Francesco Cavalli (1602–1676)
La Calisto (1651)
Livret de Giovanni Faustini, créé le 28 novembre 1651 à Venise, Teatro Sant’Apollinare
Mise en scène de Mariame Clément
Décors et costumes : Julia Hansen
Lumières : Marion Hewlett

Elena Tsallagova (Calisto)
Vivica Genaux (Eternità / Diana)
Giovanni Battista Parodi (Giove)
Nikolay Borchev (Mercurio)
Filippo Mineccia (Endimione)
Raffaella Milanesi (Destino / Giunone)
Guy de Mey (Linfea)
Vasily Khoroshev (Satirino)
Lawrence Olsworth-Peter (Natura / Pane)
Jaroslaw Kitala (Silvano)
Tatiana Zolotikova, Yasmina Favre (Furies)

Les Talens Lyriques
Direction musicale : Christophe Rousset

29 avril 2017 à l'Opéra National du Rhin

Ressuscités par les musicologues il y a un demi-siècle, les opéras de Francesco Cavalli font désormais (presque) partie du répertoire courant. Pour La Calisto en 2017, Christophe Rousset et ses Talens Lyriques retrouvaient à l’Opéra du Rhin Mariame Clément à la mise en scène, après avoir abordé ensemble Cavalli dès 2010 avec Giasone à Anvers et Gand, après avoir narré ensemble les amours terrestres de Jupiter dans Platée en 2014, à Strasbourg déjà. Dans ce spectacle inspiré par la métamorphose finale de la nymphe en ourse, on relève surtout la prestation brillante de Vivica Genaux qui est à la fois Diane et Jupiter changé en Diane, l’émotion d’Elena Tsallagova dans le rôle-titre, ou la délicatesse inhabituelle de Filippo Mineccia en Endymion.

Elena Tsallagova (Calisto), Giovanni Battista Parodi (Giove)

À consulter sur le lien : https://www.youtube.com/watch?v=_hOa_l_GV_E

L’histoire moderne de La Calisto de Cavalli tient en tout juste un demi-siècle, ce qui est peu dans l’absolu, mais déjà bien davantage que les œuvres de Lully, par exemple. Et c’est d’Angleterre qu’est venue l’initiative. Après avoir redonné vie à L’Ormindo en 1967, le festival de Glyndebourne décida de révéler en 1970 l’histoire scabreuse de la nymphe changée en ours pour avoir succombé aux avances de Jupiter. Scabreuse car cette chère Calisto croyait en fait embrasser à pleine bouche Diane la chasseresse, dont le maître des dieux avait pris l’apparence pour mieux séduire la farouche beauté. Il se trouve que le spectacle fut filmé l’année suivante et qu’il est accessible sur Internet (https://www.youtube.com/watch?v=vZToJPUxEz4&t=205s). Sur la minuscule scène du précédent théâtre de Glyndebourne, il y avait du beau linge dans la production signée Peter Hall : Ileana Cotrubas, Janet Baker, James Bowman, Hugues Cuénod… Le problème venait plutôt de la fosse, car malgré les tentatives menées à la même époque par Harnoncourt et d’autres, Raymond Leppard – qui faisait alors la loi dans quelques théâtres en matière d’opéra baroque – dirige un orchestre empesé et étouffant, et l’on admire les spectateurs qui affrontèrent courageusement ce spectacle malgré les coupures et autres tripatouillages infligés à Cavalli.

La Calisto résista à cet enterrement de première classe, et resurgit en 1993 à Bruxelles, portée par l’enthousiasme de René Jacobs : autant Leppard était soporifique et terne, autant le chef gantois propose une version dynamique et colorée de cette partition enfin réellement ressuscitée. Sans parler de la mise en scène du regretté Herbert Wernicke, entièrement située dans une boîte reproduisant la voûte céleste peine sur un des plafonds de la Villa Farnèse de Caprarola. Un CD et un DVD ont immortalisé cette interprétation qui tourna ici et là pendant quelques années. Durant son deuxième quart de siècle de vie moderne, l’opéra de Cavalli a pu être monté un peu partout, d’autant plus que l’œuvre n’exige ni voix gigantesques, ni orchestre colossal. Paris en proposa au Théâtre des Champs-Elysées une production confiée à Macha Makeïeff en 2010, sous la direction de Christophe Rousset. Et deux éditions critiques sont enfin apparues, qui ont relégué la « réalisation » de Raymond Leppard dans un oubli mérité.

Filippo Mineccia (Endimione)

Sauf que ces deux éditions ne sont pas tout à fait d’accord entre elles sur un certain nombre de points concernant la distribution réunie à Venise en 1651. Un point surtout demeure contesté : quand Jupiter se change en Diane, le rôle doit-il attribué à la soprano incarnant la déesse, ou doit-il rester confié à l’interprète de Jupiter ? Cette option, surprenante de prime abord, avait été retenue par René Jacobs, et c’est aussi celle que privilégie le musicologue espagnol Álvaro Torrente, dont l’édition fut utilisée à Munich dès 2005. Elle a deux inconvénients : d’une part, elle suppose de disposer d’un baryton à la voix de fausset suffisamment solide (et agréable à entendre), et elle risque à tout instant de faire basculer le spectacle dans la pantalonnade. L’autre édition, due à Jennifer Williams Brown, préfère penser que Diane était toujours chantée par la même artiste, qu’elle soit elle-même ou Jupier déguisé. Autre détail remarquable : en 1970, le ténor suisse Hugues Cuénod se taillait à Glyndebourne un franc succès dans le rôle travesti de Linfea, mais Torrente et Brown s’accordent pour supposer – car rien n’est certain – que la vieille nymphe était chantée par Antonia Padovano, autrement dit par une femme. C’est pourtant là une « tradition » dans laquelle tous se sont inscrits à la suite de Leppard.

Sur ce plan, Christophe Rousset ne fait pas exception à ce qui est devenu une règle ; il choisit aussi la sécurité, en demandant à l’interprète de Diane d’être également Jupiter déguisé. Les Talens Lyriques sont présents dans la fosse en effectif limité mais suffisant pour se faire entendre dans la salle de l’Opéra de Strasbourg. Avec une instrumentation sans doute moins opulente que celle d’un René Jacobs, le chef opte pour une direction privilégiant l’intime, comme l’y invite un livret qui refuse tout faste pour se concentrer sur une intrigue ne réunissant qu’une poignée de dieux et demi-dieux – seul Endymion représente ici la race humaine, loin des ambitions et vengeances qui motivent les guerriers et monarques présents dans d’autres opéras de Cavalli.

Après une production réussie de Platée, déjà à l’Opéra du Rhin, après un Giasone monté à l’Opéra des Flandres en 2010, il semblait on ne peut plus logique de solliciter la même équipe. Sur ces deux autres titres, Christophe Rousset avait déjà collaboré avec Mariame Clément, et le résultat n’était pas passé inaperçu, comme permet d’en juger le DVD de Giasone paru chez Dynamic. On retrouve ici le mélange de mythologie et de réalité, et l’inventivité de Julia Hansen, conceptrice des décors et des costumes, dans le traitement des personnages mi-humains mi-animaux, en l’occurrence une équipe de satyres et de sylvains rappelant parfois Matthew Barney dans son cycle Cremaster. La nymphe Calisto ayant été changée en ourse par la jalousie du Junon, tout se déroule ici dans un zoo, et plus précisément dans la fosse aux ours où se traîne une vieille ourse à laquelle on finira par administrer une injection létale. Entre-temps, le personnel de l’établissement, gardiens (dont Endymion et les satyres) et vétérinaires (dont Diane et Lymphée), aura vécu une sorte de long rêve provoqué par une jeune visiteuse du zoo descendue dans la cage, rêve mythologique où chacun aura connu sa métamorphose personnelle. A intervalles réguliers, les personnages qui ont une leçon à énoncer, ou la morale de l’histoire à préciser, revêtent un dolman de dompteur et jouent du fouet pour promener l’ourse à l’avant-scène ; Junon, la dernière à le faire, s’interrompt très vite, prise de solidarité avec la créature femelle qu’elle s’apprêtait à malmener.

Raffaella Milanesi (Giunone), Elena Tsallagova (Calisto)

Mélisande à Bastille, Renarde rusée à Strasbourg et à Lille, Elena Tsallagova est une Calisto au timbre limpide, presque enfantin, ce qui correspond bien à l’innocence du personnage qui se jette dans les bras de Jupiter déguisé après avoir repoussé ses avances avec indignation. Relatant ses émois sensuels avec éloquence, la soprano confère à la nymphe toute l’émotion attendue dans « Restino inbalsamate » et dans ses derniers moments. Face à elle, Vivica Genaux se livre à un joli numéro d’actrice et réussit à incarner successivement la véto du zoo attendrie par Endymion le gardien, Diane la chasseresse qui défend farouchement sa chasteté, et Jupiter se faisant passer pour Diane (le dieu a conservé à la main le cigare qu’il tenait, et sa démarche chaloupée révèle le mâle). Sans avoir l’épaisseur capiteuse d’une Janet Baker, la voix a toute la souplesse nécessaire. Dans une tessiture voisine, Raffaella Milanesi confère des accents incisifs à Junon, devenue une ménagère des années 1950 – on se croirait dans Loin du Paradis, de Todd Haynes – prisonnière de sa propre cage dorée. Habitué aux rôles de méchants dans lesquels il peut se déchaîner, Filippo Mineccia montre qu’il est également capable de s’épanouir dans le registre de la tendresse, Endymion oscillant de l’amour insatisfait à l’euphorie douce. Satirino qui se présente tous attributs dehors (les trois satyres danseurs sont cependant bien plus généreusement pourvus par la nature), Vasily Khoroshev possède une voix de contre-ténor beaucoup moins ferme. Giovanni Battista Parodi est un Jupiter séducteur aux tempes grisonnantes, sorte d’Adolphe Menjou mâtiné de Groucho Marx pour le cigare susmentionné, mais on a connu des basses plus impressionnantes dans le rôle. Malgré un léger cheveu sur la langue, Nikolay Borchev est plus en voix, Mercure portant casquette à l’envers et baskets ailées. Premier Atys de William Christie en 1987 et désormais abonné aux ténors de caractère, Guy de Mey se montre d’une sobriété exemplaire dans son rôle travesti, à l’image d’une production qui sait éviter la gaudriole tout en appelant un chat un chat (une ourse une ourse ?).

À consulter sur le lien : https://www.youtube.com/watch?v=_hOa_l_GV_E

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Laurent Bury
Ancien élève de l’ENS de la rue d’Ulm, auteur d’une thèse consacrée au romancier britannique Anthony Trollope (1815–1882), Laurent Bury est Professeur de langue et littérature anglaise à l’université Lumière – Lyon 2. Depuis un quart de siècle, il a traduit de nombreux ouvrages de l’anglais vers le français (Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, Orgueil et préjugés de Jane Austen, Voyage avec un âne dans les Cévennes de Stevenson, etc.) ; dans le domaine musical, on lui doit la version française du livre de Wayne Koestenbaum, The Queen’s Throat, publié en 2019 par les éditions de la Philharmonie de Paris sous le titre Anatomie de la folle lyrique. De 2011 à 2019, il fut rédacteur en chef adjoint du site forumopera.com, puis rédacteur en chef de novembre 2019 à avril 2020. Il écrit désormais des comptes rendus pour plusieurs sites spécialisés, dont Première Loge.

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