Direction musicale : Evelino Pidò
Mise en scène : Guillaume Gallienne (avec la collaboration de Marie Lambert)
Décors : Éric Ruf
Costumes : Olivier Bériot
Lumières : Bertrand Couderc
Chorégraphie :Glyslein Lefever
Chef des Choeurs : José Luis Basso

Don Ramiro : Lawrence Brownlee
Dandini : Florian Sempey
Don Magnifico : Alessandro Corbelli
Clorinda : Chiara Skerath
Tisbe : Isabelle Druet
Angelina : Marianne Crebassa
Alidoro : Adam Plachetka

Orchestre et chœur de l'Opéra National de Paris

Opéra national de Paris – Garnier : 25 novembre 2018

Il est toujours difficile de réussir Cenerentola : l'oeuvre est délicate, douce-amère, et demande un vrai sens des équilibres, qui allie le comique et l'émotion. Nouveau venu à la mise en scène d'opéra, Guillaume Gallienne s'est attaqué en juin 2017 au chef d'oeuvre de Rossini, avec lequel l'Opéra de Paris n'a pas toujours eu de chance. Résultat contrasté.

Alessandro Corbelli (Don Magnifico)

Une façade de palais, quelque peu décrépite, mais qui tient encore et fait valoir ses fenêtres ouvragées, baroques, d’un rouge intense. Nous voici à Naples, où le feu gronde sous terre, c’est dans le livret, tandis que le sol tremble. A proximité du Vésuve, cette belle demeure est promise à disparaitre et, de fait, son rez-de-chaussée est déjà pris dans les cendres et la lave. La lave, la rougeur d’une façade où se trame la violence domestique et, aussi, cette enfant des cendres. Il y a là une accroche, une idée, pourquoi pas une cohérence ? Reste à trouver l’équilibre dans ce Rossini faussement joyeux. Pour s’extirper du piège rossinien, ce mi-chemin entre la grosse farce et la finesse des caractères, le metteur en scène a mis beaucoup d’application.

Trop beau pour être dans le vrai 

Parfois un peu trop, utilisant des ficelles qui n’apportent pas grand-chose : ici, un chapeau tiré par un fil des coulisses, là deux gamins façon Gavroche qui se faufilent vivement parmi les protagonistes – le garçon d’ailleurs manque de glisser et se rattrape, ouf. Ces scories, filons la métaphore harountazieffienne, laissent espérer une prochaine mise en scène, plus dépouillée, plus directe, débarrassée de « trucs » certes charmants mais interchangeables. Ainsi de cette femme qui tricote, assise sur sa chaise pliable, restituant ainsi une ambiance de rue, dont on se fiche un peu. Il n’est nul besoin de charger un opéra même si, venant du théâtre, plus encore du cinéma, on en constate les points morts. Pourquoi meubler lorsque la musique seule en soi doit combler ? Croyant dépoussiérer, on alourdit.  Et, si la beauté des décors, rehaussée de lumières parfois féériques (merveilleux orage et lever de soleil _ II, 5), est réelle, leur plastique reste neutre en ce sens qu’ils pourraient servir à une autre production sans qu’on s’en offusque. Là encore, beaucoup d’application pour un résultat un peu trop beau pour être dans le vrai.

D’autant plus que le sociétaire de la Comédie française a su trouver une manière d’équilibre séduisant, où la détresse de Cendrillon est soigneusement balancée par le caractère bouffon de ses tortionnaires. A l’heure où le législateur interdit la fessée, il n’est pas inutile de montrer une enfant qui a l’habitude d’être fouettée si elle oublie de laver les carreaux – on pourrait à l’avenir imaginer une variante hulotienne où Cendrillon serait punie de son goût pour le charbon avant de rencontrer un prince fabricant d’éoliennes, mais nous nous égarons.

Chef de chœurs

Ce que Gallienne réussit le mieux est aussi dans cette attention portée à chaque personnage, le moindre choriste étant sollicité pour exprimer sa différence. Un geste de la main, un accessoire, un regard : le chœur n’est pas une foule mais une galerie de portraits. Où que le regard se porte, il y trouve une un sourire, une grimace, un regard, un détail attendrissant ou cocasse, un échange. Rarement à l’opéra, ce travail d’acteurs est poussé aussi loin, et peu importe au fond si tout est écrit ou si cela résulte d’une confiance donnée aux choristes. La musique y trouve une vie supplémentaire.

Lawrence Brownlee (Don Ramiro), Marianne Crebassa (Cenerentola)

Et cette cendre enfin qui couvre vos cheveux ?

Même exigence vis-à-vis des chanteurs mais avec des résultats plus contrastés, compte tenu des rôles qui oscillent de la neutralité au grand guignol. Parfois mise en difficulté dans le haut du registre, Marianne Crebassa campe néanmoins une Cenerentola très convaincante, par la beauté du timbre et la qualité du médium. Les yeux obstinément baissés, elle est d’une modestie confondante, sa frêle silhouette, dans une simple blouse grise, tendant quasiment à l’effacement. Elle n’est que cendres et c’est bien la meilleure incarnation qui se puisse concevoir. Cette humilité sied parfaitement à la scène finale, terrifiant moment de pardon général, où la gentillesse extrême d’Angelina devient parfaitement insupportable de bisounourserie. Traînant une étrange attelle et boîtant près de trois heures, Lawrence Brownlee apporte néanmoins à Don Ramiro la clarté de son timbre, des aigus radieux et une projection idéale. Quel beau soupirant que celui-ci ! On regrette pourtant que cette excellence vocale peine à s’incarner dans un personnage quelque peu falot mais Jacopo Ferretti ne lui a pas facilité la tâche. Dandini malin, intrigant, excentrique, ah ! ce lâcher de cheveux en arrière…, Florian Sempey donne au rôle une épaisseur bienvenue, servi par une prestation vocale de haut niveau.Ligne de chant impeccable, Adam Plachetka incarne un Alidoro quelque peu réservé, à force d'être impavide, davantage à l'écart du jeu qu'au-dessus de la mêlée. 
Chiara Skerath et Isabelle Druet composent des sœurs parfaitement niaises, capricieuses, bêcheuses, violentes (elles accueillent les messagers du prince avec des carabines…), vulgaires juste assez, en un mot : insupportables. Les chanteuses, elles aussi en grande forme, s’en donnent à cœur joie. Aux prises avec un rôle virtuose, qu’il assure brillamment malgré une légère fatigue de la voix, Alessandro Corbelli campe le Don Magnifico qu’on attend, personnage de comédie dont chaque défaut (avarice, cruauté, veulerie…) devient un spectacle en soi. Il cabotine un peu, peut-on le lui reprocher ?, mais la séduction est là.

A la tête d’un orchestre de l'Opéra de Paris en grande forme, Evelino Pidò donne à ce Rossini la souplesse et la volupté d’un grand soir où chaque pupitre semble vouloir imposer un mouvement d’humeur, joyeux avec les bois, grave, voire sombre avec les cordes, exubérant avec les cuivres. L’équilibre est parfaitement tenu, qui restitue le caractère doux-amer de la partition.  Cette Cenerentola surgit de la lave pour briller mais pas seulement : pour vibrer.

Marianne Crebassa (Cenerentola)

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