Otello (1887)
Dramma lirico in quattro atti
Livret de Arrigo Boito
d'après William Shakespeare

Inszenierung  Calixto Bieito
Bühnenbild     Susanne Gschwender
Kostüme          Ingo Krügler
Licht                 Michael Bauer
Dramaturgie    Ute Vollmar

Otello                  Marco Berti
Jago                     Claudio Sgura
Cassio                  Markus Nykänen
Roderigo             Peter Galliard
Lodovico             Alexander Roslavets
Montano             Bruno Vargas
Un Araldo           Michael Reder
Desdemona         Svetlana Aksenova
Emilia                  Nadezhda Karyazina

Chor der Hamburgischen Staatsoper (Chef des choeurs : Eberhard Friedrich)
Philharmonisches Staatsorchester Hamburg

Direction musicale : Caolo Carignani

Hamburgische Staatsoper, 14 janvier 2017

George Delnon, passant d’intendant de Bâle à intendant de Hambourg a fait venir cette production de Calixto Bieito d’Otello, créée à Bâle en 2015, lors de sa dernière saison. Production sombre, inquiétante, épurée et débarrassée de tout ce qui pourrait être anecdotique, elle pose le problème habituel chez Bieito des perversions du pouvoir, installant la tragédie dans un univers métallique et hostile, celui d’un dock et en faisant l’histoire de l’impossibilité d’aimer dans un univers totalitaire.

 

Voir sur le Blog duWanderer  le compte rendu de la production bâloise 

 

 

Chez Calixto Bieito, l’amour, s’il existe, entre Desdemona et Otello reste distant : les deux êtres ne se touchent pas : le fameux duo du premier acte sensé être un duo d’amour se déroule à distance, et les deux partent chacun de leur côté à la fin de ce qui finit habituellement  dans l’intimité. Et, dans sa colère de la première scène du 3ème acte, Otello viole Desdemone, comme si la seule manière de toucher l’être aimé(?) était de le violenter ; enfin, dans le final du 4ème acte, il réclame l’ultime baiser à un cadavre situé un niveau plus bas, pendant qu’il se suicide au- dessus des spectateurs, au bout de la grue, seul.
Le pouvoir rime avec violence, dans cet univers où dès la première image le peuple est séparé des protagonistes par des barbelés, un peuple concentré sur le port qui pourrait être tout aussi bien des prisonniers ou des réfugiés, mais oppressé et raillé par les représentants du pouvoir et où tout est uniformément noir. D’un monde pareil, il n’y a rien à attendre et surtout pas d’amour.
Ainsi donc Susanne Gschwender la décoratrice construit-elle un univers désolé de docks, de grues, de métal et de rails. Un univers où il n’est pas si facile de circuler, où les personnages se hissent dans la grue grâce à une échelle métallique, où ils trébuchent sur des rails fixés au sol, un univers uniformément hostile, d’où est évacuée toute beauté et où règne une universelle froideur (éclairages violents et contrastés de Michael Bauer). Dans cet Otello, aucun détail qui pourrait faire pittoresque, mais un espace qui n’est que tragique où les personnages sont solitaires, et duquel Jago ne sort jamais, observant toujours en fond de scène le piège qu’il est en train de tisser comme l’araignée sa toile.
Et la violence inhérente à cette histoire est vraiment une affaire de pouvoir, de situation totalitaire née peut-être d’un Otello au passé trouble : elle n’a rien d’un drame dont le héros serait un maure, dont l’altérité à elle seule pourrait justifier la violence et l’excès : Bieito efface toute référence raciale, et fait de l’ensemble du drame un tissu d’enjeux de pouvoir et de haine, entre blancs.

Cet Otello est désespérant, tissé de violence sourde, visible et invisible, explicite et implicite, à laquelle aucun personnage n’échappe, pas même l’ambassadeur de Venise (Roderigo) brutalement agressé par Otello.
Pour un travail aussi profondément pessimiste et désespéré, il eût peut-être fallu une direction plus inspirée que celle de Paolo Carignani, chef presque obligé de nombreuses représentations verdiennes en Allemagne, d’un grand secours pour les orchestres qui n’ont pas tous une familiarité marquée  avec l’univers verdien. Sa direction très précise et sans scories reste tout de même en-deçà de ce qui est attendu dans ce drame. C’est une direction qui accompagne les chanteurs avec un souci de mise en place rigoureuse, et un soutien sans faille, mais sans âme. On aimerait pour Otello une approche plus inspirée, une plus grande respiration, du relief et de la profondeur. Cette direction n’est pas médiocre, mais extérieure et distante – ce qui n’est pas contradictoire d’ailleurs avec le propos de Bieito.

En revanche, le chœur dirigé par Eberhard Friedrich fait preuve d’un engagement et d’une préparation particuliers, notamment dans la première scène, où tout doit être tiré au cordeau, et qui est particulièrement impressionnante, mais aussi au troisième acte, dans la grande scène de l’envoyé du doge.
On sait qu’il n’est pas facile de trouver sur le marché lyrique un Otello. Le rôle exige non seulement des qualités vocales notables (Vickers et Domingo furent les derniers des grands Otello mythiques), qui demandent à la fois lyrisme extatique et héroïsme au premier acte, et violence presque continue pendant tout le reste : Otello est un rôle à voix, mais pas seulement, comme souvent. Et Marco Berti pour ses débuts à Hambourg, remplaçant Carlos Ventre, le ténor initialement prévu a indiscutablement la voix, sans pour autant nous émouvoir dans Otello. La force de Marco Berti, c’est la solidité,  ce sont les aigus, larges, bien tenus,; sa faiblesse, c’est tout le reste, même si la mise en scène ici l’amène à plus d’engagement qu’à l’accoutumée, même s’il n’a répété qu’une semaine. Il n’y a pas de subtilité dans ce chant tout d’une pièce, peu coloré, peu intériorisé, marqué par la fréquentation des rôles véristes, qui semble avoir oublié que Verdi, lui n’a jamais oublié le bel cantare et l’exigence de style et de ligne de chant. Cet Otello est correct, mais n’entrera pas dans la mémoire.
Claudio Sgura est plus raffiné dans son chant, sans doute plus ressenti et plus maîtrisé, qui donne à la parole le rôle déterminant qu’elle doit avoir dans un rôle où la couleur est essentielle. La voix, sans être grande, est assez bien projetée et le chant est coloré, attentif, non dépourvu de subtilité mais sans noirceur. Il lui manque un peu de puissance et de projection, mais l’ensemble de la prestation est notable.
Le Cassio de Markus Nykänen (qui était aussi Cassio à Bâle) montre que Cassio n’est pas un rôle si facile, même si c’est un rôle secondaire – on se souvient à Salzbourg la saison dernière de Benjamin Bernheim, qui l’avait transcendé. Bieito en fait un personnage sans relief et fade, ce qui met d’autant en relief les mensonges de Jago et le piège dans lequel tombe Otello. Son épouse le tromperait donc avec un personnage sans caractère, très éloigné de ce qu’il est, opposé même. Ce qui ne peut que renforcer sa fureur. Markus Nikänen au timbre agréable sans plus et à la voix manquant un peu de puissance est ce Cassio-là, gentil et sage, mais sans grand intérêt. Lodovico (Alexander Roslavets) n’est pas dépourvu de relief vocal, ni le Roderigo de Peter Galliard ou le Montano de Bruno Vargas : la scène initiale et le crescendo des échanges entre les personnages pendant que Cassio s’enivre est particulièrement habitée, tant par la mise en scène que par l’engagement des protagonistes..
Du côté féminin, Bieito donne un profil particulier à Emilia, habituellement plus proche d’une gouvernante un peu effacée. Ici, le personnage de femme plutôt délurée, à la mode, une femme des allées du pouvoir séduisante et à la personnalité marquée est très bien endossé par Nadezha Karyazina, à la voix non dépourvue d’attraits.
Quant à la Desdemone de Svetlana Aksenova qui chantait aussi la production de Bâle (sous le nom de Svetlana Ignatovitch) elle est, comme à Bâle,  très émouvante, même si vocalement elle ne réussit pas à donner toute la subtilité au personnage, notamment au premier acte  par une difficulté à moduler et à chanter piano. Néanmoins, elle reste impressionnante voire déchirante dans la manière dont elle a épousé la mise en scène de Bieito dans la chanson du saule et l’Ave Maria, où elle est accrochée au bord du vide, ses deux bras enroulés dans les barres métalliques de la grue, comme une figure christique, et une image de torture. Encore une fois cette scène si impressionnante et inattendue fait un effet particulièrement violent sur le spectateur. Cet Otello des docks pourrait s’appeler Desdemona crocifissa, parce que c’est le personnage qui au milieu de toute cette noirceur , de ces infamies et de cette violence, reste de manière inébranlable, innocente, aimante, et même naïve, des qualités qui n’ont pas place dans le monde vu par Bieito.

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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.
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