Fidelio opéra en 2 actes de Ludwig van Beethoven (1770–1827)
Wiener Philharmoniker
Direction : Franz Welser-Möst
(dvd Sony Classical/Unitel Classica)
Durée : 136'
Enregistré live au Grosses Festspielhaus de Salzburg 7–13 août 2015

Leonore : Adrianne Pieczonka
Florestan : Jonas Kaufmann
Don Pizzaro : Tomasz Konieczny
Rocco : Hans-Peter König
Marzelline : Olga Beszmertna
Jaquino : Norbert Ernst
Don Fernando : Sebastian Holecek

Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor
Chef des chœurs : Ernst Raffelsberger

Mise en scène : Claus Guth
Décors et costumes : Christian Schmidt
Lumières : Olaf Freese
Ingénieur du son : Torsten Ottersberg
Créateur vidéo : Andi A. Müller
Réalisateur : Michael Beyer
Dramaturge : Ronny Dietrich

fidelio

Déjà la saison dernière à la Bastille, sa mise en scène de Rigoletto racontée comme si l'on sortait d'un immense carton un antique jeu de société, avait agacée, Claus Guth plaquant un concept fumeux sur une intrigue où les sentiments, la chair, les larmes et le sang sont prédominants. C'était sans avoir vu ce qu'il avait infligé à Fidelio quelques mois plus tôt à Salzbourg.

Pauvre Beethoven, critiqué de son vivant pour avoir accouché d'une œuvre lyrique hybride, mi parlée, mi chantée, dont l'équilibre instable avait fait polémique malgré la puissance et la portée universelle du message sublimé par quelques fulgurances dont il avait le secret. La lecture pseudo psychanalytique de Guth, aussi froide qu'aseptisée, vaguement inspirée par le film avant-gardiste de Kubrick 2001 Odyssée de l'espace, ne fait qu'accentuer les faiblesses du livret de Joseph Sonnleithner, Stephan von Breuning et Georg Friedrich Treitschke adapté de la pièce de Jean-Nicolas Bouilly. Transposé dans un univers abstrait et sans âme, où évoluent d'étranges personnages démultipliés soit par leures ombres projetées, soit par des doubles qui les accompagnent et agissent différemment – la pauvre Léonore est flanquée d'une sœur jumelle qui s'exprime en langue des signes dont elle ne comprend pas un traître mot – comme s'ils étaient la partie sombre de leur personnalité et exhibaient leur dualité intérieure. Tournant autour d'un étrange monolithe noir posé là sans doute pour semer le doute, la discorde ou faire évoluer l'espèce (cf. Kubrick), chacun s'agite sans raison valable. Ceux qui connaissent l'intrigue se souviennent que Léonore s'est travestie en homme pour sauver son mari retenu prisonnier et promis à la mort : celui pour lequel il/elle travaille voudrait bien qu'il épouse sa fille, mais lorsqu'il comprend son erreur se félicite d'avoir permis au couple de se retrouver.

Ici Pizzaro et ses acolytes évoquent les personnages de Matrix, tandis que le pauvre Florestan pris de convulsions, ne se remettra pas de ses mauvais traitements et s'écroulera après avoir recouvré la liberté. Non comptant de piétiner une œuvre à laquelle il n'adhère à aucun moment, Claus Guth saborde son rythme précaire en supprimant les dialogues parlés et en ajoutant entre chaque scène d'insupportables bruitages sonores (respirations, grincements, stridences, ou bourrasques de vents…) qui parasitent l'ensemble rendu plus hétérogène encore par ces artifices. Face à un tel carnage, on se demande ce qui a bien pu pousser le metteur en scène à accepter un tel projet.

La remarquable direction de Franz Welser-Möst à la tête des Wiener Philharmoniker, au galbe parfait et aux sonorités miraculeuses, est heureusement un baume pour les oreilles. Contrairement au régisseur, le chef défend de tout son cœur cette partition qu'il a dans le sang et dans laquelle il croit du comme fer. Le tempo de bout en bout maîtrisé, la pulsation, la manière d'insuffler à l’œuvre sérénité et espoir suscite une constante admiration. Le rôle-titre confié à Adriane Pieczonka n'est guère satisfaisant. Physiquement peu crédible, la plupart du temps empruntée dans un costume qui l'engonce, la soprano s'épuise très vite à lutter contre une tessiture qui dépasse ses moyens, chante bas et court après ses aigus. Martha, Christa, Gwyneth, Hildegard, Waltraud : où êtes-vous ? Plus fraîche de timbre, la Marzelline d'Olga Beszmertna demeure sur la réserve débitant son air sans conviction, à l'image de son chevalier servant Jaquino, tenu par Norbert Ernst, ténor inodore et sans saveur. Rocco représenté comme un patriarche cupide et opportuniste en redingote et canne à pommeau, n'a rien d'un sympathique geôlier, l'instrument terne et fatigué de Hans-Peter König n'arrangeant rien, Tomasz Konieczny se contentant de vociférer sans la moindre nuance le rôle de Pizzaro, véritable caricature du méchant.

Fort heureusement Jonas Kaufmann est là pour relever le niveau et nous aider à supporter ce pensum, filmé qui plus est aussi platement qu'une émission de télé-réalité par Michael Beyer. Bien qu'il n'ait pas l'air entièrement convaincu par cette proposition scénique, le chanteur s'exécute avec professionnalisme, nerfs à vifs, chargé d'électricité et tendu comme un arc qui finira par céder à la pression qui l'entoure. Son « Gott » déjà légendaire, venu du fond des âges, impressionne, chacune de ses interventions laissant apparaître un degré de pénétration et de perfection musicale absolument extraordinaires.

Pour lui et l'orchestre somptueusement dirigé par Welser-Möst, exclusivement.

 

Avatar photo
François Lesueur
Après avoir suivi des études de Cinéma et d'Audiovisuel, François Lesueur se dirige vers le milieu musical où il occupe plusieurs postes, dont celui de régisseur-plateau sur différentes productions d'opéra. Il choisit cependant la fonction publique et intègre la Direction des affaires culturelles, où il est successivement en charge des salles de concerts, des théâtres municipaux, des partenariats mis en place dans les musées de la Ville de Paris avant d’intégrer Paris Musées, où il est responsable des privatisations d’espaces.  Sa passion pour le journalisme et l'art lyrique le conduisent en parallèle à écrire très tôt pour de nombreuses revues musicales françaises et étrangères, qui l’amènent à collaborer notamment au mensuel culturel suisse Scènes magazine de 1993 à 2016 et à intégrer la rédaction d’Opéra Magazine en 2015. Il est également critique musical pour le site concertclassic.com depuis 2006. Il s’est associé au wanderesite.com dès son lancement

Autres articles

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire !
S'il vous plaît entrez votre nom ici