L'Opéra

Charles Gounod : « Ah ! lève-toi, soleil » ( Roméo et Juliette )
Jules Massenet : « Pourquoi me réveiller » ( Werther )
Ambroise Thomas : « Elle ne croyait pas » ( Mignon )
Georges Bizet :
« La fleur que tu m’avais jetée » ( Carmen )
« Au fond du temple saint » ( Les Pêcheurs de perles )
Edouard Lalo : « Vainement, ma bien-aimée » ( Le Roi d’Ys )
Jacques Offenbach : « O Dieu, de quelle ivresse » (Les Contes d’Hoffmann)
Giacomo Meyerbeer : « O paradis » ( L’Africaine )
Jules Massenet :
Songe de Des Grieux, Duo de Saint-Sulpice ( Manon )
« O souverain, ô juge, ô père » ( Le Cid )
Jacques Fromental Halévy : « Rachel, quand du Seigneur » ( La Juive )
Hector Berlioz :
« Merci, doux crépuscule » ( La Damnation de Faust )
« Inutiles regrets » ( Les Troyens )

Jonas Kaufmann, ténor
Sonya Yoncheva, soprano
Ludovic Tézier, baryton

Bayerisches Staatsorchester
Direction musicale Bertrand de Billy

1 CD Sony 88985390832 – 74 minutes

 

Enregistré au Staatsoper de Munich, du 24 avril au 1er mai 2017

A quelques jours de la première du Don Carlos de Verdi donné dans sa version française à la Bastille, l’écoute du dernier enregistrement studio du ténor Jonas Kaufmann s’impose, celui-ci intitulé « L’Opéra » étant consacré au grand répertoire français du XIXème siècle. L’occasion aussi pour ses admirateurs, comme pour ses détracteurs, de faire le point sur la santé vocale d’un artiste dont chaque respiration, chaque battement de cil et chaque annonce font l’objet d’analyses complexes et d'invraisemblables supputations.

Parvenu à un niveau de notoriété sans égal depuis Domingo et Pavarotti, rien ne semble pouvoir désormais être pardonné à Jonas Kaufmann, comme s’il fallait brûler sempiternellement ce que l’on a adoré. Les fanatiques de la première heure conserveront sans doute intacte leur passion pour ce ténor complet, capable d’enchanter avec la même assurance un stade de plein air avec « Parla piu piano » ou de faire frissonner d’aise un parterre de connaisseurs avec un Lohengrin au phrasé aérien. Opéra français, répertoire wagnérien, vérisme, opérette ou lieder, l’artiste voit grand, repousse les limites tout en calculant les risques, surtout après avoir été contraint au silence pendant plusieurs mois sans garantie de retour vocal après une intervention sur une corde vocale. Condamné au succès après avoir remporté tant de triomphes, de Paris à Londres, de Munich à Bayreuth, du Met à la Scala, du Teatro Colon à l’Opéra de Sydney, sans oublier le Japon, Jonas Kaufmann, star lyrique internationale, ne peut plus décevoir : terrible rançon d’une gloire exagérée on logique retour de bâton ? L’avenir le dira.

Alors que le tout Paris attend fébrilement d'entendre le premier Don Carlos en français du célébrissime ténor bavarois, dirigé par Philippe Jordan et mis en scène par Krzysztof Warlikowski, son dernier album publié chez Sony divise la critique en cette rentrée riche et enthousiasmante. Chez DG où il réalisa quelques beaux programmes, ou chez Sony devenue son écurie exclusive, Kaufmann n’a jamais choisi la facilité ou la gratuité ; si sa récente incursion dans la chanson napolitaine « Dolce vita » a pu en attrister certains, déjà surpris de le voir se « fourvoyer » dans l’opérette allemande – « Du bist die Welt für mich », qui cachait pourtant plusieurs perles ! – on peut y voir une concession à sa maison de disques, heureuse d’élargir un public compartimenté et volatile, entre deux projets plus sérieux. Car cet album consacré à l’Opéra français correspond bien à l’image que se fait le ténor de la musique : du risque, du plaisir, de la réflexion et du partage. Aucune œuvre inédite dans cette sélection qui célèbre le XIXème et montre les différents usages de la voix de ténor ainsi que son évolution au cours d'un siècle enivrant, de Meyerbeer à Massenet. Conçus pour le studio, ce choix d’ouvrages et de personnages très opposés n’est pas sas conséquence sur l’instrument du chanteur qui, malgré les prises et les séances ne parvient pas toujours à résoudre la quadrature du cercle. Hommage à peine voilé à Georges Thill et à Nicolaï Gedda, mais aussi à Caruso, rares ténors capables de mélanger les tessitures les plus variées, Jonas Kaufmann montre ses limites dans Les Contes d’Hoffmann (opéra qu’il aurait dû aborder il y a un an à la Bastille !) la hauteur de la tessiture du « O Dieu de quelle ivresse » l’obligeant à déplacer sa voix dans une zone inconfortable et à tirer sur son timbre, là où Gedda semblait illimité. Le songe de Des Grieux (Manon) bien que chanté avec scrupule, ne lui facilite pas la tâche et le présente sous un jour peu flatteur où l’on en vient à compter le nombre de ses années et à se dire que face à la fraîche Yoncheva, il ne peut plus faire illusion. Le duo de Saint-Sulpice le fatigue et il en vient à brutaliser son émission, s’enflammant bien sûr au contact de sa brûlante maîtresse, mais à quel prix !

Le personnage d’Eleazar ne semble pas l’avoir beaucoup inspiré, sa façon de jeter un sort sur chaque syllabe de « Rachel quand du seigneur » (La Juive), manque de naturel et les aigus sont négociés avec peine. Si son « O souverain » était connu et demeure flamboyant, l’air de L’Africaine de Meyerbeer est une nouveauté et un très grande réussite ; son timbre fauve aux reflets cuivrés et son art du piano/forte restituant merveilleusement l’émotion ressentie par le héros, Vasco de Gama.

Son art de canto spianato, sa capacité à alléger la ligne et à chanter sur un fil de voix lui permettent de dialoguer avec les cordes dans l’air de Wilhelm extrait de Mignon où le souvenir de Schipa est évoqué. Sans doute un peu trop intellectualisé, son air du Roi d’Ys « Vainement ma bien aimé », quasi murmuré est un modèle d’élégance et de pureté vocale, à l’égal du fameux « Ah lève-toi soleil » introductif, miracle d’élocution, de dynamique et de contrastes, entre ivresse éthérée et ardeur compulsive, conclu sur un piano à couper le souffle. Sa nouvelle interprétation de la « Fleur » est une fois pour toutes à ranger parmi les trésors de la Musique et devrait servir de maître-étalon aux générations futures, tant l’alliage entre la fièvre et l’abandon culmine dans cette déclaration d’amour absolue, pleinement chantée et soutenue par une technique infaillible. Sans parler de son Werther anthologique, au legato souverain sur lequel passe en un éclair la passion et la douleur la plus sombre, comme dans une toile de Caspar Friedrich. Jamais abordé à la scène son Nadir des Pêcheurs de perles vaut surtout pour la fusion d’un timbre magnifiquement expressif, tout en onctuosité, à celui non moins admirable du baryton Ludovic Tézier qui prête ici sa voix à Zurga. Après Faust, chanté comme au Met et à Paris, avec une maîtrise absolue de l’arc mélodique, une science des couleurs et une diction supérieure, Jonas Kaufmann termine ce panorama avec Enée des Troyens, non encore osé à ce jour, après sa défection en 2012. Dirigé avec une belle acuité musicale et un style très sûr, comme l’ensemble de ces pages, par Bertrand de Billy à a tête du Bayerisches Staatsorchester, le haletant récit de la fuite d’Enée des bras de Didon et de Carthage, bien qu’un peu tendu pour lui, qu’il s’agisse de l’ut de « Bienfaitrice de l’humanité » ou du si bémol conclusif qui aurait peut-être mérité une autre prise, vaut à lui seul l’acquisition de ce cd pour la partie médiane de l’air : « Ah quand viendra l’instant », ralentie à l’extrême, devient dans sa bouche la plus bouleversante des confessions qui puisse se faire, Kaufmann n’ayant pas son pareil pour iriser les mots, traduire la tristesse éprouvée par le héros d'Homère et sublimée la musique d’un Berlioz plus poète que jamais.

Une proposition audacieuse, malgré une direction artistique qui ne tient pas toutes ses promesses.

 

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François Lesueur
Après avoir suivi des études de Cinéma et d'Audiovisuel, François Lesueur se dirige vers le milieu musical où il occupe plusieurs postes, dont celui de régisseur-plateau sur différentes productions d'opéra. Il choisit cependant la fonction publique et intègre la Direction des affaires culturelles, où il est successivement en charge des salles de concerts, des théâtres municipaux, des partenariats mis en place dans les musées de la Ville de Paris avant d’intégrer Paris Musées, où il est responsable des privatisations d’espaces.  Sa passion pour le journalisme et l'art lyrique le conduisent en parallèle à écrire très tôt pour de nombreuses revues musicales françaises et étrangères, qui l’amènent à collaborer notamment au mensuel culturel suisse Scènes magazine de 1993 à 2016 et à intégrer la rédaction d’Opéra Magazine en 2015. Il est également critique musical pour le site concertclassic.com depuis 2006. Il s’est associé au wanderesite.com dès son lancement

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1 COMMENTAIRE

  1. Why do You talk about "une intervention sur une corde vocale"? Thats NOT true. He had a hematoma ( as other singers, f.e. Christa Ludwig) also suffered from ! Pleas make a correction !

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