Richard Wagner (1813–1883)
Parsifal (1882)
Bühnenweihfestspiel in drei Akten

Direction musicale Semyon Bychkov
Mise en scène Uwe Eric Laufenberg
Décors Gisbert Jäkel
Costumes Jessica Karge
Lumières Reinhard Traub
Vidéo Gérard Naziri
Dramaturgie Richard Lorber
Chef des chœurs Eberhard Friedrich
Amfortas Ryan McKinny
Titurel Wilhelm Schwinghammer
Gurnemanz Günther Groissböck
Parsifal Andreas Schager
Klingsor Derek Welton
Kundry Elena Pankratova
1. Gralsritter Martin Homrich
2. Gralsritter Timo Riihonen
1. Knappe Alexandra Steiner
2. Knappe Mareike Morr
3. Knappe Paul Kaufmann
4. Knappe Stefan Heibach
Klingsors Zaubermädchen Katharina Konradi
Klingsors Zaubermädchen Ji Yoon
Klingsors Zaubermädchen Mareike Morr
Klingsors Zaubermädchen Alexandra Steiner
Klingsors Zaubermädchen Alexandra Steiner, Mareike Morr,
Klingsors Zaubermädchen Marie Henriette Reinhold
Altsolo Simone Schröder

 

 

Bayreuth, Festspielhaus, 30 juillet 2019

Cette production de Parsifal, qui a commencé dans la crise en 2016, d'abord avec le remerciement de Jonathan Meese, à qui était confiée la production au départ, puis avec le départ spectaculaire à quelques jours de la première d’Andris Nelsons remplacé  par Hartmut Haenchen qui a dirigé les éditions 2016 et 2017. Avec l’arrivée de Semyon Bychkov en 2018, cette production semble avoir trouvé au moins musicalement un rythme de croisière et cette quatrième édition 2019 est sans doute la plus accomplie à l’orchestre depuis la première année. Du point de vue scénique, après l’hystérie de 2016 qui annonçait qui sait quelle provocation, la production de Uwe Eric Laufenberg apparaît toujours aujourd’hui bien anecdotique, et sans véritable intérêt. Venant après la production Herheim, sans doute la plus accomplie et la plus consensuelle des dernières productions du festival, elle délivre un message universaliste plutôt politiquement orienté, un peu caricatural et bien moins puissant . 

 

Acte I : Scène du Graal

 

Une édition marquée par l'extraordinaire travail de Semyon Bychkov en fosse

L’édition 2019 de ce Parsifal, qui devrait être la dernière (à moins qu’elle ne réapparaisse pour une dernière fois en 2021 – à de rares exceptions, les productions sont reprises quatre fois après la première saison) marque un résultat musical, au moins à l’orchestre, qui a fait l’unanimité. Semyon Bychkov en effet a été triomphalement accueilli par le public, et de fait, sa direction apparaît la plus satisfaisante et la moins discutable depuis Daniele Gatti dans la production Herheim. Après la renonciation d’Andris Nelsons en effet, la venue d’Hartmut Haenchen semblait une solution satisfaisante à tous, mais il a renoncé après deux ans. C’était une des dernières grandes figures de la direction musicale en Allemagne, à la fois un chercheur soucieux de la vérité des partitions, et un chef respecté, mais un peu marginal et en dehors des circuits. Ses options « objectives » n’ont pas toujours l’heur de séduire le public, bien qu’il ait eu un beau succès sur la Colline.
Semyon Bychkov lui a succédé et ce choix a été immédiatement accueilli favorablement : Bychkov est un chef familier de Wagner, qui dirige Parsifal depuis 1997. On lui en doit deux séries récentes à Vienne en 2017 et 2018 qui ont été particulièrement bien accueillies. Faire appel à lui était donc cohérent.
Il est toujours délicat de prendre une production en marche, mais Bychkov là-aussi a vraiment travaillé dans le rythme voulu par la mise en scène, en proposant un Parsifal qui frappe d’abord par sa fluidité et son équilibre. Rien de trop, un tempo qui correspond à peu près à celui de la création, plus rapide que certains sur la Colline (Knappertsbusch, Levine et évidemment Toscanini), et correspondant peu ou prou à celui de Richard Strauss (à 2min près). Mais relever le tempo ne sert à rien sans considérer ce qui se cache derrière. Bychkov adopte un rythme soutenu, mais sans jamais être « rapide », le prélude est particulièrement large, avec une belle respiration, même s’il ménage des silences marqués, avec une clarté qui fait bien distinguer les différents niveaux et pupitres et ressortir les équilibres sonores particuliers de la fosse, sans avoir le côté didascalique d’un Thielemann. Il en ressort le caractère dominant de cette direction au moins aux premier et troisième actes, qui est une sorte de sérénité suprême, de paix, avec une simplicité marquée et sans avoir de pesante couleur religieuse ou une volonté de « faire » sacré ou recueilli. Cette direction reste toujours intense et toujours profondément spirituelle, tout en restant vivante et en allant de l'avant .Une démarche qu’on pourrait presque qualifier de brucknérienne.
C’est bien le caractère de ce travail de fosse : Semyon Bychkov dirige sans a priori, sans surligner tel ou tel passage, avec une rigueur de ligne continue, qui respire et suit le texte en le laissant (Bayreuth oblige) se développer sans jamais couvrir en quelque manière le plateau. Il est en phase parfaite avec le Gurnemanz de Günther Groissböck, à la diction si précise et qui en même temps campe un personnage d’une rare simplicité, avec une voix en permanence équilibrée, jamais spectaculaire, mais d’une expressivité rare. Il y a comme deux lignes parallèles suivies en fosse et sur scène. Groissböck est pleinement valorisé et justifié par Bychkov, et vice versa. C’est presque la première fois qu’on sent si bien un tel compagnonnage. Car c’est Groissböck qui emplit à lui seul la scène, de son humanité, de son intelligence du texte, de son impeccable phrasé, soutenu en fosse par un Bychkov qui le suit pas à pas, en tenant aussi un discours théâtral sans jamais être démonstratif.
Il y a dans la direction de Bychkov quelque chose de serein, mais aussi de toujours un peu tendu, comme pour marquer une attente indéfinissable. C’est l’équilibre de la tension qui se maintient durant tout ce premier acte (Verwandlungsmusik extraordinaire) et c’est superbe. L’entrée du chœur avant la cérémonie du Graal (Zum letzten Liebesmahle) est dirigée sur un tempo ralenti et plus majestueux avec un orchestre discret qui laisse le chœur (ici vraiment extraordinaire) s’épanouir, comme dans  l’ensemble de la cérémonie du Graal. La prestation du choeur (direction Eberhard Friedrich) est splendide durant toute la représentation : c'est habituel mais c'est aussi une magnifique surprise toujours recommencée.

Acte II : Elena Pankratova (Kundry) Andreas Schager (Parsifal)

Dans le deuxième acte, c’est encore la fosse qui détermine la tension, plus que le plateau.
Le deuxième acte est évidemment le plus théâtral au sens traditionnel du terme : on pourrait même dire que dans les différentes mises en scène de Parsifal, tous les deuxièmes actes se ressemblent un peu (même celui de Schlingensief y restait assez sage). D’où une énergie immédiatement perceptible, dans le prélude, avec un usage des cuivres et des cordes graves impressionnant, et une science des équilibres telle que jamais l’orchestre ne paraît envahissant ou trop présent. Bychkov sait user de la magie du lieu et utiliser les possibilités offertes par la fosse unique, pour laquelle l’œuvre – la seule – a été écrite. Il ralentit le tempo pour que soit préparé « Die Zeit ist da » en jouant des sourdines, en jouant aussi d’accélérations/ralentis très fluides qui renforcent la théâtralité. On sent là directement combien il est essentiel que texte et musique soient tissés ensemble. Wagner est d’abord un poète, et ici on ne l’oublie jamais. La manière dont la première scène (Klingsor/Kundry) est menée est magistrale à l’orchestre, avec une Pankratova qui est particulièrement inspirée d’ailleurs (bien plus que dans sa scène avec Parsifal).

Acte III : Elena Pankratova (Kundry) Andreas Schager (Parsifal) Günther Groissböck (Gurnemanz)

Au troisième acte, l’Enchantement du Vendredi Saint tire les larmes tant il reste retenu, simple, sans que jamais ne soit exagéré le moment en une sorte de « morceau de bravoure » : là encore la solidarité Groissböck/Bychkov est marquée par cette homogénéité des lignes, et le crescendo presque naturel, en maintenant cette légère tension dont il était question précédemment qui crée une incroyable intensité.
La scène finale n’est que le prolongement de cette direction retenue et en même temps chaleureuse, comme le son semblait naître de nulle part dans le prélude, il s’efface à la fin dans le nulle part avec une ineffable douceur. Littéralement extraordinaire. Grandiose direction.
Secondé par un Groissböck en majesté, pour lequel il n’y a à découvrir sans cesse que des qualités nouvelles, c’est Bychkov qui colore la représentation et qui lui donne toute sa force. À lui le Graal.


Un plateau de haut niveau, qui n'arrive pas à convaincre totalement cependant

Groissböck excepté, il est regrettable que pareille direction n’accompagne pas un plateau aussi totalement convaincant.
Comme souvent, les rôles de complément sont très bien tenus, les Graslritter de Martin Homrich et Timo Riihonen, les "Knappen" (Alexandra Steiner, Mareike Morr, Paul Kaufmann et Stefan Heibach) et le groupe des filles fleurs particulièrement remarquable (Katharina Konradi, Ji Yoon, Alexandra Steiner, Mareike Morr, Bele Kumberger, Marie Henriette Reinhold).
Le Titurel de Wilhelm Schwinghammer est puissant, avec une voix relativement jeune pour ce rôle très fantomatique marqué à Bayreuth par Matthias Hölle (de 1985 à 1999 presque continument)((Il chantait encore Titurel avec Barenboim à Berlin en 2017)) et Simone Schröder incarne depuis 1999 (avec une interruption de 2016 à 2018) l’Altsolo à Bayreuth, avec sa noblesse bien connue.

Derek Welton (Klingsor)

Le Klingsor de Derek Welton compte parmi les meilleurs Klingsor aujourd’hui. On sait que le rôle est bref, ingrat, et souvent la performance est médiocre. Welton lui donne une couleur et une personnalité intéressantes, outre les qualités de la voix et du timbre, outre l’expression et le texte. En effet, ce Klingsor vu par la mise en scène de Laufenberg est plutôt un névrosé, un spécimen d’humanité erratique, opportuniste qui s’est sans doute demandé où aller pour se venger de la communauté chrétienne qui l’a chassé : il est allé en face, chez les musulmans, mais garde ses névroses et ses obsessions (la croix). Le personnage apparaît plus par ses problèmes personnels visiblement pas réglés que par ses pouvoirs dangereux. De fait Parsifal n’en fait qu’une bouchée. C’est une vision assez originale du personnage qu’il faut souligner.

Martin Homrich (1.Gralsritter) et Ryan McKinny (Amfortas) 

En revanche, l’Amfortas de Ryan McKinny, christique et athlétique, est comme en 2016 et 2017, d’une rare platitude. D’abord le phrasé est approximatif, la voix projette, mais sur un texte dit de manière banale, et non comme un poème ou un Lied (souvenons-nous des Amfortas à la Gerhaher, ou à la Mattei, ou même sur cette scène l’an dernier de Thomas J.Mayer qui savait dire un texte). Ici le personnage est à la limite de l’expressionisme, avec des gémissements de douleur, et n’a malgré tout aucun relief.

Acte II : Elena Pankratova (Kundry) Andreas Schager (Parsifal)

La Kundry d’Elena Pankratova est vocalement puissante. Elle a sans aucun doute les notes. Elle a aussi une voix, une grande voix, et on peut le dire, une belle voix, sinon la voix idéale pour le rôle. Mais est-elle pour autant une Kundry ?
Son chant, sa manière de dire, ses inflexions manquent de relief, manquent aussi de couleur : le texte est dit, il est clair car le phrasé est bon, mais jamais totalement incarné. Pankratova manque totalement de cette sensualité que la musique elle-même appelle (sans même parler de son jeu, qui reste au total assez plat). Néanmoins, elle se montre remarquable dans sa première scène avec Klingsor, très expressive, très engagée.

Elena Pankratova (Kundry), Derek Welton (Klingsor)

Elle fut à Lyon une Elektra notable, mais pour Kundry, il faut user sans cesse de variations de couleur, de volume, d’inflexions dans un texte qui est d’abord de théâtre, et ici de théâtre, il y en a bien peu, car la mise en scène ne la stimule pas. Bien sûr la performance vocale reste remarquable, mais bien moins l’incarnation.

Andreas Schager est un chanteur exceptionnel, avec une voix mâle, puissante et juvénile. Il possède aussi un timbre solaire et velouté, qui est au total assez rare dans cette tessiture de ténor héroïque. Mais il arrive irrégulièrement à se contrôler. Certains moments sont séraphiques (Erlösen…) et il est par ailleurs plus contrôlé avec certains chefs (Barenboim par exemple). À Bayreuth, cette voix puissante inonde la salle, encore plus que dans d’autres salles. S’il sera sans doute un Siegfried sans failles l’an prochain, il reste un Parsifal problématique : il en a la jeunesse et la fougue (Schager est par nature généreux et disponible), mais n’est pas un acteur exceptionnel dans ses mouvements et surtout par moments il n’arrive pas à maîtriser le volume de sa voix. Curieusement son Amfortas ! die Wunde…n’a pas été aussi réussi et spectaculaire qu’en d’autres occasions, avec un problème de reprise de respiration, Ce n’est cependant pas au deuxième acte, plutôt bien maîtrisé que ce défaut de contrôle apparaît, mais plutôt au troisième, qui devrait être encore plus contrôlé peut-être, avec des aigus bien trop criés, bien trop dérangeants qui nuisent au déroulé fluide voulu par le chef. Il en résulte des moments où l’on sursaute d’entendre subitement des aigus tonitruants là où l’on attendrait bien plus de raffinement. Parsifal n’est pas un rôle qui réclame de l’héroïsme, et Schager pourrait économiser ses moyens au service d’une plus grande concentration sur le sens du rôle. C’est très dommage, car en d’autres occasions, dans le même rôle, il a su être extraordinaire.

Une mise en scène au propos idéologique et anecdotique.

Le haut niveau musical de l’ensemble, totalement emporté par la direction, se heurte quelquefois à la vision volontairement concrète, anecdotique d’une mise en scène qui put apparaître comme provocante en 2016, et dont le message bien-pensant finit par agacer. Nous en avons déjà largement rendu compte, dans ce site et ailleurs, et nous continuons à ne pas y trouver grand intérêt. Dans le genre « message de paix universelle », la mise en scène de Herheim avait une autre puissance, et spirituelle et théâtrale.
D’abord, le message final où tous, juifs, musulmans, chrétiens enterrent leurs oripeaux religieux (on dirait en France « signes manifestant ostensiblement son appartenance à une religion ») a déjà été proposé par Christoph Schlingensief, dont le chœur final était composé de dignitaires de toutes les religions, comme message syncrétique de la religion universaliste wagnérienne, et Laufenberg est trop fin connaisseur de l’histoire de la mise en scène pour ne pas l’avoir intégré. Il lui a emprunté aussi dans la cérémonie du Graal du premier acte la symbolique du sang : ici il s’agit d’un sang christique, chez Schlingensief, il s’agissait du sang menstruel, avec une toute autre force.
Citons aussi pour mémoire le final du Parsifal de Götz Friedrich (Bayreuth 1982) où le héros, comme chez Laufenberg, rompait le rituel . Il ouvrait lui aussi à un peuple jusqu'ici exclu, et la fin marquait cette volonté d'universalité.
Laufenberg y rajoute au final la salle du Festspielhaus éclairée, lieu d’une autre religion que son collègue Kratzer a ironiquement soulignée dans son Tannhäuser. Laufenberg nous indique certes la volonté wagnérienne de Bühnenweihfestspiel, de Festival scénique sacré (où désormais on applaudit au premier acte …) mais en même temps il fait allusion à la religion que Cosima a créé sur le lieu : Parsifal serait ainsi la naissance d’une religion de Wagner légèrement blasphématoire…L’éclairage final de la salle, qui traditionnellement implique le spectateur (rappelons que l’invention en est de Giorgio Strehler dans le final parisien de ses Nozze di Figaro, reprise de nombreuses fois depuis) lui fait évidemment, et d’abord, réaliser qu’il est à Bayreuth, à l’épicentre de la religion wagnérienne (indiquée d’ailleurs par la Verwandlungsmusik du troisième acte, avec le masque mortuaire de Wagner inondé par la pluie): 1900 spectateurs blasphèment ensemble…

Scène finale

La deuxième remarque est l’inscription discutable dans une histoire douloureuse (la guerre au Proche Orient) qu’il marque dans une géographie très précise (le Kurdistan irakien), même si la Verwandlungsmusik du premier acte nous emmène (vidéo de Gérard Naziri) au fin fond de l’univers – il faut bien que l’on marque le Wagner universaliste dont il était question plus haut. Certes, Laufenberg revendique un travail sur la religion de Wagner (il faut entendre ici le génitif subjectif et objectif) , mais en même temps il mélange les genres, montrant une chrétienté positive et charitable, en faisant même allusion aux moines de Tibérine, face à un Islam sauvage représentant du mal (puisque Klingsor choisit ce mal-là, même s’il reste obsédé par la croix) et désigné par une série de clichés (le hammam, le harem, les danseuses du ventre, les burqas…n’en jetez plus) dans un monde parcouru par des soldats américains (uniforme revêtu par Parsifal lui-même) évidemment protecteurs. On est loin de la haute spiritualité revendiquée par Wagner, mais plutôt dans un monde de bandes dessinées bien pensantes, avec les forces du bien et les forces du mal selon la vieille distinction de George W.Busch. Or en Histoire, rien n’est jamais noir ou blanc (et Herheim, encore lui, l’avait très bien souligné), comme d’ailleurs Wagner nous le dit à travers le personnage très ambigu de Kundry.
L’appel du troisième acte à une nature sauvage, qui envahit les constructions humaines, à un temps primitif où se mélangent les allusions à l’antiquité (le locus amoenus) à une vision de la Renaissance botticellienne (discrète allusion à la Naissance de Vénus) et même au monde hippie, le tout résumé dans la peinture naïve du Douanier Rousseau, nous indique aussi le côté conte de fées syncrétique de cette histoire qui de fil en aiguille se dilue dans un moralisme assez simpliste : à la fin, tout le concret du décor s’efface, il ne reste qu’un groupe d’hommes qui a enterré ses haches de guerre, mais avec au sommet du décor Dieu qui regarde tout cela sans doute avec satisfaction, car le bien a triomphé, et le bien plutôt chrétien et américain (l’histoire récente nous a montré quel résultat donne le bien américain en Irak…). Bien sûr les choses ne sont pas dites aussi crûment, mais Laufenberg laisse entendre les choses, et c’est à la fois plus subtil et plus dangereux. La vision de Wagner est spirituelle, philosophique, abstraite, sans doute naïve aussi, mais il est difficile de la faire coller à notre histoire récente, qui est tout sauf parsifalienne…
Alors, faut-il applaudir à cette utopie indiquée par Laufenberg ? Il détourne le message wagnérien en un message idéologique maquillé en conte de fées bien-pensant, tout comme le monde de Disney est un monde qui exalte sans le dire l’Amérique éternelle et ses valeurs. Il y a là une hypocrisie qui finit par mettre mal à l’aise.
Alors bien sûr, il y a eu les aventures de ce Parsifal d’abord confié à Jonathan Meese, que la direction du Festival a préféré remercier pour des raisons obscures qui ne tiennent sans doute pas comme il a été dit, au coût de la production. Il fallait donc faire buzz pour montrer que même si Meese le provocateur était out, Laufenberg savait aussi provoquer : on se souvient en 2016 des bruits qui couraient sur la provocation et d’ailleurs le New York Times avait titré, satisfait, « A Sublime and Provocative Parsifal at Bayreuth ». On diffusait la peur d’un spectacle qui risquait d’exciter l’islamisme ravageur, et les démonstrations policières de l’époque, inhabituelles à Bayreuth, avaient été longuement commentées.
Au total, ça a quand même fait Pschitt.
Et le spectacle aujourd’hui dans ce fatal deuxième acte a quelque chose d’un peu ridicule et caricatural, entre ses burqas, son Parsifal dénudé sortant du bain, la croix phallus brandie par Klingsor et la copulation Amfortas-Kundry dans une ambiance de Spa stambouliote. On n’y croit jamais.

On peut compléter la lecture par nos articles antérieurs, indiqués ci-dessous et par ceux du Blog du Wanderer :
Bayreuth-Parsifal 2016 
Bayreuth-Parsifal 2018 

Avatar photo
Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.

Autres articles

2 Commentaires

  1. J’en sort encore sous l’effet d'étuve.…. la n’est pas le propos. Je partage l’avis de Wanderer, d’autant que j’avais assisté au cru 2018.
    Orchestre et chœur sont exceptionnels. D’accord il y’a une tension, c’est une direction qui va de l’avant même si les temps sont dans la bonne moyenne 1h40 au I et 1h10 au II. 1h20 au III qui est merveilleusement ciselé. C’est d’ailleurs celui que je préfère surtout la désolation de la première partie.
    Pour le Chant Groissböck est époustouflant, rien à ajouter. Mais Parsifal et Kundry.… j’ai abordé positivement : ce sont de bons chanteurs. Tout y est, c’est musclé voire athlétique. Pourquoi pas ? Mais peut on y croire ? Non pas vraiment. Je n’arrive pas à caractériser la voix de Schager : certainement très juste, plein d’harmoniques, aucun vibrato, puissante, mais sans grain, à pleine puissance. Si on veut avoir quelques nuances, le lavement des pieds au III. Pas de douceur. comment seront chantés les murmures de la forêt l’an prochain ? Au fond le plus positif est que tous deux font du théâtre, tout au moins par leur chant parce que les talents d’acteurs.…
    La mise en scène.… bon j’ai une faille de taille car je ne sais rien de GFriedrich et Schlingensief donc je passe de Wolfgang à Herheim. Clairement le niveau n’est pas le même
    Mais je voudrais donner un avis plus nuancé que Wanderer.
    Ce qui est raté c’est la cohérence du propos : franchement le petit Ilan-cygne, les patrouilles de GI’s, les lits de camps, le contexte guerre d’Irak, même la religion universelle de la fin c’est foutrac. C’est vrai que le hamam lupanar est assez farce, que le caractère pervers de Klingsor est une idée qui détruit tout mysticisme et histoire de chevaliers ou de religions et je trouve cela assez marrant, finalement c’est la seule chose iconoclaste.
    Donc pas de théorie ou de reinterpretation dans tout cela. Mais je pensais à la deuxième mise en scène de Wolfgang : c’est un livre d’image et plutôt plus réussi. Cela veut dire que décors et éclairages sont plutôt mieux faits. Le jeu des acteurs ? Pas grand chose hormis Gurnemanz et les chœurs plutôt bien gérés.
    Alors je ne veux pas me contredire de ce que j’ai mis sur le blog ce matin : que j’avais la curiosité de voir de véritable productions innovantes. Mais de temps en temps on peut aimer voir un beau livre d’images. Même s’il y a des scories. Même si le couple vedette est l'association d'athlètes du gosier (et des poumons). Surtout quand orchestre et chœurs sont merveilleux et qu’il y a un immense Gurnemanz. Et c’est cela qui justifie le Festival. Demain Meistersingers, espérons que Beckmesser ne sera plus malade.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire !
S'il vous plaît entrez votre nom ici