Joseph Haydn (1732–1809)
Orlando Paladino (1782)
Dramma eroicomico in tre atti
Libretto di Nunziato Porta
Direction musicale      Ivor Bolton
Mise en scène               Axel Ranisch
Décors et costumes     Falko Herold
Chorégraphie               Magdalena Padrosa Celada
Lumières                       Michael Bauer
Dramaturgie                 Rainer Karlitschek
Angelica                        Adela Zaharia
Rodomonte                  Edwin Crossley-Mercer
Orlando                        Mathias Vidal
Medoro                         Dovlet Nurgeldiyev
Licone                           Guy de Mey
Eurilla                           Elena Sancho Pereg
Pasquale                       David Portillo
Alcina                            Tara Erraught
Caronte                         François Lis
Gabi und Heiko Herz
                            Heiko Pinkowski, Gabi Herz

Münchener Kammerorchester

Bayerische Staatsoper, Prinzregententheater, 25 juillet 2018

Il y a dans le répertoire de la Bayerische Staatsoper un sérieux manque d’œuvres baroques. Chaque année au Festival une œuvre est ainsi montée (mais pas reprise en saison…) et c’est au tour de Haydn, après Rameau, après Monteverdi avec un Orlando Paladino qui n’est pas une des œuvres maîtresses du musicien, mais qui a l’avantage d’un ton héroïque et comique à la fois, permettant une production aux styles divers. Axel Ranisch propose une vision à la fois drôle et émouvante et c’est une réussite.

Adela Zaharia (Angelica)

Cinéma dans le cinéma. Nous sommes dans une salle de cinéma de quartier où l’on projette le film « Medoro et Angelica », une courte présentation filmée nous met dans une ambiance souriante, le projectionniste se tape la caissière, le mari de la caissière s’adonne aux plaisirs solitaires en regardant l’album des photos de ses héros favoris du grand écran et la fille du projectionniste (Alcina) regarde tout ça par les serrures avec une distance amusée.

Rodomontades : Guy de Mey (Licone) et Edwin Crossley-Mercer (Rodomonte)

Le film va être projeté, les spectateurs gagnent leur place, dont un Rodomonte plein de soi et aux rodomontades à revendre, comme il se doit (Edwin Crossley-Mercer)  et comme dans « La Rose pourpre du Caire », les personnages sortent de l’écran et l’opéra peut commencer, entre personnages et spectateurs, dans un travail d’une belle intelligence d'Axel Ranisch et les décors à la fois réalistes et abstraits de Falko Herold.
L’histoire d’Orlando Paladino « drammaeroicomico » sur un livret de Nunziato Porta convient à cette entrée un peu délirante. Puisant dans la geste médiévale revue et corrigée par l’Arioste comme la plupart des livrets sur Roland, on y retrouve un mix d’épopée médiévale (Alcina, Orlando) ou de mythologie grecque (Caronte) : le personnage de Roland est ici appuyé sur l’Orlando Furioso et sur les récits de ses « pazzie » ses folies, dans une vision à la fois héroïque et parodique qui en fit à l’époque de sa création (1782) l’un des opéras les plus populaires de Haydn. Le livret lui-même est inspiré de celui de Carlo Francesco Badini pour Le pazzie d’Orlando, opéra de Pietro Alessandro Guglielmi (1771).
Rodomonte et Orlando sont amoureux de la même femme, Angelica qui elle-même aime Medoro. Poursuivie par les assiduités des deux chevaliers, elle demande la protection de la magicienne Alcina, qui va être tout au long de l’opéra la bonne fée qui protègera les amoureux.

Aux Enfers : Mathias Vidal (Orlando)

Orlando a laissé les batailles héroïques pour tomber dans la folie de la passion et cette folie le conduira (avec la complicité d’Alcina) jusqu’aux Enfers où il oubliera tout sous l’effet du fleuve Léthé. A la fin tout s’arrange et aussi bien Medoro et Angelica que l’écuyer d’Orlando Pasquale et la bergère Eurilla pourront vivre leurs amours, tandis que les deux chevaliers renoncent à leurs passions pour aller combattre ailleurs.
C’est le drame du repos du guerrier, délaissant la guerre et emporté par l'amour : du coup les héros sont fatigués et se laissent aller aux futilités du désir et du quotidien. Il y a dans Orlando Paladino à la fois les ingrédients du roman précieux, ou de la pastorale, dans une ambiance marivaudienne où maîtres et serviteurs vivent chacun leurs amours. Mais il y a aussi Alcina, la magicienne, ici personnage positif (ma sorcière bien aimée) qui protège les amants des privautés des chevaliers ; en bref une intrigue complexe où les héros traditionnels (Orlando, voire Rodomonte) ne sont pas vus sous leur profil le plus avantageux, jusqu'à en être ridicules.

La production d’Axel Ranisch a l’avantage de jouer sur ces niveaux, en plaçant l’intrigue dans un contexte plus contemporain, et en en faisant au départ l'histoire à l’eau de rose d'un film à trois sous, travaillant sur l’ironie et sur la distance que le monde lyrique de la fin du XVIIIe prend avec ce qui a fait le genre depuis plus d’un siècle.
Cette distance, Axel Ranisch, qui est aussi cinéaste, la prend en compte dans un spectacle qui commence comme la « Rose pourpre du Caire » dans un décor réaliste de vieux cinéma (Falko Herold, qui signe aussi les costumes) et finit presque dans le dépouillement un peu désolé chez ce décorateur habituel de David Bösch. Mais aussi par une utilisation habile de la vidéo et du cinéma, jouant sur l’alternance du film muet « Medoro et Angelica » qui permet de constater la personnalité cinématographique de certains chanteurs (la belle Adela Zaharia dans Angelica), mais aussi de faire en sorte que le spectateur lise à la fois sur l’écran ce que ressentent vraiment les personnages, et sur scène ce qu’ils montrent : le on et le off en quelque sorte. Médiateurs de ce jeu, la famille Herz censée être propriétaire du cinéma, dont le film d’ouverture nous dévoile les petites turpitudes secrètes, qui interviennent dans l’histoire pour aider les uns et les autres à être eux-mêmes. D’où l’Alcina bienfaisante (Tara Erraught) leur fille dans le petit film initial, qui par le trou des serrures se fait une idée de l’humanité au quotidien.
Remarquables les acteurs qui complètent la distribution, Gabi Herz et Heiko Pinkowski (ce dernier acteur favori de Ranisch), une famille Herz qui traverse l’action en aidant les personnages à être eux-mêmes, en évitant les catastrophes, en se projetant  dans une action mythologique qui ne lui appartient pas, avec sourire et bonhommie, et une discrète ironie qui n’est pas sans rappeler un certain Christoph Marthaler.
La qualité de ce travail tient à ce que Ranisch peu à peu laisse les personnages se découvrir, soit dans les vidéos, soit sur scène, sans jamais appuyer sur le comique, sans jamais non plus appuyer sur le pathétique, en alternant l’un et l’autre, ce qui donne un spectacle qui n’est jamais caricature, et qui du même coup respecte profondément l’esprit du livret, avec tendresse et sympathie. Il travaille avec attention la conduite d’acteurs, notamment Rodomonte et Orlando (l’excellent Mathias Vidal) sorte de faux couple où la vérité des êtres se fait jour progressivement.
Il en résulte un spectacle qui est un petit miracle d’équilibre et de variété, jamais vulgaire même s’il sourit sur certaines pratiques intimes.  Il s'échappe de la représentation traditionnelle de ces histoires, soulignant discrètement qu’en 1782, Mozart est là et les histoires d’Orlando paraissent un peu déjà « has been », comme le magnifique décor avec le cheval mort nous le suggère.

La fin des chevaliers

C’est la fin des chevaliers blancs. Mais la mise en scène transcende tous les aspects surannés en jouant sur cinéma et théâtre, jeu et chant, dédoublements, ombre et réalité, dans une surreprésentation poétique de la caverne platonicienne . Au total, un spectacle charmeur, enchanteur, sensible dont on sort heureux.

La réussite de la mise en scène se double d’une éclatante réussite de la partie musicale. D’abord parce que tous les chanteurs ( quatre ténors, une basse, un baryton basse, deux sopranos et un mezzo aigu) sont parfaitement rentrés dans le jeu miroitant de la mise en scène : ils montrent tous un incroyable engagement et une justesse de jeu remarquable.

Edwin Crossley-Mercer, sur l'écran (Rodomonte) et Adela Zaharia (Angelica)

Le Rodomonte d’Edwin Crossley-Mercer qui entre en scène en voulant tout casser finit de plus en plus retenu et tendre, avec un timbre chaud et un beau contrôle vocal, pour finir à s’avouer amoureux de l’Orlando qu’il poursuit grâce au bon génie Heiko Herz dans une très belle scène cinématographique.
Dans ce « dramma eroicomico », les personnages de « valets » sont portés par Eurilla, la femme de ménage du cinéma, et Pasquale, écuyer d’Orlando. Le prénom Pasquale d’ailleurs montre qu’on est sorti des récits enchantés de l’Arioste pour entrer dans le prosaïque, les deux portent le comique « premier degré » avec une notable maestria. Elena Sancho-Pereg, Eurilla au chant contrôlé, d’une notable poésie et d’une rare sensibilité, et David Portillo une voix à suivre avec attention qui remporte le plus grand succès de la soirée dans son air « ecco spiano » prodigieux d’acrobatie – où il mime les tics de l'opéra de l’époque, sont un couple craquant et virevoltant.

Mathias Vidal n’est pas en reste, un brin moins brillant peut-être, avec une voix sans aspérités, agile, plus masculine. Très engagé dans le jeu, il est un Orlando un peu paumé, ailleurs, ambigu, qui ne se laisse pas facilement découvrir. Guy de Mey ténor de caractère consommé, est un impeccable Licone . Et François Lis fait entendre sa belle voix de basse, si bien timbrée dans Caronte le gardien des Enfers. Quant au ténor Dovlet Nurgeldiyev (Medoro), avec sa diction impeccable, la suavité d’un timbre d’une rare pureté, une ligne de chant parfaitement maîtrisée techniquement et une belle expressivité, il fait sans doute partie des futurs stars de ce répertoire.

Adela Zaharia (Angelica) et Dovlet Nurgeldiyev (Medoro)

Comme toujours Tara Erraught en Alcina affiche une voix saine, expressive, au timbre sombre et chaud, mais capable de monter sans crainte à l’aigu (elle chante des rôles toujours un peu à la limite entre mezzo et soprano), elle impose une Alcina jeune et vive, bienveillante et souriante aussi, qui sait aussi avoir des accents dramatiques.
L’Angelica de Adela Zaharia est d’abord une figure, d’une forte personnalité à l’écran comme en scène, et sa présence indéniable est doublée d’une voix très maîtrisée, et d’un chant aux accents sensibles, marqués, très expressifs sans scories, sans aucun accroc. Là encore, cette voix qui nous vient de Roumanie, qui a vaincu le concours Operalia 2017 est à suivre.

Ivor Bolton à la tête du Münchener Kammerorchester emporte la représentation. Nous n’avons pas toujours marqué notre enthousiasme pour ce chef techniquement impeccable mais quelquefois peu imaginatif. Il est ici très vif, collant au plateau en suivant parfaitement le rythme de la mise en scène, produisant dans le magnifique Prinzregententheater un son très limpide, avec une belle énergie, et aussi des moments d’une jolie douceur voire de franche ironie : l’orchestre est désopilant lors des apparitions de Pasquale.

Chaque année, au moment du festival, Klaus Bachler, qui sait que le répertoire de Munich pèche un peu sur le XVIIIe et le baroque en général, propose une production qu’on ne voit plus durant la saison, au contraire de toutes les autres productions. Il y a une question d’occupation du Prinzregententheater, qui est réservé à l’académie August Everding, mais il existe aussi un théâtre à deux pas du Nationaltheater, particulièrement adapté à ce répertoire, qui est le Cuvilliés (où d’ailleurs Orlando Paladino a été créé à Munich). Il y a sans doute une bonne (ou mauvaise) raison pour qu’on n’utilise plus ce joyau de l’architecture baroque, qu’on utilisait il y a quelques décennies. Quand il s’agit de productions de cette qualité, on peut penser qu’elles mériteraient des reprises . Et il serait bon que Serge Dorny y pense pour le futur.

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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.

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1 COMMENTAIRE

  1. Dites le aussi à Audi, pour moi c est le spectacle idéal pour Aix.
    Après l Orphée et les indes galantes un tris d' excellence vu au Prinzregententheater.

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