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C'est le cas pour cette Symphonie n°1 de Bruckner et de la Symphonie concertante K.364 de Mozart, interprétée par le violoniste Wolfgang Brandl et l'altiste Yulia Deyneka, tous deux membres de la Staatskapelle de Berlin. Œuvre-phare de la période parisienne de Mozart, ce dialogue aérien autant qu'amoureux réunit deux timbres qui forment un portrait musical précurseur du romantisme. Barenboim ne sentimentalise pas outre mesure, donnant à la pimpante introduction orchestrale allegro maestoso une vivacité grand style qui entraîne les deux solistes à démarrer sur des chapeaux de roue. Rapport de cause à effet ? Les deux discours sont d'une linéarité assez mortifiante, jouant quasi dos à dos une musique écrite comme une suite dialoguée de regards et de gestes. La cadence est émaillée d'intonations à la justesse relative avec au retour de l'orchestre, cette façon parfois incongrue de s'ébrouer au détour d'une phrase, au risque de dévorer les solistes. Plus attendri d'esprit et de tempo, l'andante se présente sous de bons auspices côté orchestre. Une inspiration qui ne semble pas atteindre l'archet très droit de Wolfgang Brandl et le vibrato étroit de Yulia Deyneka qui durcit systématiquement les fins de phrases. Le presto final picore un staccato moucheté, trop rapide pour garantir la lisibilité et l'équilibre des interventions solistes.

 

Avec pas moins de trois intégrales enregistrées avec l'Orchestre Symphonique de Chicago, le Philharmonique et la Staatskapelle de Berlin, Daniel Barenboim a affirmé durant toute sa carrière son attachement à la musique d'Anton Bruckner. Visiblement peu intéressé par les fameuses versions "nullte" précédant le début de la numérotation de ses symphonies, il propose de débuter par la Symphonie n°1 en ut mineur. On est ici dans un Bruckner d'avant Bruckner ; le serioso ne s'efface pas encore derrière le spirituel et le mystique mais l'ensemble porte en son sein des éléments facilement reconnaissables des chefs d'œuvres à venir, à la manière d'un vaste carnet d'esquisses. Ainsi, cette noirceur continue que la direction de Barenboim imprime à l'allegro molto moderato comme pour mieux souligner la filiation avec les grandes arches rugueuses de la 3e ou de la 5e symphonie. La carrure et les contours rythmiques sont affirmés par le simple poids du son durant tout l'adagio, au risque d'une émollience continue qui tient lieu de chant. L'acmé qui se profile à la fin du mouvement se construit vers un étagement du volume davantage qu'une résonance qui en détaillerait le grain, comme chez Claudio Abbado à Lucerne ou Günter Wand dans son intégrale avec l'Orchestre de la radio de Cologne par exemple. L'impact et l'allant du scherzo alterne avec un trio assez sobre et peu démonstratif. La véhémence assez brouillonne du finale con fuoco se heurte à des trouées statiques où la minceur d'écriture se double d'une interprétation à fleur de notes. La pulsation assez laborieuse de la coda plombe une élévation finale qui s'en tient à une parade assez bruyante et désordonnée.

 

La seconde soirée s'ouvre avec un 20e concerto K.466 de Mozart interprété comme à son habitude, dos au public. Dès l'introduction, on devine dans la tristesse des syncopes qu'il se joue là une chose sérieuse et dépourvue de fantaisie, malgré l'indication allegro. La main droite anime un discours qui s'éclaire parfois de doubles croches rageuses comme pour secouer un ciel désespérément gris. Il faut attendre la cadence de la Romance centrale pour que la ligne s'assouplisse enfin et libère un chant jusqu'alors tenu sous cloche. Abordé plus prudemment, l'allegro assai renoue avec une austérité qui fait paraître incongrue la coda sur la section conclusive.

Fervent partisan de la version établie en 1997 par William Carragan d'après Nowak, Daniel Barenboim trouve dans la Symphonie n°2 de Bruckner une justesse de ton et d'élan qui séduit l'écoute dès les premiers instants. Le ziemlich schnell initial fait miroiter une alternance de motifs champêtres particulièrement mis en valeur par la couleur des bois et la répétition des motifs qui conduisent à l'intervention des cuivres. Une ponctuation chromatique remarquable conduit à l'entrelacs des deux thèmes et la conclusion giratoire et tourmentée est un véritable chef d'œuvre d'équilibre et d'expression. L'adagio Feierlich, etwas bewegt cite le Benedictus de la Messe en fa mineur – allusion à l'infini mystique que Barenboim ne cherche à aucun moment à souligner par une ampleur surlignée. Les crescendos chantent avec un naturel confondant et des contrastes très chaleureux. À la fois très incisifs et très souples, les parties dialoguées du Scherzo font circuler les thèmes avec précision et insistance. Impossible dans le Finale de dissimuler les maladresses d'écriture qui multiplient les issues comme autant d'"options-gigognes", pas toujours convaincantes. En faisant le choix d'une lisibilité et d'un équilibre remarquables, Barenboim donne à cette musique encore mal dégrossie une dimension souveraine.

Le cycle se referme sur un couplage 22e Concerto pour piano de Mozart / Troisième Symphonie de Bruckner, que rien ne semble pouvoir rassembler sauf à vouloir créer un puissant contraste, de l'aveu même de Daniel Barenboim lors d'une conférence donnée en septembre dernier. La ligne bistrée de l'allegro fait mentir le joyeux tumulte communicatif qu'on y entend souvent. Le piano durcit le ton et contraint l'orchestre à une sévérité de mauvais aloi. La dimension expressive du chant est régulièrement troublée par des variations de tempos et des soubresauts dans les phrasés. On demeure circonspect en entendant les défauts de mise en place qui émaillent l'andante dans la partie en ut mineur. Pris en dessous du tempo par excès de prudence, le Finale atteint pourtant une vitesse de croisière qui produit son effet et fait briller toute la seconde partie.

La boucle se referme avec une Troisième Symphonie en ré mineur dite "Wagner", première œuvre saluée comme un succès du vivant de Bruckner, et ce, au prix de sévères amputations suite à la création à Vienne en 1873. Optant pour la seconde version (1877), Barenboim ne cherche jamais à exagérer la tension du Gemässigt misterioso, préférant le confort d'une agogique assez étale sur la durée. La longueur d'archet ne permet pas à la coda finale de s'élever jusqu'à l'incandescence ; en privilégiant la chair du son, le chef omet l'échafaudage et la carrure rythmiques qui lui donnerait l'élan pour atteindre au sublime (ou sublimation au sens physique du terme).

Blessé à la main par sa propre baguette, Daniel Barenboim est contraint de quitter momentanément le pupitre avant l'adagio. L'incident mineur ne vient en rien bousculer les options prises dans le premier mouvement. Ce Feierlich est bien horizontal et manque de verser à plusieurs reprises dans le bas-côté, faute d'un pupitre de cor suffisamment précis dans ses interventions. L'alternance assez monotones de nuances forte/pianissimo ne permet pas de dégager une vision souveraine autant qu'inspirée. On trouvera davantage d'engagement et de brio dans un Scherzo à la fois bien proportionné et bien chantant. L'enthousiasme se propage au Finale, malgré une conclusion qui, à trop vouloir contenir tous les risques, refuse l'obstacle et désarçonne son cavalier. Sentiments mitigés, donc – mais l'assurance de tenir là une lecture, certes personnelle, mais de toute évidence de premier plan. Les Huitième et Neuvième Symphonies seront données l'an prochain – un rendez-vous à ne pas manquer.

 

NB : les concerts sont diffusés sur http://live.philharmoniedeparis.fr/Concerts.html

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David Verdier
David Verdier Diplômé en musicologie et lettres modernes à l'université de Provence, il vit et enseigne à Paris. Collabore à plusieurs revues dont les Cahiers Critiques de Poésie et la revue Europe où il étudie le lien entre littérature et musique contemporaine. Rédacteur auprès de Scènes magazine Genève et Dissonance (Bâle), il fait partie des co-fondateurs du site wanderersite.com, consacré à l'actualité musicale et lyrique, ainsi qu'au théâtre et les arts de la scène.

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