1997)

Opéra en trois actes, livret du compositeur et de Claus H. Henneberg d'après le Pavillon d'or de Ykio Mishima

Créé au Deutsche Oper Berlin le 23 juin 1976
Mise en scène : Amon Miyamoto
Décors : Boris Kudlicka
Costumes : Kaspar Glarner
Lumières : Felice Ross
Vidéo : Bartek Macias

Avec

Simon Bailey (Mizoguchi),
Dominic Große (Tsurukawa),
Paul Kaufmann (Kashiwagi),
Yves Saelens (Le Père),
Michaela Schneider (La Mère),
Fumihiko Shimura (Abbé Dosen),
Fanny Lustaud (Uiko),
François Almuzara (Jeune homme),
Makiko Yoshime (Jeune fille)

Chœurs de l’Opéra national du Rhin
Chef de chœur : Sandrine Abello

Orchestre philharmonique de Strasbourg
Direction musicale : Paul Daniel

24 mars 2018 à l'Opéra du Rhin

On doit à Eva Kleinitz d'avoir programmé pour sa première saison à la tête de l'Opéra du Rhin, un étonnant festival Arsmondo Japon (jusqu'au 15 avril) destiné à mieux faire connaître la culture et la société japonaise à travers des rétrospectives cinéma, concerts etc. Coproduit par le Tokyo Nikikai Opera Foundation, Le Pavillon d'or de Mayuzumi est le point d'orgue de ce festival et l'occasion d'entendre pour la toute première fois en France une œuvre absolument étonnante à plus d'un titre.

L'enfance de Mizoguchi est rythmée par cette phrase que lui répète son père : "Il n'existe rien au monde de plus beau que le Pavillon d'or". La phrase prend une résonance tout particulière pour lui qui, atteint d'une malformation physique, verra dans la vénération de la beauté une forme d'obsession mortifère et le poussera à commettre l'irréparable : détruire ce Pavillon d'or qui hante désormais son esprit. C'est ce fait divers bien réel qui inspira à l'auteur japonais Yukio Mishima un roman éponyme, publié en 1956. Le personnage central reflète l'âme damnée de Mishima, qui consuma la fin de sa vie dans un nationalisme fanatique qui le poussera à un spectaculaire suicide par seppuku. C'est en 1976, soit six ans après sa disparition, que son ami le compositeur Toshiro Mayuzumi crée le Pavillon d'or au Deutsche Oper Berlin.

L'œuvre est une véritable surprise pour l'auditeur qui redouterait aussi bien une forme de japonisme de carte postale qu'un opéra contemporain ésotérique. L'écriture de Mayuzumi mêle les timbres expressionnistes à l'influence exogène du jazz et de la musique traditionnelle japonaise qu'il utilise parcimonieusement mais avec un sens dramatique très efficace. Etudiant au conservatoire de Paris dans les années 50, il sut créer une forme d'entre-deux renvoyant à l'héritage de la Seconde école de Vienne ainsi qu'à l'héritage du folklore japonais, comme en témoigne la présence de ce surprenant solo de flûte shakuhachi dans la seconde partie.

 

La mise en scène d'Amon Miyamoto fait la part belle à des décors en forme d'espaces mobiles qui émergent des cloisons latérales, manipulés à vue. L'esthétique relativement traditionnelle des intérieurs n'oublie aucun des détails qui identifient du premier coup d'œil l'univers social japonais. Les kimonos tombent sans faux pli, et il ne manque pas une porcelaine sur une étagère ou une bouteille à saké sur la table basse. À cette extrême précision répond l'immense mur de fond doré à la feuille d'or, sur lequel se projettent des formes abstraites figurant les flammes du brasier à venir ou bien, à plusieurs reprises, le Pavillon d'or et son reflet tremblant. L'obsession envahissante du personnage se lit dans cette image assez simple du personnage vu de dos, qui se tient de guingois, la main droite atrophiée et recroquevillée contre le corps.

"Tu dois tuer Bouddha… Je vais tuer Bouddha"

On suit comme dans un plan séquence combinant plusieurs décors imbriqués, la vie sentimentale misérable du jeune homme, moqué par Kashiwagi, rejeté par les femmes et focalisant sa haine et son désespoir sur ce Pavillon d'or. L'idée de Miyamoto de montrer à ses côtés sa propre conscience sous la forme d'une doublure dansée et mimée, affaiblit ce que la solitude du personnage permettait d'atteindre. Puisant ses bras dans le cercueil du père disparu, le figurant littéralement se couvre de cendres – prémices à l'incendie à venir. Pour reprendre le titre du Mizoguchi – cinéaste, le personnage central de ce Pavillon d'or est un authentique "héros-sacrilège", ne supportant plus le dilemme intérieur qui fissure sa conscience entre beauté et laideur, sa phobie de l'humiliation que lui font subir les femmes et le modèle de vertu qu'incarnait Tsurukawa. Le meurtre du figurant traduit d'une manière un peu grandiloquente la forme de suicide et de libération que représente la destruction du temple.

Associant les visions intimes, volontiers érotiques (la femme pressant son sein au-dessus d'une tasse de thé à la demande de son amant), l'œuvre donne également dans de vastes scènes de foule qui retracent la tragédie d'Hiroshima et l'humiliation de tout un peuple. On croise les figures facilement reconnaissables de l'empereur Hirohito et du général MacArthur dans la bande passante historique qui sert de fond au livret de Mishima. La présence d'un entracte brise la ligne dramatique en plein vol, résultat de coupes claires dans le livret allemand de Claus H. Henneberg (également auteur de l'adaptation du texte de Shakespeare pour le Lear d'Aribert Reimann).

Le plateau brille par la présence du Mizoguchi véhément et sonore de Simon Bailey. Le jeu d'acteur est captivant, au diapason d'une voix d'une belle et sombre densité. Dominic Große va chercher pour son Tsurukawa des éléments disparates qui trahissent une certaine nervosité, tandis que le Kashiwagi de Paul Kaufmann pêche par une ligne trop inégale. Makiko Yoshime (la Jeune Fille) n'est pas mieux lotie côté vibrato, dominée par la Uiko très maîtrisée de Fanny Lustaud. Le rôle du Père est parfaitement rendu par Yves Saelens, bien mieux en tous cas que le pâle Abbé Dosen, campé par Fumihiko Shimura.

À la tête de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, Paul Daniel réalise un travail de tout premier plan, dégageant les textures détaillées et très fines des cordes, entre crissements et trilles volatils. La palette des émotions est maintenue dans le registre d'une tension permanente qui porte l'œuvre dans une urgence bienvenue et très efficace. On espère que l'initiative de l'Opéra du Rhin donne des idées à d'autres salles dans un futur proche.

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David Verdier
David Verdier Diplômé en musicologie et lettres modernes à l'université de Provence, il vit et enseigne à Paris. Collabore à plusieurs revues dont les Cahiers Critiques de Poésie et la revue Europe où il étudie le lien entre littérature et musique contemporaine. Rédacteur auprès de Scènes magazine Genève et Dissonance (Bâle), il fait partie des co-fondateurs du site wanderersite.com, consacré à l'actualité musicale et lyrique, ainsi qu'au théâtre et les arts de la scène.
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