Richard Wagner (1813–1883)

Götterdämmerung (1876)
Dritter Tag des Bühnenfestpiels
Der Ring des Nibelungen
Dichtung vom Komponisten

Musikalische Leitung  Kirill Petrenko
Inszenierung                 Andreas Kriegenburg
Bühne                             Harald B. Thor
Kostüme                         Andrea Schraad
Licht                                Stefan Bolliger
Choreographie              Zenta Haerter
Chöre                              Sören Eckhoff
Dramaturgie                 Marion Tiedtke
Dramaturgie                 Olaf A. Schmitt

 

Siegfried        Stefan Vinke
Gunther         Markus Eiche
Hagen            Hans-Peter König
Alberich         John Lundgren
Brünnhilde   Nina Stemme
Gutrune        Anna Gabler
Waltraute     Okka von der Damerau
Woglinde      Sofia Fomina
Wellgunde    Rachael Wilson
Floßhilde      Jennifer Johnston
1. Norn         Okka von der Damerau
2. Norn         Jennifer Johnston
3. Norn         Anna GablerBayerisches Staatsorchester
Chor und Extrachor der Bayerischen Staatsoper
Nationaltheater München, 11 Février 2018

Même après plusieurs visions, ce Götterdämmerung continue de frapper par l’intelligence et la justesse du propos. Depuis 2012, la production de Andreas Kriegenburg conclut de manière acérée le cycle de l’Anneau munichois. Après un prologue et deux journées installées dans le mythe, et après un Siegfried souriant et inventif, la logique de Kriegenburg amène à voir dans Götterdämmerung une chute effrayante dans le monde, un monde qui n’est pas fait pour Siegfried, encore moins pour Brünnhilde qui y tombe malgré elle.
C’est aussi à une fête musicale inouïe que L’opéra de Munich nous convie, proposant l’une des distributions les plus accomplies, dominée par la Brünnhilde incandescente de Nina Stemme avec dans la fosse Petrenko le miraculeux.

Acte II, le choeur

Nous avons rendu compte plusieurs fois dans le Blog du Wanderer de cette mise en scène, en janvier 2013 (dirigé remarquablement par Kent Nagano), en mars 2015, en décembre 2015 et nous renvoyons le lecteur à ces textes pour une analyse plus précise de ce travail.

Une mise en scène de l’humanité, par l’humanité et sur l’humanité

Au centre de la conception de Kriegenburg,  il y a l’humanité : une humanité instrumentalisée, instrument, outil dans Rheingold, Walküre, Siegfried, où elle figure qui le Rhin, qui des fauteuils, qui le Dragon ou les arbres : techniquement, cela nécessite un nombre impressionnant de figurants, visuellement c’est souvent impressionnant comme ce Rhin initial où règne encore l’amour et où les corps en couple se meuvent en flux et reflux métaphorique, pendant que le même Rhin dans Götterdämmerung, n’est plus qu’un amoncellement de corps solitaires ramassés sur lesquels navigue Siegfried.

Le voyage de Siegfried sur le Rhin

« Le voyage de Siegfried sur le Rhin » est la dernière vision d’un Siegfried héroïque et légendaire et la descente du Rhin est la descente du mythe vers le monde, abandonnant Brünnhilde dans une maison sui n’est qu’une boite faite de lattes de bois : de ces lattes de bois exiguës, on va passer à un gigantesque hall, outlet fait de métal et de verre, où tout se vend (Gewinn – le gain, projeté à en vomir sur l’ensemble du gigantesque décor. Car Götterdämmerung est une lecture impitoyable de notre monde.

Götterdämmerung comme Menschendämmerung (Crépuscule des hommes)

De leur côté les Nornes qui filent les destins humains avaient déjà fait le voyage, enserrant une humanité irradiée par Fukushima. Quand le spectacle a été créé en 2012, Fukushima (mars 2011) était encore très vif dans les mémoires. Même plus lointain dans le temps, il est évident que l’accident n’est pas oublié, et la vision des Nornes (somptueuses Okka von der Damerau, Jennifer Johnston et Anna Gabler) circulant au milieu de ces réfugiés de l’atome est encore très forte. La rupture du fil rouge enserrant les hommes et laissant l’avenir du monde aussi dramatique qu’incertain pose directement la question centrale de Götterdämmerung, qui est celle de l’humanité victime (prologue) ou pervertie par l’argent et le sexe (les Gibichungen) et donc conduite de toute manière irrémédiablement à sa fin.
Kriegenburg annonce la fin avec d’autant plus de violence qu’en contraste, le couple Brünnhilde-Siegfried vit encore dans son innocence et ses espoirs d’héroïsme. L’Anneau devenu aux mains de Brünnhilde emblème d’amour n’aura aucun mal à étendre sa malédiction et à inverser les valeurs. Illusion d’un amour éternel condamné au moment même où Siegfried part pour d’autres exploits, dont le dernier sera la prise de Brünnhilde…il n’y a plus d’héroïsme dans Götterdämmerung, et ce que Boulez appelle ferblanterie n’est que la somme de petites aventures, de petits gestes, de petites trahisons, avec les moyens les plus éculés (le philtre) qui est généré par l’humaine et méprisable condition.
Quand Siegfried tombe chez les Gibichungen, en même temps que sonne la fin de la musique du « Voyage de Siegfried sur le Rhin » il est pris dans un mouvement de foule qui ne le considère pas, il est littéralement perdu et offert à l’inconnu, dans l’anonymat de ces cadres affairés qui s’ignorent les uns les autres sans même se regarder .

Acte I : Siegfried (Stefan Vinke) et Gutrune (Anna Gabler)

Quant aux Gibichungen, ils succombent à toutes les tentations, l’argent, le désir, le sexe,  sans vision, sans volonté, sans même capacité à construire : livrés à Hagen, Gunther et Gutrune sont des caricatures. Gutrune est toujours l’extraordinaire Anna Gabler, interprète hors pair qui depuis 2012 se balance sur son cheval à bascule en forme de « € », ou ondule de la croupe auprès de chaque mâle ; même si la voix manque de puissance, l’incroyable présence en scène supplée. Gunther est Markus Eiche, l’un des meilleurs Gunther qui soient (sa prestation à Bayreuth était magnifique), timbre chaleureux, vocalement aussi présent et puissant qu’il est veule sur la scène, un des grands Gunther de notre temps, pour un rôle particulièrement ingrat qu’il arrive à rendre fascinant.

Hagen (Hans Peter König) et Gunther (Markus Eiche)

Hagen est toujours depuis 2012 Hans Peter König, qui ferait penser au « Président » de Gabin, plus mûr, plus posé, qui manipule les deux autres avec une distance un peu méprisante. Lui n’est l’homme que d’un seul but, récupérer l’Anneau pendant que les autres se dispersent et se diluent dans l’inepte d’un univers glacé traversé d’employés pressés, de femmes de ménage affairées à nettoyer…ou à honorer le maître Gunther.
Le Hagen de Hans Peter König n’est pas le méchant absolu, c’est lui aussi un humain à qui est refusé l’amour et le plaisir, et il y a justement chez lui une humanité désirée qui lui est refusée, ce n’est pas un personnage noir, c’est un politique.

Siegfried arrive un peu perdu, vêtu en héros et de suite décalé (on va vite lui chercher un costume), ne sachant ni fumer, ni boire les cocktails qu’on lui présente et Stefan Vinke a un air de Lou ravi qui convient parfaitement au personnage : l’acteur n’est pas exceptionnel, mais sa passivité, ses gestes maladroits, sont exactement ce qu’on attend dans la situation.

Acte I : Scène finale Siegfried (Stefan Vinke) Brünnhilde (Nina Stemme)

Dans cet univers, le livret est suivi avec grande fidélité, avec les mêmes ambiguïtés qu’ailleurs (pourquoi Siegfried garde-t-il l’anneau après avoir déclaré qu’il le prenait pour Gunther comme symbole d’union ? – Tobias Kratzer à Karlsruhe essaie de justifier la situation, mais ni Castorf à Bayreuth ni Kriegenburg à Munich n’affrontent la question dramaturgiquement si complexe-).
Le travail de Kriegenburg reste toujours aussi précis et attentif au deuxième acte. La confrontation entre un Hagen fatigué et vieilli, et son père Alberich dans la force de l’âge est singulière et forte. Telle est la force du désir tout d’une pièce chez l’un, et telle est la faiblesse de l’homme sur la terre chez l’autre. Le magnifique Alberich, à la voix incroyable d’expression et de puissance de John Lundgren se pose comme le seul qui depuis le prologue reste dans sa pleine vigueur, le dernier survivant de la première heure, qui ne disparaît pas à la fin du Crépuscule, la malédiction comme dernière trace d’éternité, l’espoir fait vivre.

On retient aussi cette belle image du début du troisième acte où la noce s’est probablement terminée en orgie où tous dorment ou cuvent : l’humanité sans espoir se vautre…et la circulation des trois filles du Rhin (Sonia Fomina, Rachael Wilson et Jennifer Johnston) entre ces corps endormis,  semble être ce qui reste de ce Rhin vivace et vivifiant qu’elles fêtaient dans Rheingold. La chute, toujours la chute.
Siegfried est l’un de ces corps, complètement deshéroïsé.
Il faut attendre l’image finale pour trouver un sens à cette catastrophe. Si Kupfer laissait Alberich seul face au public, comme une menace toujours présente, Kriegenburg laisse seule Gutrune désespérée devant le cadavre de son frère, rejointe bientôt par les jeunes tout en blanc de Rheingold qui se réunissent autour d’elle comme une corolle, laissant la fleur d’humanité comme ultime image bouleversante des dernières notes de la musique, la certitude qu'il reste l’humain, comme chez Chéreau. Ce Ring reste ouvert sur l’espérance, une espérance que peut-être la musique laisse aussi entrevoir.

Une direction musicale tendue vers le plateau

Car si la soirée du 11 février fut mémorable, c’est qu’une fois encore lorsque musique chant et mise en scène se rencontrent en une unité profonde bruissant de sens, le miracle se produit.
Kirill Petrenko approche l’opéra, quel qu’il soit d’une manière étrangère à tout narcissisme.
J’appelle direction narcissique une approche qui resterait à peu près identique quels que soient les contextes de production et qui s'écouterait. Petrenko au contraire n’est jamais identique à lui-même, comme les très grands chefs parce qu’il a d’abord une ductilité d’approche construite par des années de travail en théâtre, Meiningen d’abord (le théâtre de Hans von Bülow) puis la Komische Oper. Ce type de travail peut mener à la routine, à l’impersonnel chez les chefs qui ne sont que batteurs de mesure. Chez d’autres, il est l’occasion de sans cesse chercher d’autres voies, celles qui conviennent le mieux à la soirée, à la production, aux chanteurs.
Nous avons tous en tête le Ring de Petrenko à Bayreuth, énergique, respirant avec la production (Rheingold, peut-être le meilleur de Castorf, avec un Petrenko attentif au rythme, à la conversation, aux chanteurs qui rendit ce moment sans doute unique dans les Annales récentes du festival) : aux antipodes d’un Janowski certes remarquable chef, mais qui jouait (très bien) sa propre partition et non celle de la production, sans penser « Gesamtkunstwerk ».
Petrenko pense sans cesse « Gesamtkunstwerk », et c’est sans doute-là une de ses singularités. Rien du contexte hic et nunc de la représentation ne lui est étranger : il donne à l’orchestre systématiquement le tempo de la mise en scène, il l’accompagne en la commentant et  en élargissant ses effets, il accompagne aussi les chanteurs qu’il a à sa disposition, toujours attentif à ne jamais les couvrir, toujours attentif aussi à accompagner leur couleur vocale : il est lyrique quand il accompagne une Nina Stemme moins héroïque que lyrique, d’une vibrante humanité et il est lyrique quand à la fin quand tout est détruit, se lève la musique de l’espoir, celle d’un futur radieux qu’on entendait déjà dans la Walkyrie dans la bouche de Sieglinde ((« O hehrstes Wunder ! /Herrlichste Maid!/ Dir Treuen dank ich/ heiligen Trost!/Für ihn, den wir liebten,/rett ich das Liebste:/meines Dankes Lohn /lache dir einst ! /Lebe wohl ! /Dich segnet Sieglindes Weh ! /
/ O sainte merveille !/Vierge sublime !/À toi je dois/Un saint réconfort !/Pour lui, notre aimé,/L’enfant doit survivre:/Que mes vœux un jour/S’ouvrent sur toi !/Adieu donc,/Bénie par Sieglinde en pleurs ! »
Traduction de Alfred Ernst)).
Ainsi cette musique notamment dans cette production prend-elle tout son sens, et Petrenko en offre une version concentrée, presque retenue, en lien profond avec le timbre de Stemme  et qui en tout cas qui contraste avec l’extraordinaire pandemonium précédent. Tobias Kratzer à Karlsruhe en fait d’ailleurs la clef de mise en scène de son final si optimiste, soutenant qu’il s’agit d’une musique d’amour et d’espoir, bien loin d’une fin désespérante.

On ne va pas s’étendre sur la précision de la direction, ni sur la clarté et la lisibilité d’un orchestre au sommet de ses possibilités, c’est là le résultat d’un long travail, et même si sans doute (système de répertoire oblige) les répétitions ne furent sans doute pas trop nombreuses (on prépare à Munich en même temps une nouvelle production des Vêpres Siciliennes), on sait qu’elles sont toujours intenses (voir l’interview de Nadine Weissmann à ce propos) et que Petrenko demande à chacun d’aller au bout de ses possibles. Mais dans cet orchestre, chaque instrument porte un discours, et n’est mis en exergue que si la phrase de l’instrument prend sens par rapport à ce qu’on voit, et ce qu’on entend : la voix soliste est souvent accompagnée en écho dans la fosse par quelques instruments qui font sens, qui font écho : il y a dans ce travail musical un travail sur le sens, toujours. La substance qui donne son sens et sa couleur à la forme, et jamais l’inverse. Petrenko n’est pas celui qui s’étend sur la beauté d’un son et qui l’étire si cela n’éclaire pas le sens, c’est très net dans une marche funèbre dramatique et ramassée, ou même les dernières paroles de Siegfried accompagnées par les cordes rappelant le réveil de Brünnhilde.
C’est exactement ce qu’il recherche ailleurs, chez un Puccini ou un Strauss, où il saisit l’unité de la musique et du texte, pour en illuminer le sens. Mais le sens dramatique qu’il imprime , l’énergie qu’il sait déployer dans la révélation d’un moment, d’une scène, font aussi regretter qu’il n’aborde pas plus le répertoire italien, et notamment Verdi : la manière dont rendait le sextuor du final de l’acte II de Lucia di Lammermoor est encore dans les mémoires et pourrait laisser présager des  merveilles dans Verdi.
C’est sans doute paradoxal de l’affirmer, mais l’orchestre de Götterdämmerung vit le drame en accompagnateur génial, plus qu’en protagoniste : Petrenko crée ainsi le théâtre, offre les conditions au drame de se déployer : dans un théâtre à l’italienne, il rend sensible la volonté wagnérienne de fondre la musique dans l‘action dramatique, sans jamais faire spectacle à elle seule (même si, avouons-le, le regarder diriger est un spectacle en soi).

Une distribution à la hauteur de l’enjeu

Avec un tel soutien, avec une telle attention au plateau, le cast – de grande qualité – ne peut qu’être appelé à se surpasser.

Alberich :
John Lundgren en Alberich, on le répète à l’envi, trouve là sans doute son meilleur rôle : la voix jeune, puissante, engagée, le timbre chaleureux, font de cet Alberich un personnage éminemment vivant, éminemment énergique, qui tranchait déjà avec le Wanderer fatigué de Siegfried, mais qui tranche aussi avec Hagen, au bord de la désillusion, au bord de la fin, et qui semble trop penser (à son incapacité au bonheur, à sa vie sans lumière) pour pouvoir jusqu’au bout agir.

Hagen :
Hagen est un être pensant, sinon doutant, un calculateur politique, Alberich est une figure de mythe, tout d’une pièce, avec une énergie sans mélange, l’homme d’un but, obsessionnel. C’est là toute la différence : Alberich surgit de l’univers mythique et lointain des trois opéras précédents, et Hagen est quant à lui englué dans la ferblanterie humaine qui nécessite de manœuvrer et aussi de composer avec un certain réel. La voix de Hans Peter König, encore puissante et très expressive, a perdu un peu d’airain et pris de l’opacité, le timbre est moins brillant que naguère, mais cela donne une puissance d’autant plus forte au personnage dans la confrontation lassante avec ce père dont il n’a pas envie, mais aussi avec la fratrie des Gibichungen qu’il méprise et dont il se distancie. C’est un personnage qui s’impose par sa seule présence : on se souviendra encore longtemps de son dialogue avec l’orchestre lors du monologue de l’acte I « Hier sitz' ich zur Wacht… », où l’orchestre semble dire les profondeurs obscures de la Psychè, quand les paroles résument ce qui vient de se passer et expriment (seulement ?) satisfaction d’une victoire attendue.

Gunther :
On a dit tout le bien qu’on pense de Markus Eiche, dont le Gunther est à la fois un personnage faible et veule, mais à la voix riche, puissante, expressive : on entend derrière quelques accents qui pourraient mener à Alberich, voire à Wotan, un Wotan sans doute plus intérieur et plus subtil. En tous cas on entend les grands barytons wagnériens derrière cette voix de plus en plus affirmée. Markus Eiche est un chanteur « à texte », qui sait en détacher chaque mot, dans une notable clarté. Magnifique prestation.

Siegfried :
Stefan Vinke est un Siegfried très convaincant, pour une partie moins en force que dans Siegfried et qui demande plus de couleur peut-être et plus de subtilité. La voix est solide, le timbre moins nasal que la semaine précédente, et la présence forte d’un personnage décalé, en permanence un peu brut de décoffrage convient bien ici.

Acte III : Les filles de Rhin et Siegfried

Et puis il y a le troisième acte, aussi bien avec les filles du Rhin où il retrouve un peu le souvenir de cet héroïsme qu’il a perdu, englué dans les complots des humains : on sent aussi la leçon du travail avec Castorf dans une scène qui nécessite expressivité, accents, et couleur. Mais c’est dans la scène suivante qu’il est le plus bouleversant : la voix n’accuse pas de fatigue, elle est affirmée, puissante et aussi très émouvante, dans une expression naïve qui touche quelquefois au sublime tant on trouve cette fois un personnage qui est amour, alors que même dans Siegfried, on ne le percevait pas avec cette vérité : son évocation de Brünnhilde est vraiment bouleversante. Grand moment.

Les Nornes :
Du côté des personnages féminins, très nombreux, on reste impressionné par les Nornes de Okka von der Damerau, Anna Gabler et Jennifer Johnston, trois solistes à la personnalité forte et aux voix magnifiquement posées et projetées, trois solistes qui accordent au texte une importance notable : leur présence vocale et scénique dans ce prologue si impressionnant donne à l’aspect oraculaire de la scène un relief remarquable.

Les filles du Rhin :
De leur côté, les filles du Rhin, où l’on retrouve Jennifer Johnston aux côtés de Sofia Fomina et Rachael Wilson, son du point de vue sonore un pendant plus clair et plus lyrique que les Nornes, voix claires, affirmées, magnifiquement homogènes entre elles, elles s’imposent comme un des trios de filles du Rhin les plus en osmose…

Gutrune :
Anna Gabler comme évoqué plus haut n’a peut-être pas la puissance vocale qu’on entend ordinairement dans Gutrune – des Sieglinde, des Isolde ont chanté ce rôle – mais l’artiste compose un tel personnage, d’une vérité si criante, dans sa faiblesse toute humaine et sa bêtise, qu’elle emporte l’adhésion. C’est d’autant plus convaincant qu’elle est Gutrune depuis les origines de la production, qu’elle a travaillé avec Kriegenburg et qu’elle ne fait qu’un avec le rôle. Elle est toujours aussi déchirante dans les dernières images, seule et désespérée devant le cadavre de son frère :  l’humanité renaissante commence par sa propre renaissance.

Waltraute :
Parmi ces deux groupes, Okka von der Damerau est Waltraute, rançon de la qualité de la troupe de Munich que de proposer à l’une de ses membres les plus éminentes il est vrai, un rôle qui a été porté par les plus grandes, de Waltraud Meier à Yvonne Minton ou à Brigitte Fassbaender, de grandes chanteuses de Lied pour un rôle qui se réduit pratiquement à un monologue.
La mise en scène de Kriegenburg en fait un huis clos insupportable, irrespirable et depuis la première en 2012 y ont alterné Michaela Schuster et Okka von der Damerau.
Il y a dans la prestation de Okka von der Damerau une urgence dramatique forte, la voix s’est élargie, toujours avec de beaux graves mais aussi des aigus puissants, il y a dans la scène de la violence non dépourvue d’un certain expressionnisme. D’autres Waltraute sont peut-être plus intérieures (Waltraud Meier, Brigitte Fassbaender). Cette Waltraute convient bien à ce huis clos dont la violence s’exprime et ne se comprime pas. En tout cas cela confirme tout le bien que nous pensons d’Okka von der Damerau.

Acte I : Waltraute (Okka von der Damerau) Brünnhilde (Nina Stemme)

Brünnhilde :
Enfin Nina Stemme. J’avais le souvenir de son hallucinante prestation en 2013 dans cette production. Elle est ici proprement phénoménale, d’un lyrisme exacerbé, merveilleusement accompagnée par l’orchestre. Elle a le sens dramatique, l’expressivité, les accents vibrants, une présence en scène irradiante. La scène avec Waltraute est prodigieuse d’intensité, le deuxième acte bouleversant, avec des aigus à se damner. Mais c’est évidemment dans le monologue du troisième acte qu’elle accède à la légende. Stemme n’a rien d’une Nilsson de marbre vibrant, elle a un timbre plus charnu, plus chaleureux, qui font les immenses Sieglinde, et les Brünnhilde qui bouleversent avant de saisir d’étonnement. Douée d’un sens dramatique peu discutable, complètement immergée dans le rôle qu’elle domine depuis longtemps, elle met cette fois-ci son expérience et sa maturité au service de l’expression, elle sait retenir la voix, elle sait entendre l’orchestre, elle « est » Brünnhilde totalement immergée dans l’océan sonore déchainé par Petrenko, mais sachant aussi en émerger, affirmer une vraie personnalité et une vraie sensibilité. Admirable à tous points de vue.

Voilà arrivé le terme de ce cycle, où la mise en scène ne vieillit pas, dominé par une distribution de très haut niveau, et une direction musicale d'exception, sans doute unique aujourd'hui.
Voilà qui a procuré chaque soir ses émotions et encore et toujours ses surprises. Une écoute blasée d’un tel Wagner est impossible : chaque moment est désir d’une suite, d’un recommencement dont la corolle humaine finale est l’emblème si poétique.
Ce Götterdämmerung fut le miracle qui a couronné un ensemble unique. Munich est bien la deuxième maison de Richard Wagner.

Scène finale : Gutrune (Anna Gabler) et Brünnhilde (Nina Stemme)

 

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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.

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1 COMMENTAIRE

  1. Permettez moi mon cher cette opinion personnelle Munich est LA maison de Wagner.
    Peut être pas naturelle mais certainement élective.
    Attendons le Parsifal de juillet.… Bayreuth sera bien pâle après.

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