Programme :

Gustav Mahler (1860–1911)
Symphonie No. 7 en mi mineur 

I Langsam (Adagio) — Allegro risoluto, ma non troppo
II Nachtmusik. Allegro moderato
III Scherzo. Schattenhaft
IV Nachtmusik. Andante amoroso
V Rondo-Finale. Tempo I (Allegro ordinario)

Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks (BRSO),
Mariss Jansons, direction

30 avril 2018, 20h, Elbphilharmonie, Hambourg

Il semblerait que la symphonie de Mahler la plus prétendument boudée revienne en odeur de sainteté : en cette saison 2017–2018, après Daniel Barenboim à Vienne, avant Kirill Petrenko à Munich et Londres, Mariss Jansons a porté Le Chant de la nuit au programme d’une tournée vertigineuse qui devait mener son orchestre bavarois à Francfort, New York, Riga, Helsinki, Saint-Pétersbourg et Moscou ! L’étape inaugurale, dans la grande salle de l’Elbphilharmonie de Hambourg, est, encore une fois, l’occasion de s’enivrer des fruits de la relation d’exception entre un immense Maestro et son orchestre de cœur.

Nec metus, in celebres ne nostrum nomen amicos
Inuideant inferre, sinant modò fata, nepotes
.
La Boétie (Poemata XX, 10–11)

 

La plus follement énigmatique ? La plus radicalement novatrice ? La plus musicalement insaisissable ? Laissons donc les musicologues analyser et qualifier la 7ème symphonie de Mahler ((Une belle première approche de cette symphonie peut consister en la lecture des analyses introductives de Henry-Louis de la Grange ici : http://gustavmahler.net.free.fr/symph7.html)). Mais l’une des moins florissantes au concert et une des moins dotées de la jungle des enregistrements mahlériens, elle l’est assurément ! Même Bruno Walter ne s’y frotta qu’à l’occasion de deux concerts en 1920 avant d’y renoncer… Comptant parmi ses plus assidus explorateurs, Mariss Jansons signe un doublé en ce printemps 2018 et, quelques mois après avoir apporté, cette fois à la tête de l’orchestre royal du Concertgebouw, sa troisième pierre à l’édifice discographique de la Mahler 7 ((Après ses enregistrements à la tête de l’orchestre philharmonique d’Oslo et, déjà, du BRSO, en 2009, parution en février 2018 des concerts enregistrés en septembre 2016 avec le RCO : https://www.concertgebouworkest.nl/en/mahler-symphony-no‑7–1)) a choisi de la programmer avec ses compagnons bavarois, à Munich et en tournée. La première étape de cette tournée était la d’ores et déjà prestigieuse Elbphilharmonie, dont le public peine à réprimer ses ovations lors de l’entrée détendue et énergique du Maestro.

Saluts de Mariss Jansons et du BRSO à Hambourg (30 avril 2018)

Les premiers frissons des bois et cordes, les premières plaintes dactyliques du Tenorhorn, scandés d’un geste plus ample qu’urgent, suffisent à installer un premier mouvement où chef et orchestre condenseront toute leur science du picaresque et nous promèneront dans le bric-à-brac stylistique assemblé par Mahler. Mouvement de contrastes résolus et ruptures assumées : risoluto, sans doute, et on oubliera le ma non troppo, car Jansons tire plus vers l’épique que le lyrique, vise plus l’aventure que la mélancolie. Des courses cahoteuses voire burlesques de la longue exposition au vaporeux des atmosphères quasi-mystiques, cosmiques presque, du développement central, Jansons se joue avec virtuosité et délices des disjonctions dynamiques et sait compter sur tous et chacun. Chaque pupitre se trouve sollicité et brille, assomme ou électrise, pour mieux trouver sa résolution dans un ensemble des plus organiques. En somme, ce I, accueilli, comme la fin de tous les autres mouvements, par des salves d’applaudissements qu’une timide réprobation des pisse-froid de service n’étouffera heureusement pas, se fait presque manifeste sonore, démonstration de l’évidence d’une vision partagée entre un orchestre et son Maestro. La première Nachmusik s’épand ensuite en pastiche militaire brillant et surjoue un burlesque qu’exalte l’intimité de Jansons avec la musique de Chostakovitch. Quel ravissement dans cet entremêlement profus voire confus de motifs, tout mahlériens, de marche et de valse ! Et c’est là au tour des cors et violoncelles d’émerveiller de leur plénitude collective.

C’est ensuite un Scherzo tout en hédonisme qui est présenté, étourdissant de volupté, d’une esthétique léchée, à la limite lisse. Mariss Jansons lâche la bride, dans un moment d’une grande beauté mais en roue sans doute trop libre. Beaucoup d’huile dans cette mécanique qui peine en conséquence à pleinement traduire ce que ce mouvement a d’inquiet, d’étrange, de terrifiant, de berliozien. On retrouvera ce relâchement dans l’alanguissement de la seconde Nachtmusik. La plasticité fabuleuse du BRSO s’épuise là aussi un peu, dans la circularité de la structure, le ronron des refrains, la timidité des dynamiques, la sourdine d’une mandoline et d’une guitare par trop effacées. La berceuse peine à faire éclore le rêve.

Mariss Jansons dirigeant le BRSO, Hambourg, 30 avril 2018

Le fracas du galop tumultueux de cuivres et percussions enfiévrés qui introduit le final n’en apparaît que plus saisissant, annonciateur de sommets. On ne sait en général trop que penser à l’écoute de ce Final ; là où Mahler voyait « la pleine lumière du jour », la composition, toute en fanfare, se pare d’ironie et de malice. Mariss Jansons emmène son orchestre sur la crête orthodoxe de la lumière, la voie de la jubilation, la montée d’une tension très expertement construite. On n’en finit pas de se vautrer dans la pureté d’intonation des cuivres du BRSO. L’explosion finale, baignée d’une allégresse folle, rappelle étonnamment le final d’une Résurrection qui serait déparée de sa dimension mystique pour revêtir des apprêts paradoxalement chtoniens et bucoliques (ces cloches triomphantes !). Éclatante maestria des 102 musiciens réunis dans un emballement final jamais inutilement débraillé, dans le bonheur de répondre à la moindre intention du Maestro.

Quatre-vingt deux minutes qu’on se rappellera longtemps ! Triomphe, bien sûr :

(Cliquez ici pour visualiser quelques secondes des saluts…)

Transparence oblige, il faut confesser, touche plus personnelle, que l’émotion de cette soirée était sans doute intensifiée par un faisceau de premières fois. Première Mahler 7 live par Mariss Jansons, par lequel, chef chouchou oblige, nous avions entendu tout le reste du corpus mahlérien. Première fois à l’Elbphilharmonie ; et c’est toujours émouvant, les premières fois dans de nouveaux théâtres ou de nouvelles salles. Abords spectaculaires (cet escalator fascinant qui mène à la « Plaza »), verticalité intimidante des espaces intérieurs, beauté ahurissante de la salle, dont la douceur beige et lumineuse impressionne autant qu’elle apaise, sont les ingrédients d’une grande ergonomie. On a hâte d’y revenir pour se faire une idée plus précise d’une acoustique qui nous a de prime abord paru tout miser sur la perfection des équilibres, au prix d’un soupçon de sécheresse et au détriment d’un caractère marqué.

Jean-Marc Navarro
Jean-Marc contribue à alimenter la section Danse de Wanderer.
Crédits photo : © Peter Meisel
© Claudia Hoehne (Saluts)
© WandererSite (Vidéo)

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