Tristan und Isolde (1865)
Opéra en trois actes de Richard Wagner,
Livret du compositeur

Créé le 10 juin 1865 au Théâtre National de Munich

Isolde : Katherine Broderick
Tristan : Stefan Vinke
Le Roi Marke : Stephen Milling
Brangäne : Karen Cargill
Kurwenal : Jochen Kupfer
Melot : Paul Curievici
Un berger / un jeune matelot : Yu Shao
Un pilote : Jean-Philippe Elleouet-Molina

Choeur de l'Opera national Montpellier-Occitanie et Orchestre national Montpellier-Occitanie

Chef des choeurs : Noëlle Gény
Direction musicale : Michael Schønwandt

 

20 janvier 2019 au Corum – Opéra Berlioz de Montpellier

On doit à Valérie Chevalier, directrice générale de l'Opéra Orchestre National de Montpellier Occitanie d'avoir relevé le défi de monter Tristan und Isolde dans une version concert qui réunit sur la scène du Corum – Opéra Berlioz la fine fleur du chant wagnérien. La direction élégante et charpentée de Michael Schønwandt confère à la soirée une allure et une prestance qui ne peuvent que satisfaire.

Tristan und Isolde – Montpellier / Opéra Corum

On connaît la difficulté de faire exister l'opéra sans décors ni mise en scène – comme si le théâtre réduit à l'instrument vocal peinait à se satisfaire d'une si simple et élémentaire enveloppe, au point d'en souligner les conventions et les artifices. Tristan est avec Parsifal, l'opéra de Wagner qui se prête le mieux à l'exercice du voyage immobile. L'écoute compense l'absence de déroulé visuel et, d'une certaine manière, la ténuité de l'élément épique finit souvent par faire regretter certains spectateurs qu'on aille cherche au-delà d'une mise en espace. On aurait mauvaise figure de faire ici la défense et l'illustration d'un alignement de chaises (ponctué de bouteilles d'eau minérale) sur le devant d'une scène où trône un orchestre symphonique généreusement déployé.

Si le Corum de Montpellier peut parfois faire office de salle de concert, il ne peut faire oublier la contrainte acoustique liée à une utilisation mixte, entre salle de conférence et opéra – inconvénient mineur en comparaison avec les dimensions trop modestes de l'Opéra-Comédie voisin… On passera également sur l'absence totale de la moindre tentative de mise en espace ou de jeux de lumières qui aurait pu alléger a minima la charge de ces quasi six heures de spectacle (entractes compris) où les chanteurs projettent de face, souvent de part et d'autre du podium du chef d'orchestre – y compris dans le duo d'amour.

Il faudra aux protagonistes une bonne partie de l'acte I pour trouver leurs marques, la performance vocale épousant la construction des scènes séparées qui retardent le moment où le premier regard est échangé et le philtre bu. L'attention se fixe irrésistiblement sur la jeune Katherine Broderick, dont la prise de rôle en Isolde permet d'apprécier un format vocal respectable et une endurance placide qui fait entendre des notes, au risque de faire oublier de larges pans de la caractérisation du personnage. L'émission est puissante et l'énergie de bon aloi, malgré une tendance récurrente à disparaître dans le bas médium quand les nappes furieuses de l'orchestre se font trop pressantes. La ligne aiguë excessivement vibrée laisse apparaître le métal du timbre alors même qu'elle maintient sur la durée un soin précautionneux dans les intonations et la projection de son instrument. La distance qui la sépare de son personnage ne fait pas exister le rôle au-delà du format certes généreux. La Liebestod est chantée assez droite et sans l'ombre d'un murmure, comme à l'opposé des subtilités que le chef impose à ce moment-là.

Le Tristan de Stefan Vinke apparaît par contraste dans une sorte de nervosité hérissée et très dure de voix dans les deux premiers actes. L'économie qui se fait entendre dans l'absence de risque et le volume en deçà sont payantes au III avec un engagement et une rage qui font de ce Tristan un lointain parent de son Siegfried de Bayreuth en 2016 et 2017. A‑t‑on récemment entendu un Der Trank ! Der Trank ! Der furchtbare Trank aussi halluciné ? La façon très volontaire avec laquelle il empoigne son personnage dans ce moment de délire et de désespoir fait largement oublier une ligne brouillonne et instable.

Katherine Broderick (Isolde), Michael Schønwandt et Stefan Vinke (Tristan)

Ce théâtre de l'instant contraste avec le Kurwenal très boutonné de Jochen Kupfer, dont la stature et le maintien tiennent davantage du majordome que du compagnon de route, loin de la véhémence bonhomme et la moquerie qu'il doit démontrer à l'endroit des deux femmes dans le I. La Brangäne de Karen Cargill ne manque pas de qualités mais on se heurte régulièrement à une émission très contournée et un timbre émollient qui gomme les aspérités et les arrière-fonds psychologiques du personnage. On goûtera les deux  interventions du Roi Marke de Stephen Milling qui rejoint les beaux souvenirs de son Hagen si impressionnant dans la mise en scène de Castorf à Bayreuth. La déploration n'est pas ici grandiloquente ; on aime cette forme de souffrance amère et rentrée, loin du pathos excessivement épaissi qu'on y entend souvent. Le Pilote de Jean-Philippe Elleouet-Molina et le Marin (et Berger) de Yu Shao cèdent en intérêt au Mélot cynique et sonore de Paul Curievici, qui complète ce plateau de belle tenue.

Michael Schønwandt se rappelle au bon souvenir des heureux festivaliers qui ont pu l'entendre en 1987 et 1988 diriger les Maîtres chanteurs de Nuremberg au Festival de Bayreuth. Sa direction élégante ne cède en rien à l'exigence de netteté et de volume qui font la marque des grands Tristan. Malgré une conque relativement neutre, l'Orchestre de Montpellier couvre par certains moments les voix placées à hauteur des pupitres. Le chef danois fait le choix d'une lecture prudente qui ne cherche pas à travestir en marine fortement brassée la sonorité de l'orchestre. Celui-ci répond de belle manière à une partition qu'il explore de belle manière, malgré des cordes assez mince d'impact et des vents qui reste à fleur de notes. On notera çà et là la présence de musiciens supplémentaires, dont le superlatif cor anglais de Laurent Decker qui signe le célébrissime solo du III d'une extraordinaire intensité dépouillée et mélancolique.

Tristan und Isolde, Karen Cargill (Brangäne) et Katherine Broderick (Isolde)
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David Verdier
David Verdier Diplômé en musicologie et lettres modernes à l'université de Provence, il vit et enseigne à Paris. Collabore à plusieurs revues dont les Cahiers Critiques de Poésie et la revue Europe où il étudie le lien entre littérature et musique contemporaine. Rédacteur auprès de Scènes magazine Genève et Dissonance (Bâle), il fait partie des co-fondateurs du site wanderersite.com, consacré à l'actualité musicale et lyrique, ainsi qu'au théâtre et les arts de la scène.
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