Richard Strauss (1864–1949)
Elektra (1909)
Tragédie en un acte d'Hugo von Hofmannsthal
d'après Sophocle

Chœur  et  Orchestre du Teatro alla Scala

Direttore Markus Stenz
Regia Patrice Chéreau
Regia ripresa da Peter McClintock
Scene Richard Peduzzi
Costumi Caroline De Vivaise
Luci Dominique Bruguière
riprese da Marco Filibeck

Klytaemnestra Waltraud Meier
Elektra Ricarda Merbeth
Chysothemis Regine Hangler
Aegisth Roberto Saccà
Orest Michael Volle
Der Pfleger des Orest Frank van Hove
Die erste Magd Bonita Hyman
Die zweite Magd/Die Schleppträgerin Judit Kutasi
Die dritte Magd Violetta Radomirska
Die vierte Magd Anna Samuil
Die fünfte Magd Roberta Alexander
Die Aufseherin/Die Vertraute Renate Behle
Ein junger Diener Michael Laurenz
Ein alter Diener Ernesto Panariello

Production Teatro alla Scala en coproduction avec Festival d'Aix en Provence, Metropolitan Opera, New York, Finnish National Opera, Helsink, Staatsoper Unter den Linden, Berlin, Gran Teatre del Liceu, Barcelona

 

Milan, Teatro alla Scala, dimanche 18 novembre 2018

Elektra, la dernière production de Chéreau, qui a désormais fait le tour des grands théâtres depuis sa création aixoise en 2013, fait office de pièce de musée, témoignage préservé presque sous globe, de la dernière « œuvre » du grand metteur en scène dont on sait qu’il aimait tant le théâtre vivant qu’il refusait les reprises de spectacles qu’il n’aurait pas retravaillé avec les interprètes. Disparu l’année même de la création, son spectacle coproduit par de nombreux opéras a continué son tour mondial, tantôt avec les interprètes originaux, tantôt avec d’autres.
La reprise de la Scala affiche une distribution largement remaniée, loin de celle de la création (y compris à Milan qui affichait l’essentiel des artistes aixois) annonçant au pupitre Christoph von Dohnanyi, straussien devant l’Eternel, mais suffisamment âgé (89 ans) pour limiter ses apparitions qui était l’attraction essentielle de cette reprise. Las, il n’a dirigé que la première et laissant la baguette pour les autres représentations à l’excellent Markus Stenz, présent à Milan pour Fin de Partie (et Henrik Nánási pour la dernière).

Le dispositif scénique de Richard Peduzzi

On ne reviendra pas sur une mise en scène dont tout a été dit, l’atmosphère lourde, le travail ciselé sur les personnages, la tendresse qui étreint et Clytemnestre et Elektra lorsqu’elles se font  face, le rôle de chœur muet de la foule des servantes et serviteurs, la précision des gestes et des mouvements : tout concourt à faire de ce travail une sorte de bilan de la vision théâtrale de Patrice Chéreau, devenu au long des années le maître d’un classicisme bien compris après avoir été l’un des créateurs du Regietheater. Contrairement à d’autres de sa génération, son travail est toujours original et dit des choses toujours nouvelles sur les œuvres qu’il interpelle ; dans cette Elektra, il interroge la tragédie, univers clos, personnages luttant désespérément contre leur destin, conclusion inéluctable, avec des idées nouvelles, comme le meurtre de Clytemnestre à vue, ou celui d’Egisthe par le serviteur.
Il y a eu chez Patrice Chéreau tout au long de sa carrière un travail approfondi sur l’acteur, sur les motivations des personnages  en étudiant le texte dans tous ses possibles. Ce travail d’analyse dans la profondeur du texte est sans doute à peu près unique par son exigence dans les annales du théâtre contemporain.
Évidemment, on comprend combien son absence peut peser sur un spectacle qu’il a travaillé avec une équipe de chanteurs-acteurs avec qui il a été jusqu’au bout (la mise en scène cette fois réglée par Peter McClintock); toute reprise de rôle par un autre chanteur change quelques données et fait perdre au travail son urgence, voire sa justesse. Ceux qui ont travaillé avec Chéreau ont en mémoire les répétitions originales, ceux qui arrivent doivent se fier aux assistants, qui même en reprenant scrupuleusement les indications de mise en scène, ne peuvent se substituer à la parole du maître.
Seuls survivent intacts les décors de Richard Peduzzi, les costumes de Caroline de Vivaise et les éclairages subtilement changeants  de la magicienne Dominique Bruguière (réglés par Marco Filibeck), c'est beaucoup, mais le coeur de la production a cessé de battre.

Et cette distribution, très honorable trouve en Waltraud Meier la seule rescapée de la distribution originale avec Roberta Alexander, cinquième servante de luxe : Evelyn Herlitzius a laissé place à Ricarda Merbeth, et Adrianne Pieczonka à Renate Hangler.
Dans les rôles masculins, Michael Volle est plutôt bienvenu en Oreste, tandis que Roberto Saccà  est Egisthe. En somme, même si ce n’est pas la distribution originale, c’est néanmoins une distribution de bon niveau.
Markus Stenz a dirigé l’ensemble avec précision et clarté. Et il a suivi ses interprètes qui dégageaient moins d’énergie sauvage ; il en résulte une interprétation tendue certes mais moins paroxystique, avec un orchestre de la Scala attentif et juste, sans scorie d’aucune sorte et très concentré où le chef s’applique à retenir l'orchestre pour permettre aux interprètes de chanter sans devoir pousser le volume au maximum au détriment des accents. Ayant repris la suite de Christoph von Dohnanyi au pied levé le 7 novembre, il s’est bien glissé dans les traces du vieux chef et lui aussi a veillé à garder les couleurs, la kaléidoscopie instrumentale aux mille reflets, tout en maintenant un orchestre compact, mais toujours limpide.

Ricarda Merbeth (Elektra)

La distribution tout en étant honorable n’était pas l’une de ces distributions qui fait tomber le public des balcons. Ricarda Merbeth est plus une Chrysothémis qu’une Elektra, par le timbre et par la possibilité vocale, mais elle se sort de ce rôle redoutable avec dignité et honneur, même si elle n’a rien de la sauvagerie incarnée d’Herlitzius ou de la voix de bronze de Stemme. Son Elektra est donc un peu plus douce, un peu plus insinuante, plus humaine peut-être, mais moins passionnante globalement, plus quelconque.
Renate Hangler se sort moins facilement des pièges de Chrysothémis ; la voix est claire, trop claire peut-être et elle n’a pas le poids nécessaire face à Merbeth-Elektra. Certaines scènes sont plus réussies, comme la scène finale, mais son duo initial avec sa sœur est plutôt pâle par manque de volume et d’épaisseur.

Les servantes face à Clytemnestre (Waltraud Meier) et à genoux Elektra (Ricarda Merbeth)

Quant à Waltraud Meier, elle est Clytemnestre, avec une voix encore puissante, et des aigus encore dardés. D’ailleurs l’éventuelle fragilité vocale contribue à servir le personnage car sa Clytemnestre est un tout, fait de gestes confondants de naturel (le jeu des mains est fascinant), faits d’accents, nés d’une possession intime du texte, où chaque mot est scandé, est coloré, est dessiné : l’art accompli du phrasé fait le reste. A ce niveau de maîtrise, il suffit de dire « chapeau bas ! ». Elle a créé un personnage nouveau, dessiné par Chéreau, un personnage angoissé, terriblement humain, maternel presque, un personnage qui excite plus la pitié que l’horreur là où l’on était habitué à des sorcières ou à des monstres couverts de grigris qui répondaient à la vision qu’Elektra veut avoir de sa mère ; il y a dans cette Clytemnestre non plus le membre des Atrides, avec tout ce que ce mot peut avoir d’effrayant, mais une femme traversée d’angoisses, en désir d’amour. Prodigieux, comme toujours.

Michael Volle (Orest) et Ricarda Merbeth (Elektra)

Du côté des hommes, si Roberto Saccà compose un Egisthe ordinaire dans sa médiocrité, Michael Volle donne à Oreste une toute autre dimension, à la fois glaciale et distanciée, mais aussi un Oreste profondément ému de la rencontre avec Elektra, il est le vengeur mais aussi le frère, à la fois protecteur et aimant : au service de la composition, une maîtrise suprême du texte, de chque mot, de chaque accents des couleurs, du phrasé, un Oreste presque définitif qui illumine avec Waltraud Meier la soirée.
Tous les autres participants font honneur à la production, avec un bel ensemble de servantes. Mais c’est ici la mise en scène (et même ce qu’il en reste) qui fait la grandeur de la soirée. Avec une autre mise en scène, nous aurions une Elektra de répertoire, assez ordinaire, mais Chéreau continue à illuminer et rend encore ce spectacle irremplaçable.

Waltraud Meier (Clytemnestre) et (de dos) Ricarda Merbeth (Elektra)
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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.
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