Gaetano Donizetti (1797–1848)
Le convenienze ed inconvenienze teatrali (Viva la mamma!) (1831)
Melodramma comico en deux actes
Livret de Domenico Gilardoni, d'après Sografi
Créé en le 21 novembre 1827 (en un acte) à Naples, au Teatro Nuovo, puis en 1831 (en 2 actes) à Milan, au Teatro Cannobiana, le 20 avril 1831

Laurent Pelly (Mise en scène)
Jean-Jacques Delmotte (Collaboration aux costumes)
Chantal Thomas (Décors)
Joël Adam (Lumières)

Patrizia Ciofi (Daria, prima donna)
David Bizic (Procolo, son mari)
Melody Louledjian (Luigia, seconda donna)
Laurent Naouri (Mamma Agata)
Luciano Botelho (Guglielmo, primo tenore)
Pietro di Bianco (Biscroma Strappaviscere, chef d'orchestre)
Enric Martinez-Castignani (Cesare Salsapariglia, poète)
Katherine Aitken (Pippetto)
Peter Kalman (L'impresario)
Rodrigo Garcia (Le directeur du théâtre)

Orchestre de chambre de Genève
Chœur d'hommes du Grand Théâtre de Genève
Roberto Balistreri (chef de chœur)
Gergely Madaras (direction musicale)

 

Genève, Opéra des Nations, le 3 janvier 2019

Avec la reprise de Viva la mamma, irrésistible production de Laurent Pelly créée à Lyon en 2017, Tobias Richter a vu juste, cet opus donizettien terminant l'année en beauté et avec lui la délocalisation temporaire du Grand Théâtre de Genève, pour celui de l'Opéra des Nations. Clap de fin pour cette structure en bois qui aura servi d'annexe à l’institution genevoise pendant une longue période de travaux, acquise par la Chine où elle partira prochainement pour connaître de nouvelles aventures artistiques.

Voir le compte rendu de la production lyonnaise sur le Blog du Wanderer

Pietro Di Bianco, Enric Martínez-Castignani, Patrizia Ciofi, Melody Louledjian, Katherine Aitken, David Bižić, Péter Kálmán et le Chœur homme du Grand Théâtre de Genève

Il en fallait de l'audace et de l'autodérision en 1831 pour proposer au public milanais habitué aux grands drames si prisés à l'époque, une œuvre folle et décomplexée sur les coulisses de l'opéra. En imaginant les pérégrinations d'une compagnie théâtrale sans le sou, en train de répéter sa dernière création, Donizetti et son librettiste Domenico Gilardoni ont eu à cœur de dynamiter les conventions et de montrer sous un angle parodique et peu flatteur, les travers d'une troupe qui finira par filer en douce, quelques heures avant la première. Cette mise en abîme du théâtre dans le théâtre, autour de laquelle Laurent Pelly tourne depuis longtemps, aussi originale que déjantée, où se débattent tout ensemble impresario véreux, poète en panne d'inspiration, diva capricieuse et intempestive mère poule, présente le monde du spectacle sous un jour inconnu et absolument pittoresque. Incapables de s'écouter et de s'entendre, les protagonistes de cette comédie satirique sont ainsi pris au piège de leurs propres bêtises, accumulant de façon outrancière et dérisoire, exigences ridicules, dérives existentielles et trahisons en tout genre, pour mieux se perdre et faire capoter un projet qui aurait dû les réunir. Avec sa verve et son regard corrosif qui a fait sa force, Laurent Pelly règle une mise en scène hilarante qui fourmille de gags et de détails croustillants toujours très justes.

Pietro Di Bianco, Enric Martínez-Castignani, Patrizia Ciofi, Melody Louledjian, Katherine Aitken, David Bižić, Péter Kálmán et le Chœur homme du Grand Théâtre de Genève 

Dans un impressionnant décor de théâtre ou ne subsiste qu’une scène et quelques étages de galeries, transformé en parking (Chantal Thomas), l'action trouve son rythme et sa place au gré de répétitions de plus en plus ingérables. Car rien ne se passe comme prévu dans cette compagnie : les jalousies des uns, les desiderata des autres et les inconvenances de tous finissent par conduire à la catastrophe. La prima donna refuse de chanter en duo avec la petite nouvelle, son mari qui ne sait pas chanter veut absolument monter sur scène et Mamma Agata, terrible ogresse, mère de la jeune première veut faire la pluie et le beau temps en effrayant tout le monde. Ce qui devait au départ se dérouler calmement, dérape donc inexorablement, Pelly prenant un malin plaisir à souligner ce dont sont capables ces personnages pris dans un engrenage sans fin et dont les singularités se révèlent jusque dans les ensembles menés au cordeau. Entre l'arrivée inopinée de la police à la fin de la première partie pour faire chanter les interprètes et celle des ouvriers, marteaux- piqueurs en mains, prêts à faire disparaître cet ancien théâtre, les trouvailles scéniques et les surprises ne manquent pas, à la grande satisfaction des spectateurs.

La direction musicale assurée par Gergely Madaras n'a sans doute pas la même cohésion, ni la même énergie que celle de Lorenzo Viotti ; moins tendue et moins virtuose, la partition ne sonne pas cette fois comme une course folle, ce qui par moment bride un peu le jeu des acteurs.

Laurent Naouri, Enric Martínez-Castignani et Patrizia Ciofi 

Comme à Lyon la vociférante Mamma Agata est campée par un Laurent Naouri inénarrable, dont le look ahurissant à la fois drag-queen et Margareth Thatcher n'a d'égal que la composition vocale absolument sensationnelle du grave à l'aigu. Ne craignant rien ni personne, son Agata devra malgré ses inconvenances fuir les débiteurs et prendre la poudre d'escampette à la nuit tombée. Face à lui (elle ?), Patrizia Ciofi retrouve avec plaisir le personnage de Daria, prima donna sûre de son talent et de son petit pouvoir de nuisance sur la compagnie. Véritable meneuse de revue, la soprano caracole sur le plateau et s'approprie ce rôle à la tessiture parfois peu confortable avec l’humour, la finesse et le brio que nous lui connaissons.

Enric Martínez-Castignani, Patrizia Ciofi & Pietro Di Bianco

Pietro Di Bianco (Biscorma, le chef d'orchestre), et Enric Martinez-Castignani (Cesare le poète) ne sont pas en reste pour croquer chacune des facéties dont sont parés leurs rôles, le premier toujours aussi survolté, hurlant en vain sur ces artistes dégénérés, le second houspillé, rejeté et à bout. Succédant à Charles Rice, David Bizic est fort drôle en Procolo notamment dans la seconde partie où il s'obstine à faire croire qu'il sait chanter sur scène alors qu'il n'y a jamais mis les pieds. Luciano Botelho n'a ni l'exubérance, ni l’amplitude vocale d'Enea Scala dans le rôle de Guglielmo, mais il se tire tout à fait honorablement de cette figure ventripotente, tout comme Peter Kalman en impresario et Rodrigo Garcia en directeur de théâtre. Couvée par sa mère, d'abord timide puis libérée, Melody Louledjian est adorable en Luigia entourée de Katherine Aitken dans le court rôle de Pippetto et du chœur d'hommes du grand Théâtre de Genève, survolté.

Melody Louledjian, Patrizia Ciofi, Enric Martínez-Castignani, Pietro Di Bianco, Laurent Naouri, David Bižić et le Chœur homme du Grand Théâtre de Genève 
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François Lesueur
Après avoir suivi des études de Cinéma et d'Audiovisuel, François Lesueur se dirige vers le milieu musical où il occupe plusieurs postes, dont celui de régisseur-plateau sur différentes productions d'opéra. Il choisit cependant la fonction publique et intègre la Direction des affaires culturelles, où il est successivement en charge des salles de concerts, des théâtres municipaux, des partenariats mis en place dans les musées de la Ville de Paris avant d’intégrer Paris Musées, où il est responsable des privatisations d’espaces.  Sa passion pour le journalisme et l'art lyrique le conduisent en parallèle à écrire très tôt pour de nombreuses revues musicales françaises et étrangères, qui l’amènent à collaborer notamment au mensuel culturel suisse Scènes magazine de 1993 à 2016 et à intégrer la rédaction d’Opéra Magazine en 2015. Il est également critique musical pour le site concertclassic.com depuis 2006. Il s’est associé au wanderesite.com dès son lancement

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