Wolfgang Amadeus Mozart (1756–1791) : Die Entführung aus dem Serail, Singspiel en trois actes, sur un livret de Johann Gottlieb Stephanie.

Mise en scène et réécriture des dialogues : Wajdi Mouawad
Décors : Emmanuel Clolus.
Costumes : Emmanuelle Thomas.
Lumières : Éric Champoux.

Avec :
Jane Archibald, Konstanze
Joanna Wydorska, Blonde
Cyrille Dubois, Belmonte
Michael Laurenz, Pedrillo
David Steffens, Osmin
Peter Lohmeyer, Selim.
Chœurs de l’Opéra de Lyon (chef des chœurs : Stephan Zilias)
Orchestre de l’Opéra de Lyon,
Direction musicale : Stefano Montanari

26 juin 2016 à l'Opéra de Lyon

Pour sa première mise en scène d'opéra, l'humanisme de Wajdi Mouawad rencontre celui de Mozart, en remettant les dialogues de l'oeuvre au goût du jour, de nos jours. Un beau moment de poésie et de méditation.

operaenlevementauserail02_copyrightstofleth (1)Tant par sa forme que par la variété des lectures qu'il propose, l'Enlèvement au Sérail de Mozart est sans nul doute l'un des ouvrages les plus délicats à mettre en scène. On doit reconnaître à ce Singspiel d'avoir traversé les époques malgré les écueils inhérents à la thématique de la turquerie. Trop surannée ou trop politique (et polémique), cette vision d'un orient hostile et autoritaire a souvent été survolée et tournée en ridicule, comme si le Pacha Selim était le précurseur de Mustafa, Bey d'Alger…

Le metteur en scène libano-canadien Wajdi Mouawad met en garde dans le livret de présentation contre le danger de schématiser à l'extrême la représentation de ce Singspiel – danger dans lequel s'était enlisé Martin Kusej au festival d’Aix en Provence en 2015.

Homme de théâtre, auteur et comédien, il n'hésite pas ici à réécrire des pans entiers du livret de Gottlieb Stephanie pour mettre en avant les conséquences de l'intolérance religieuse, combinée avec un racisme ethnique et social. Il ne s'agit pas ici de jeter un voile pudique sur les relations amoureuses qui ont pu se développer entre les jeunes captives et leurs geôliers. Bien au contraire : on parle ici de la vérité des sentiments entre ces deux mondes que tout oppose et qu'un hasard sordide a rendu possible. Par ailleurs, Mouawad laisse entendre à la toute fin de l'opéra que le père de Belmonte a lui-même "enlevé" au sérail de Selim son épouse favorite… qui se révèlera être… la propre mère de Belmonte. Voilà le héros pris à son propre piège et doublement humilié par ce pardon terminal que lui accorde Selim. La dernière image montre Konstanze et Blondchen tendant leurs bras vers Selim, comme par regret de devoir l'abandonner tandis que Belmonte se retourne, hagard et interrogateur, vers le public. Mouawad boucle ici un fil narratif tissé dans un prologue entièrement de sa plume – prologue en forme d'accélération du temps dans lequel il montre avec une subtilité assez relative, l'imbécillité de la bonne société européenne occupée à cogner avec des massues sur une "tête de turc" comme jeu de foire. Le refus des deux ex-captives de se soumettre à ce divertissement sert de prétexte à la narration rétrospective qui ouvre l'opéra. C'est ce féminisme éclairé qui sert de fil rouge à cette mise en scène pour l'essentiel peu perturbante, d'un humanisme bon enfant et consensuel. 

On préfèrera relever les subtiles allusions aux amours croisés de Cosi fan tutte et la quête de l'amour comme vertu spirituelle dans la Flûte enchantée. La première allusion vient du fait que Mouawad montre une intrigue et des fluctuations sentimentales qu'on a l'impression d'observer du point de vue de l'oppresseur. La démonstration, on l'aura comprise, joue sur l'équivalence et l'égalité des vertus entre turcs et occidentaux, et la permutation des rôles souligne avec force cette vérité. La seconde allusion se focalise sur le couple Belmonte – Konstanze, le premier devant affronter, tel Tamino, un parcours initiatique et semé d'embûches, au terme duquel il retrouvera la belle Pamina- Konstanze, sous le regard bienveillant de Sarastro. 

En subtil décalage avec les décors très sobres et abstraits d'Emmanuel Clolus, les costumes d'Emmanuelle Thomas créent une note "authentique" en ce qui concerne les occidentaux (culottes de soie et perruques poudrées), les turcs se contentant de vêtements amples et austères. La prison qui apparaît au III laisse entrevoir les cellules des prisonniers à l'intérieur d'une immense sphère à plusieurs niveaux, confort carcéral dont on imagine qu'il peut également servir de chambre à coucher éclairée par un lustre de cristal que côtoie une lanterne orientale…

Cette production lyonnaise est servie par un plateau sans faille, alternant la maîtrise et la prouesse technique d'une Jane Archibald (Konstanze) et la ligne élégante et raffinée de la Blondchen de Joanna Wydorska. Des deux figures féminines, la seconde l'emporte en caractère et en émotion sur le brio, pourtant remarquable de solidité et d'abattage, de la Konstanze d'Archibald. Si la voix de Jane Archibald possède l'autorité et la plasticité aérienne du rôle, la discrétion et la couleur de Joanna Wydorska apportent à Blondchen une touche de grâce et de sensualité qui séduit durablement. Parmi les voix masculines, l'Osmin de David Steffens ne cherche pas à surligner son rôle de "méchant" par des effets appuyés. L'émission et la vaillance sont idéalement proportionnées à la finesse du théâtre de situation qu'exige Wadji Mouawad. Dans un autre registre, Michael Laurenz livre un Pedrillo aux contours comiques assez évidents, limitant par là même les arrière-plans de ce lointain cousin de Leporello. La prise de rôle de Cyrille Dubois en Belmonte laisse une impression générale assez partagée. L'allemand parlé est relativement amidonné, corollaire d'une ligne de chant précautionneuse dans les nombreux et difficiles changements de registres. Le Pacha Selim de l'acteur Peter Lohmeyer joue sur la retenue et la pudeur de ses sentiments amoureux, pour exprimer une noblesse d'âme teintée d'austérité.

Nul atermoiement ou affèterie dans la direction "baroquisante" de Stefano Montanari. Il ne cherche pas dans les effets de manche ce qu'il peut donner à entendre par une battue nette et franche, qui s'accommode tout à fait de la sonorité des instruments modernes. Le redoutable quatuor de l'acte II est mené à un tempo très allant, et ce n'est qu'une simple mise en jambes comparée à l'incandescente Jane Archibald poussée dans ses derniers retranchements dans le "Martern aller Arten". Un pur délice.

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David Verdier
David Verdier Diplômé en musicologie et lettres modernes à l'université de Provence, il vit et enseigne à Paris. Collabore à plusieurs revues dont les Cahiers Critiques de Poésie et la revue Europe où il étudie le lien entre littérature et musique contemporaine. Rédacteur auprès de Scènes magazine Genève et Dissonance (Bâle), il fait partie des co-fondateurs du site wanderersite.com, consacré à l'actualité musicale et lyrique, ainsi qu'au théâtre et les arts de la scène.

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