Richard Strauss (1864–1949)
Elektra (1909)
Tragödie in einem Aufzug
Libretto von Hugo von Hoffmannsthal
Musikalische Leitung : Simone Young
Inszenierung, Bühne, Kostüme, Licht : Herbert Wernicke
Chor : Sören Eckhoff
Klytämnestra : Doris Soffel
Elektra : Nina Stemme
Chrysothemis : Ricarda Merbeth
Aegisth : Ulrich Reß
Orest : Johan Reuter
Der Pfleger des Orest : Kristof Klorek
Die Vertraute : Alyona Abramowa
Die Schleppträgerin : Paula Iancic
Ein junger Diener:Matthew Grills
Ein alter Diener : Peter Lobert
Die Aufseherin:Helena Zubanovich
Erste Magd : Okka von der Damerau
Zweite Magd : Rachael Wilson
Dritte Magd : Heike Grötzinger
Vierte Magd : Daniela Köhler
Fünfte Magd : Golda Schultz
  • Bayerisches Staatsorchester
  • Chor der Bayerischen Staatsoper
Bayrische Staatsoper, Munich, le 10 février 2017

Vingt ans déjà (1997) que la mise en scène d’Herbert Wernicke illustre à Munich l’Elektra de Strauss. Le grand metteur en scène allemand disparu s’est fait connaître au monde par un Vaisseau fantôme impressionnant dans ce même théâtre il y a 36 ans…Le temps passe et les grandes mises en scène exercent encore leur fascination sur le spectateur. C’est le parfum des grandes œuvres qui rend cette Elektra puissante, avec l’aide ce soir de la grande réalisation musicale offerte par Simone Young à la tête du Bayerisches Staatsorchester et d'une distribution rien moins que somptueuse dominée par Nina Stemme.

" Dans ma mise en scène munichoise, il n'y a ni abattoir, ni sang, ni bureau de Freud, ni salon d'une famille méchante. À la période des soap operas à la TV et de terribles drames familiaux, ou on épouse ce réalisme, ou on dit : le théâtre a d'autres possibilités esthétiques pour raconter une histoire comme Elektra. "
Herbert Wernicke

C’est la question abstraite du théâtre et de la tragédie qui est au centre de la problématique du travail de Wernicke, qui signe aussi décor, costumes, et lumières, qui exclut Elektra de la scène (elle est sur un podium incliné qu’elle quittera rarement au proscenium) et qui concentre toute l’action sur la surface réduite du proscenium.
Question du théâtre parce qu’en fait l’espace théâtral est caché au spectateur comme à l’héroïne par un panneau carré gigantesque qui pivote sur une diagonale partant du plan incliné sur lequel Elektra a élu domicile, ne dévoilant que partiellement l’espace qu’il cache, comme si et Elektra et le spectateur étaient exclus du palais, manière de faire partager l’interdiction qui frappe Elektra au public dans son ensemble et en même temps de créer des images d'une puissance inouïe quand le panneau pivote. Et ainsi, c’est une oppression indicible qui prend le spectateur, car à la violence de la musique répond une violence très rapprochée qui est celle du théâtre. Tous ont laissé Elektra seule mais tous viennent vers elle : elle qui est exclue (ou qui s’est exclue) devient en réalité le centre unique de l’attention. Elektra sur son podium est un veilleur, qui s’est exclue d’un univers avec lequel elle ne veut rien avoir à faire, mais en même temps, elle se tient là, comme si elle tenait la garde. Et le spectateur curieux se demande ce que cache l’univers qui lui est tout aussi interdit. Sous le panneau noir, lorsqu’il s’entrebaille puis s’ouvre, on découvre un escalier monumental sous un éclairage d’un rouge violent. D’une certaine manière, c’est le Rouge et le Noir visualisé, noir pour Elektra et Rouge pour le palais. Le deuil et le sang.
Le manteau de Clytemnestre ressemble au rideau de scène de l’Opéra de Munich, sorte de métaphore qui rend bien l’idée que tout ce qui se passe derrière est un théâtre, c’est à dire une sorte de fiction, de mensonge dans lequel tous les personnages vivent, en suspens et dans l’attente, dans l’attente de personnages extérieurs, Elektra d’un côté (à cour) et à jardin dans une loge d’avant-scène reliée par un escalier, Oreste et son serviteur qui attendent patiemment leur heure. Le destin est en salle, pendant que la boite cache ceux qui essayent de s’y soustraire.
C’est donc un travail hautement symbolique, qui n’est pas sans rappeler dans ses principes l’approche de Ruth Berghaus qu’on a revue à Lyon. Non qu’il y ait ressemblance, mais il y a ce lien qui fait de la machine théâtrale la machine infernale dont parle Cocteau. Wernicke, avec ses éclairages crus, avec ses personnages violents, avec cette proximité du spectateur puisque tout se passe au premier plan et avec cette tension née d'un contraste visuel de couleur d'une puissance rare, et d’un espace réduit qui rapproche inévitablement les personnages et de cette clôture de l’espace scénique qui est l’image même de l’impossibilité tragique, tout cela nous rapproche de l’espace brechtien vu chez Berghaus. D’autant que les personnages sont très typés par des costumes qui font signe : Elektra en noir, Clytemnestre en rouge sang, enveloppée du manteau royal copie du rideau de l’Opéra de Munich dont s’enveloppera ensuite Oreste, et enfin Chrystothémis en blanc, tache immaculée dans cet univers de contrastes qui n’a pas les « outils » de la vengeance, et ne supporte pas de tenir cette hache que lui met Elektra dans les mains, un des objets fétiches de la mise en scène. Oreste, lui, vient d’ailleurs, c’est le voyageur en costume-cravate, spectateur de l’opéra qui se déroule devant lui, d’abord extérieur et puis acteur, et qui va prendre le pouvoir. Wernicke ne fait pas de cet Oreste un fuyard épouvanté du meurtre, mais lui fait dans la scène finale gravir cérémonieusement l’escalier monumental, celui du pouvoir, revêtu du manteau royal de Clytemnestre avec un bras tendu qui rappelle singulièrement certains saluts, certains tuent le père, il a tué la mère. On assiste à la prise du pouvoir par Oreste, devant le cadavre de sa sœur et les cris épouvantés de l’autre sœur Chrysothémis, comme un quelconque coup d'état. Le rouge est mis. Et à la fin, pas de danse, pas de transe : Wernicke disait lui-même que cet opéra demandait du "calme" (!), et que "le spectateur devait être forcé de regarder Elektra dans les yeux".
À cette mise en scène qui n’a rien perdu de sa force ni de la puissance de son pouvoir visuel et scénique , après 20 ans ou peu s’en faut de loyaux services, correspond ce soir une réalisation musicale de haut vol, avec une distribution dominée par Nina Stemme et une très remarquable direction de Simone Young.
C’est bien d’abord Simone Young qu’il faut saluer, un des chefs (ou une des cheffes ?) qui comptent aujourd’hui. Une direction tendue, à la tête d’un Bayerisches Staatsorchester qui porte Strauss dans ses gènes, aucune scorie, une précision extraordinaire, avec un sens incroyable des nuances et des volumes, dans les conditions habituelles de reprise dans un théâtre de répertoire (c’est à dire sans répétitions ou quasi). Beaucoup de raffinement, beaucoup d’énergie et une dynamique qui ne fait jamais retomber la tension. Une fois encore, on note les chefs d’envergure à leur manière de faire entendre le texte, de le mettre en valeur, et de ne jamais couvrir les chanteurs dans une œuvre où la masse orchestrale est immense en cherchant seulement à rendre les raffinements de l'écriture musicale. Je ne comprends pas qu’on ne voie pas cette chef plus souvent à Paris (apparue seulement pour des Contes d’Hoffmann en 1993/94) alors qu’elle est une référence aujourd’hui pour Wagner et Strauss, et que son passage à la tête de la Staatsoper de Hambourg a été très remarqué.
C’est donc un quatuor féminin de grande envergure qu’il nous est donné ce soir d’entendre, Simone Young, et le trio Nina Stemme, Doris Soffel, Ricarda Merbeth.
Doris Soffel est Clytemnestre, la voix reste parfaitement adaptée à un rôle dont elle connaît les moindres nuances : avec un sens de la parole et de l’expression rares, elle donne à sa Clytemnestre étouffée sous un lourd costume couleur sang et revêtue du lourd manteau cité plus haut une humanité qui tranche avec la vision du personnage lointain descendu de son ciel sur ce grand escalier qui semble sorti d’une revue berlinoise. Une grande et belle performance.
Ricarda Merbeth est Chrysothemis, ce soir un peu en retrait, la voix est là mais moins en forme que d’autres soirs, elle chante avec conviction, sans avoir cependant la déchirante humanité d’autres ; c’est une belle Chrysothémis, à défaut d’atteindre à la grandeur : il reste que la prestation évidemment de très haut niveau vaut un gros succès public.
Nina Stemme enfin était Elektra, avec les qualités de cette immense artiste, puissance, volume, énergie, ligne et une magnifique voix au corps charnu. La mise en scène lui sied mieux que celle de Chéreau qui lui demandait sans doute un engagement différent. De plus la position permanente au proscenium permet à sa voix d’atteindre directement le spectateur. J’ai cependant toujours un doute sur son adéquation au rôle . Je ne sens toujours pas la couleur d’une Elektra, mais plutôt d’une Chrysothémis qui serait sans doute époustouflante (un duel Stemme-Herlitzius vaudrait bien le duel Nilsson-Rysanek de jadis). Mais ce sont qu’arguties de spectateur trop difficile ou trop gâté : la prestation reste impressionnante – oui. Mais pas émouvante.

Tout le reste de la distribution est évidemment comme souvent à Munich, honorable grâce à une troupe d’un excellent niveau. L’Orest de Johan Reuter est très correct, avec un très beau timbre, un peu glacial cependant et sans avoir le relief attendu ; l’intensité, c’est Stemme l'alimente durant la scène de la reconnaissance. L’Aegisth d’Ulrich Reß est comme toujours excellent caractériste. C’est du côté des servantes que viennent les surprises du jour : la somptueuse Okka von der Damerau en première servante, toujours un plaisir d’entendre cette voix magnifiquement timbrée et si présente, et Golda Schultz en cinquième servante : la jeune soprano sud-africaine, en troupe à Munich, qui sera Sophie de Rosenkavalier le lendemain, est un soleil dans son intervention de la première scène, avec une intensité qui prend aux tripes.
C’était une soirée de répertoire à Munich, qui vaut bien des nouvelles productions…La magie tendue de Wernicke, la limpidité de Simone Young et la force d’une distribution des grands soirs. Que demander d’autre ?

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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.
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