Opéra-bouffe en trois actes, paroles d’Henri Chivot et Alfred Duru
Musique de Louis-Auguste-Florimond Ronger dit Hervé (1825–1892)

Représenté pour la première fois le 17 novembre 1866 au Théâtre des Bouffes-Parisiens
Version pour treize chanteurs et douze instrumentistes

Compagnie LES BRIGANDS
Direction musicale Christophe Grapperon
Mise en scène Pierre-André Weitz
assisté de Victoria Duhamel

Chefs de chant Nicolas Ducloux et Christophe Manien

Travail corporel Iris Florentiny et Yacnoy Abreu Alfonso
Costumes et scénographie Pierre-André Weitz
assisté de Pierre Lebon et Mathieu Crescence

Régie plateau Ingrid Chevalier et Clarice Flocon
Lumières Bertrand Killy

Avec :

Rodomont, le duc : Damien Bigourdan
Sacripant, sénéchal : Antoine Philippot
Merlin, enchanteur : Arnaud Marzorati
Médor, jeune ménestrel : Manuel Nuñez Camelino
Totoche, la duchesse : Ingrid Perruche
Angélique, sa belle-fille : Lara Neumann
Mélusine, magicienne : Chantal Santon-Jeffery
Fleur-de-Neige : Clémentine Bourgoin
Roland, chevalier errant : Samy Camps
Amadis des Gaules : David Ghilardi
Lancelot du Lac : Théophile Alexandre
Renaud de Montauban : Jérémie Delvert
Ogier le Danois : Pierre Lebon

Transcription pour treize chanteurs et douze instrumentistes de Thibault Perrine

16 décembre 2016 à l'Athénée Théâtre Louis Jouvet

Attention. Les tonitruants Brigands débarquent à l'Athénée Théâtre Louis Jouvet pour une série de représentations des Chevaliers de la Table ronde d'Hervé. Pétillante et délirante occasion de célébrer un maître incontesté du genre comique.

Un drôle de zigue ce Louis-Auguste-Florimond Ronger dit Hervé. Monté à Paris pour suivre les cours d'Auber, il y fit tout d'abord carrière dans l'austère et officiel emploi d'organiste à Saint-Eustache puis à l'hospice de Bicêtre, histoire de parfaire chez les fous un atavisme grandissant pour le genre bouffe et l'opérette légère… Est-ce un hasard ? Le titre d'un de ses ouvrages lui servit de surnom pour la postérité : "Le compositeur toqué". Dès lors, ce rival (et néanmoins ami) de Jacques Offenbach fit les beaux jours d'un "genre loufoque, burlesque, échevelé, endiablé, cocasse, hilare, saugrenu, catapulteux".

Il faut saluer la belle initiative du Palazzetto Bru Zane d'avoir confronté les talents de la compagnie Les Brigands avec Pierre-André Weitz pour ramener sur scène ces Chevaliers de la Table ronde créés aux Bouffes-Parisiens en 1866. Souffrant de la concurrence de la Vie Parisienne et du Barbe-Bleue d'Offenbach, le succès d'Hervé fut modeste et l'ouvrage sombra rapidement dans l'oubli. Sans prétendre au rang de chef d'œuvre absolu, cette œuvre soutient hardiment la comparaison avec son illustré aîné, malgré un art du décousu et du bric-à-brac harmonique capable de hérisser le poil des puristes et des forclos. Un drôle de zèbre, donc.

Du zèbre, les décors facétieux de Pierre-André Weitz ont retenu une signature visuelle en blanc et noir et la multiplication des signes binaires sur les costumes et du sol au plafond, frise l'obsession joyeuse et délirante. Pour un peu, on imagine déjà le procès que pourraient intenter l'inventeur des colonnes du Palais-Royal ou l'équipementier sportif, à moins que de réserver un plus juste courroux à la transcription et la réduction de l'original à la taille d'un orchestre lilliputien de douze instrumentistes serrés comme des sardines dans la fosse du Théâtre de l'Athénée. Le résultat manque de cette brillance que semble quérir l'énergie d'un Christophe Grapperon qui pique des deux pour inviter les musiciens à donner le meilleur d'eux-mêmes. L'entreprise manque à plusieurs reprises de verser dans le décor, faute d'une carrure rythmique consistante qui permettrait à la joyeuse troupe de se tirer sans encombre des chausses trappes qu'Hervé a disposé tout au long de la partition.

Autre embûche : les gags pilonnent la scénographie avec la subtilité et la cadence d'un orgue de Staline, ce qui rend peu perceptible quelques allusions plus ou moins filigranées qui rappellent au passage la complicité de P.A.Weitz avec Olivier Py : Ce squelette qui déambule, accroché au dos d'un personnage dans le défilé initial, ou bien cette tête de mort sous une trappe ou bien l'immense faucheuse signée James Ensor ((Lire l'article très intéressant de Marie Jeanne Becker)) lorsque le rideau se soulève au premier acte… autant de détails funestes et graves qui viennent tempérer le flot continu de grotesque de rire gras.

James Ensor : La mort poursuivant le troupeau des humains (1896)

On peut tout à fait percevoir dans cette galerie de portraits-charges, un miroir déformant qu'Hervé tend au public de son temps pour lui signifier un message tant iconoclaste qu'épicurien. Véritable satire sociale, ces Chevaliers adressent un pied de nez aux emprunts abusifs et déformants que le Romantisme faisait de l'Arioste et des romans courtois. Une aristocratie corrompue et fin de race y côtoie des valets cauteleux qui ne manquent pas une occasion de présenter des notes de frais et rappeler que désormais "l'argent fait tout". Le livret de Chivot et Duru regorge de moments savoureux qui se croisent à la vitesse d'une comédie de Cukor et font toujours mouche comme le fameux "Sacripant, oublions tout et baise mon pan"… On ne citera pas ici l'intégralité des tirades qu'Hervé emprunte intégralement aux chefs d'œuvres officiels de son temps, notamment à la Carmen de Bizet. Goûtons simplement la prouesse des entrées et des sorties, qui culminent dans un final réglé à la perfection qui fait vibrer les planches de l'Athénée en cadence :

Jamais plus joli métier
Ne fut dans le monde
Que celui de chevalier
De la Table ronde

Parfait d'abattage et de présence, la compagnie des Brigands chante, danse, joue, mime… et le public se gondole sans bouder son plaisir. Le très pince-sans-rire Duc de Rodomont trouve en Damien Bigourdan un interprète de premier plan, tandis que la Duchesse Totoche d'Ingrid Perruche puise dans un théâtre de boulevard sans sacrifier le contour de ses vocalises. La Mélusine de Chantal Santon-Jeffery joue des aigus et du fouet avec un brio consommé et Lara Neumann campe une Angélique alternativement godiche et rouée. Véritable Monsieur Loyal de ce cirque mondain et tressautant, le Sacripant d'Antoine Philippot tire les ficelles de l'intrigue avec délectation, bien secondé par la pétulante Fleur-de-neige de Clémentine Bourgoin. Le chant gominé du Médor de Manuel Nuñez Camelino ne dépare pas l'efficace Merlin d'Arnaud Marzorati. C'est le Roland pré-pubère et naïf de Samy Camps qui tient la bride haute à une brochette de chevaliers qui enchaînent couplets et pitreries. Cette fin de l'année à Paris passe assurément et impérativement par le Théâtre de l'Athénée.

Un seul mot : Courez.

 

 

 

 

 

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David Verdier
David Verdier Diplômé en musicologie et lettres modernes à l'université de Provence, il vit et enseigne à Paris. Collabore à plusieurs revues dont les Cahiers Critiques de Poésie et la revue Europe où il étudie le lien entre littérature et musique contemporaine. Rédacteur auprès de Scènes magazine Genève et Dissonance (Bâle), il fait partie des co-fondateurs du site wanderersite.com, consacré à l'actualité musicale et lyrique, ainsi qu'au théâtre et les arts de la scène.

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