Lohengrin

Opéra en trois actes de Richard Wagner (1813–1883) créé le 28 août 1850 à Weimar d'après un livret du compositeur

Mise en scène : Claus Guth
Décors et costumes : Christian Schmidt
Lumières : Olaf Winter
Dramaturgie : Ronny Dietrich

Avec :  Jonas Kaufmann (Lohengrin), Maria Serafin (Elsa von Brabant), Evelyn Herlitzius (Ortrud), Tomasz Konieczny (Friedrich von Telramund), René Pape (Heinrich der Vogler), Egils Silins (Der Heerrufer des Königs)

Chœurs et Orchestre de l’Opéra National de Paris
Chef des Chœurs : José Luis Basso

Direction musicale : Philippe Jordan

 

18 janvier 2017 à l'Opéra Bastille

Ein Wunder !

Il y a des soirs de première à ne pas manquer. C'est particulièrement vrai pour ce Lohengrin parisien, en dehors de toutes concessions à l'attrait pour les paillettes et les sujets de tabloïds. Après plus de cinq mois de repos forcé après des ennuis médicaux, Jonas Kaufmann est de retour sur scène dans un rôle qu'il avait interprété à Bayreuth un été seulement, en 2010 et dans cette même mise en scène signée Claus Guth pour l'inauguration de la saison lyrique de la Scala en 2012 (voir Le Blog du Wanderer).

Claus Guth fait de Lohengrin une lecture qui ne garde rien, extérieurement parlant, du héros en armure débarquant sur les rivages de l'Escaut dans une nacelle tirée par un cygne. Tout juste si quelques plumes tombent du ciel ou si, çà et là, une aile se déplie… Pour le reste, il conserve l'essentiel du matériel narratif que contient cette légende mais l'adapte et le transforme sous une forme qu'on pourrait rapprocher des "fonctions", selon la terminologie de Vladimir Propp dans sa "Morphologie du conte". Il résulte de ce travail minutieux et fascinant un portrait en creux qui révèle l'avers du héros romantique au lieu de le cantonner dans l'étroit contour d'une image Liebig.

Lohengrin c'est, nous dit le metteur en scène dans le livret de présentation, "celui qui abandonne toujours". Frissons dans la salle au moment de son apparition… si Hans Neuenfels nous montrait l'héritier du Brabant tel un fœtus dans son œuf de cygne, Claus Guth le révèle au public au détour d'un mouvement de foule qui s'écarte et l'aperçoit, gisant tremblant à même le sol. Plutôt qu'un cygne, on pense davantage à l'Albatros baudelairien et ses ailes de géant qui l'empêchent (littéralement ici) de marcher. Un trauma mystérieux continue de l'agiter, le contraignant à un jeu d'acteur, certes taillé sur mesure, mais un peu répétitif à la longue. L'action se déroule entre les trois façades-galeries d'un immeuble bourgeois qui tantôt se rapprochent (au II), tantôt s'éloignent en délimitant une sorte de jardin intérieur représentant le rivage où accoste et embarque Lohengrin (au III).

L'intérêt se concentre sur la relation ambiguë entre Elsa et Ortrud, dont l'opposition et la sororité apparaît dans le jeu de miroir des robes alternativement blanches et noires ou dans le défilé de scènes multiples jouées simultanément. Claus Guth développe ici l'un des aspects les plus significatifs de sa scénographie, largement inspiré par les fameuses remontées d'images, dites "traces mnésiques" par Freud. Le plateau est divisé en de multiples espaces où apparaissent et disparaissent des actions passées ou fantasmées, telles les leçons de piano d'Elsa avec Ortrud en marâtre sadique ou bien cette présence fugace des images du jeune frère disparu. La présence des soldats en uniformes errant dans les roseaux qui délimitent la berge du fleuve évoque volontiers les circonstances de la disparition tragique de Louis II de Bavière dans les eaux du lac de Starnberg.

La performance de Jonas Kaufmann attire irrésistiblement l'attention, tant pour le jeu que pour le chant. Dès son Nun sei bedankt, mein lieber Schwan l'affaire est "entendue", assez clairement en tous cas pour qu'on puisse déclarer que la voix n'a rien perdu de son chatoiement et de son impact émotionnel. Dans le final du II pourtant, il semblera en deçà de ses moyens et plus prudent dans ses aigus mais avec, il est vrai, un Tomasz Konieczny qui chante à plein puissance. Il faudra attendre le final du III pour retrouver les sommets, dans un "In fernem Land" murmuré sur un souffle, avec une intelligence et une musicalité absolument prodigieuses. Honneur aux méchants avec l'Ortrud animale et glaçante d'Evelyn Helitzius, qui réussit une fois de plus dans ce rôle ce qui lui échappe (notamment en Isolde). La voix est sinueuse et pas toujours très juste dans les intonations – peu importe. Elle fascine et s'empare du rôle comme jamais auparavant. Tomasz Konieczny répond à cette présence électrisante par un Telramund véhément qui sait dissimuler des défauts de ligne par une incarnation hors norme. Des lauriers également pour le héraut d'Egils Silins et Heinrich der Vogler, auquel René Pape offre une voix saine et bien charpentée. Martina Serafin joue sur un registre plus égal et son Elsa manque du relief et du volume exigés par le rôle. La direction de Philippe Jordan accompagne l'action plus qu'elle ne la sollicite. Fluide autant que cursif, l'Orchestre de l'Opéra de Paris se déploie avec une majesté qui détaille les pupitres sans l'énergie et la pulsion du drame qui se joue au-dessus de lui tandis que le chœur, préparé par José Luis Basso, signe une prestation marquée par une belle couleur d'ensemble et une présence qui déjoue la vaste acoustique de Bastille.

 

 

 

 

 

 

 

 

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David Verdier
David Verdier Diplômé en musicologie et lettres modernes à l'université de Provence, il vit et enseigne à Paris. Collabore à plusieurs revues dont les Cahiers Critiques de Poésie et la revue Europe où il étudie le lien entre littérature et musique contemporaine. Rédacteur auprès de Scènes magazine Genève et Dissonance (Bâle), il fait partie des co-fondateurs du site wanderersite.com, consacré à l'actualité musicale et lyrique, ainsi qu'au théâtre et les arts de la scène.
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