Die Walküre (1870)
Erster Tag des Bühnenfestspiels "Der Ring des Nibelungen" (1876)
Texte et musique de Richard Wagner

  • DIRECTION MUSICALE : Daniel Barenboim
  • MISE EN SCÈNE : Guy Cassiers
  • DÉCORS : Guy Cassiers,  Enrico Bagnoli
  • COSTUMES : Tim Van Steenbergen
  • LUMIÈRES : Enrico Bagnoli
  • VIDEO : Arjen Klerkx, Kurt D'Haeseleer
  •  CHORÊGRAPHIE : Csilla Lakatos
  • SIEGMUND : Simon O'Neill
  • SIEGLINDE : Anja Kampe
  • HUNDING : Falk Struckmann
  • WOTAN : Michael Volle
  • BRÜNNHILDE : Iréne Theorin
  • FRICKA : Ekaterina Gubanova
  • GERHILDE : Christiane Kohl
  • HELMWIGE : Vida Miknevičiūtė
  • WALTRAUTE : Anja Schlosser
  • SCHWERTLEITE : Natalia Skrycka
  • ORTLINDE : Anna Samuil
  • SIEGRUNE : Julia Rutigliano
  • GRIMGERDE : Anna Lapkovskaja
  • ROSSWEISSE : Dshamilja Kaiser
  • STAATSKAPELLE BERLIN

 

Berlin, Staatsoper unter den Linden, 22 septembre 2019

Premier jour du Ring des Nibelungen après le prologue, Die Walküre reste l’œuvre la plus populaire du cycle wagnérien. Après le succès du prologue, cette première journée aura tout autant marqué les esprits, par l’incroyable tension soutenue par le chef et la performance hors norme des chanteurs. Seule la mise en scène, tout comme il y a quelques années, ne convainc pas. Mais c’est souvent le lot de Walküre, une œuvre hybride que les metteurs en scène n’arrivent pas toujours à appréhender.

Wotan (Prod. 2011)

C’est souvent le cas après un Rheingold réussi scéniquement, Die Walküre semble en recul. On le constatait aussi bien dans la mise en scène munichoise de Andreas Kriegenburg, et même dans celle de Frank Castorf, qui apparaissait bien plus « classique » après un prologue vécu comme singulièrement échevelé. Si l’on remonte dans le temps, l’approche de Peter Stein en 1976 à Paris pour Rheingold qui avait pris Garnier comme lieu du prologue, utilisant la scène elle-même comme décor, faisant du foyer de la danse le Walhalla, et mettant à l’épreuve la machinerie théâtrale était si passionnante que la vision de Klaus Michael Grüber pour Walküre semblait à côté un peu déconcertante, à cause de l’univers singulier créé par le décor d’Eduardo Arroyo et un déroulé  classique voire naturaliste, malgré un cheval (vivant) un peu rétif et des chamois empaillés sur les pentes de montagnes de sac de sable.
Chéreau au contraire avait su créer une continuité, tout en proposant des idées complètement neuves qui avaient rendu Walküre presque plus forte que Rheingold, avec ses jumeaux jeunes et émouvants (ah, le Siegmund de Peter Hofmann), avec une vision de Hunding comme authentique chef d’une bande visible, qui isolait les jumeaux et montrait le danger, et leur isolement avec cette scène incroyable du miroir et du pendule pendant le récit de Wotan, et la trouvaille tellement reprise par la suite d’un Wotan serrant dans ses bras le cadavre de son fils chéri après l’avoir fait sauvagement assassiner par Hunding (cris dans la salle devant la violence de la scène en 1977). Puis, les choses devenaient plus classiques au troisième acte, mais avec de sublimes images du rocher, inspiré de l’Île des morts de Böcklin. Je rappelle à dessein ces souvenirs vivaces pour souligner que nul depuis Chéreau sans doute n’a produit de Walküre aussi novatrice, aussi émouvante et aussi déchirante.

Acte II (2011)

Guy Cassiers lui aussi marque le final du 2ème acte par un regard de Wotan sur son fils chéri et un geste de Sieglinde, pour « marquer le coup » (depuis Chéreau, tous les metteurs en scène cherchent un geste symbolique qui puisse conclure la violence de la scène et le final de l’acte) mais la mise en scène reste singulièrement pauvre. De plus, est abandonnée dans Walküre l’idée d’une chorégraphie complémentaire qui éclaire la psychè des personnages et du coup l’ambiance est à peine stylisée, dans les décors de chaque acte : cube de lumière pour le foyer de Hunding et Sieglinde avec en projection une cheminée dont le bois brûle, justement pour donner l’idée d’un foyer, mais un foyer aussi chaud que les lignes sont géométriques et glaciales, un fronton de temple fait de chevaux (Walküre oblige…) pour le Walhalla au 2ème acte, où circulent les personnages, et anneau de feu allégorique pour le troisième acte, avec d’abord des tubes rouge-oranger qui évoquent les héros qui montent au Walhalla, puis à la fin (toujours très attendue) au lieu des flammes, des lampes de culture de type de celles qu’on utilise pour le cannabis, sans doute pour cultiver la belle plante qu’est Brünnhilde, et plus sérieusement une manière de montrer une protection intérieure, comme une culture qui doit être protégée, mais aussi croître et évoluer.
La conduite d’acteur n’est pas vraiment précise, et il faut l’engagement fabuleux de Anja Kampe ou l’incroyable profondeur du discours de Wotan de Michael Volle, ainsi que la magnifique Brünnhilde d’Irene Theorin, particulièrement convaincante, pour remplacer le vide scénique, qui se remplit exclusivement par les qualités intrinsèques des protagonistes. C’est donc la même impression qu’il y a quelques années :  quelques idées, un travail esthétiquement soigné, mais qui ne dit pas grand-chose de plus que l’histoire que nous voyons déroulée sous nos yeux. Même si au risque de se répéter, il s’agit d’une reprise dans un système de répertoire où les reprises sont conduites par les assistants. Mais la présence dans la distribution de nombre de chanteurs ayant déjà participé depuis le début à cette mise en scène (dont Theorin, Kampe, O’Neill, Volle…) devrait aussi garantir une fidélité à l’original. Lire les article du Blog du Wanderer (1ère vision) et Blog du Wanderer (2ème vision) sur cette production à la Scala en 2010.

La vérité de l’œuvre se situe bien au-delà, mais  pas vraiment dans un cadre de Gesamtkunstwerk : elle se situe en cette reprise dans une musique complètement maîtrisée, avec une distribution bien proche de l’idéal, plus que dans la contribution d’une mise en scène certes digne, mais qui aujourd’hui semble un peu dépassée.
Il reste que la production de Cassiers, dont nous vivons les derniers feux, a convenu parfaitement de reprise en reprise, pour un système de répertoire, finissant par ne plus "déranger" et laisser la musique complètement dominer le spectacle.
C’est en effet bien la fascination musicale qui nous saisit, dès le début, dès la tension installée par Barenboim avec son orchestre complètement engagé, au son maîtrisé, laissant chacun s’exprimer ou s’imposer, mais toujours présent, toujours fascinant par son relief et sa clarté. Il y a une évidence dans ce Wagner, évidence dramatique, évidence dans la sculpture sonore offerte au public, et qui sonne particulièrement dans ce théâtre où l’œuvre est représentée pour la première fois depuis sa réouverture.
Le rapport scène/salle offert par la Staatsoper Unter den Linden est proche de l’idéal, avec une certaine proximité des chanteurs et du plateau, et en même temps une présence du son jamais écrasante, jamais trop forte, même pour le Wagner plutôt musclé de Barenboim. Mais le chef sait aussi jouer des moments plus doux (Winterstürme accompagné de manière séraphique, ou tout le monologue du second acte de Wotan où l’orchestre accompagne et soutient la voix de Michael Volle lui offrant un cadre musical incomparable, mais encore les parties plus passionnelles (voir comment Barenboim fait suivre  au 3ème actela réplique de Wotan
Denn Einer nur freie die Braut,
der freier als ich, der Gott !

par un crescendo charnu et charnel comme une succession de surgissements passionnés à tirer les larmes, pour ensuite laisser l’orchestre allégé presque en sourdine accompagner le discours de Wotan, un orchestre au son d’une limpidité étonnante, avec des cuivres à se damner.

Car à cette direction exceptionnelle répond une distribution qui s’installe à un niveau de perfection et d’émotion rarement atteint.

Les Walkyries (2011)

Le solide groupe des Walkyries est composé de solistes appartenant à la troupe (Anna Samuil,, Natalia Skrycka) ou d'artistes bien connues comme Anna Lapkovskaia ou Christiane Kohl : l’ensemble est homogène, vocalement sans scorie, avec une vraie puissance en lien avec la direction de Barenboim, particulièrement en verve au début du 3ème acte. Malheureusement, la mise en scène du groupe ne va pas au-delà de l'habituel dans une scène qui reste l'une des plus difficiles à gérer dans le Ring .
Ekaterina Gubanova impose sa Fricka, vive, nerveuse, affirmée : la Fricka de Walküre est plus spectaculaire que la Fricka plus conversative de Rheingold, avec une très belle diction et un soin exemplaire dans l’expression et la couleur (si importante dans son unique scène).
Falk Struckmann en Hunding pouvait surprendre : on a l’habitude de Hunding plus sombres peut-être, mais on connaît la manière qu’a ce chanteur de sculpter les mots, et de les faire sonner . Alors que la voix semblait avoir perdu de son éclat depuis quelque temps, il propose un Hunding affirmé, au timbre un peu plus jeune, plus clair, assez élégant, et vraiment très présent. Il surprend agréablement dans un rôle ou on ne l’attendait pas.

Acte II : Annonce de la mort (2011)

Simon O’Neill n’a pas la fascination physique d’autres Siegmund (on évoquait plus haut Peter Hoffmann…) mais la voix a une clarté, une jeunesse, qui émeut particulièrement par son timbre. Il s’impose aussi par des Wälse tenus presque au-delà du raisonnable, au moins de l’attendu. Il est un Siegmund magnifiquement défendu. Et c’est un chanteur qui laisse comprendre chaque mot : un vrai bonheur.
À ses côtés Anja Kampe est comme toujours dans ce rôle déchirante par son expressivité et son engagement : c’est sans conteste la Sieglinde du moment, elle en a la puissance et la présence. Elle fascine parce que chaque intervention est un miracle par la manière dont le texte est dit, dont il est coloré à chaque syllabe, avec des aigus puissants certes, mais qui par leur puissance ne nuisent pas à une voix qui en quelques années a acquis une assise et une homogénéité exceptionnelles. On avait naguère souvent l’impression que la voix était trop sollicitée et que ce répertorie semblait un peu trop lourd : tout cela est balayé. Sa Sieglinde est resplendissante. On se souviendra longtemps de son O hehrstes Wunder ! du troisième acte tellement intense qu’on en est physiquement saisi et bouleversé.
Irene Theorin est aussi une Brünnhilde d’exception. On a pu  aussi naguère la trouver moins expressive, tout d’un bloc, sans subtilité. Son annonce de la mort montre tout le contraire. Elle a évidemment la puissance dans des Hojotoho d’entrée impeccables, mais elle a gagné en maturité dans la manière dont elle impose son chant, dans la manière dont elle impose non plus une monumentalité, mais une indéniable humanité. C’est un moment exceptionnel qui nous est offert ici. Une très grande Brünnhilde, très polymorphe, de la Walkyrie tout d'un bloc à la femme pétrie d'humanité et de subtilité.
Reste Michael Volle, à qui l'on pourrait tresser des lauriers infinis. On ne manque pas de bons, voire de grands Wotan à commencer par Wolfgang Koch, mais Michael Volle est ici presque inaccessible, au point qu’on attend ses interventions rien pour le plaisir d’entendre ce timbre suave, doux, chaleureux, d’entendre ces aigus tendus et imposants, d’entendre ce texte dit d’une manière totalement incomparable – on a rarement entendu la langue allemande sonner de cette manière, avec un sens de la couleur unique. Le Wotan de Volle est un enchantement. Son dernier acte est bouleversant. Il n’a même pas besoin de trop jouer : il suffit d’entendre chaque inflexion pour tout comprendre du personnage. C’est aujourd'hui le plus beau des Wotan. Michael Volle en effet a atteint aujourd’hui un niveau qui en fait le baryton basse wagnérien de référence (on pense aussi à son Sachs). Il chante et cela semble du discours parlé, tellement c’est expressif, avec un naturel confondant dans les moments de conversation (une de ses grandes forces), et la voix a une sûreté et une étendue uniques aujourd’hui. Fascinant. On ne se lasse pas de l'entendre.

Fascinant comme toute la soirée, qui a constitué comme l'étalon de ce que doit être musicalement une Walküre aujourd'hui. Une soirée à marquer d'une pierre blanche.

Acte III : Brünnhilde et Wotan (2011)

 

 

 

 

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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.
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1 COMMENTAIRE

  1. Moment d'opera rarissime ou l'adéquation entre un personnage et un chanteur est parfaite : Michael Volle EST Wotan. A tel point qu'on se laisse aller à rêver "raisonnablement"quelques secondes qu'il va pouvoir changer la fin, ne pas punir tout de suite sa fille chérie et continuer à chanter encore et encore accompagné par Maître Barenboim. Une émotion exceptionnelle, le temps est suspendu. Un immense merci.

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