SAIGON de Caroline Guiela Nguyen

Compagnie Les Hommes Approximatifs

Avec

Caroline Arrouas
Dan Artus
Adeline Guillot
Thi Trúc Ly Huynh
Hoàng Son Lê
Phú Hau Nguyen
My Chau Nguyen Thi
Pierric Plathier
Thi Thanh Thu Tô
Anh Tran Nghia
Hiep Tran Nghia

collaboration artistique Claire Calvi
scénographie Alice Duchange
création costumes Benjamin Moreau
réalisation costumes Pascale Barré, Aude Bretagne,
Dominique Fournier, Barbara Mornet, Frédérique Payot
réalisation perruque Christelle Paillard
habilleuse Barbara Mornet ou Dominiquer Fournier
création lumière Jérémie Papin
régie lumière Sébastien Lemarchand ou Corentin Schricke
création sonore Antoine Richard
composition musicale Teddy Gauliat-Pitois et Antoine Richard
régie son Orane Duclos ou Antoine Richard
régie création et tournée Jérôme Masson
perruque et maquillage Christelle Paillard
tournée Serge Ugolini
dramaturgie et surtitrage Jérémie Scheidler et Manon Worms
stagiaire Hugo Soubise
traduction Duc Duy Nguyen et Thi Thanh Thu T

Prochaines dates :
7 et 8 juin 2018 – Festival Theaterformen – Braunschweig (Allemagne)
13 et 14 juin 2018 – Holland Festival – Amsterdam (Pays-Bas)
23 et 24 juin 2018 – Beijing Poly Theater – Beijing (Chine) / Magnificent Theater
29 et 30 juin 2018 – Oriental Arts Center – Shanghai (Chine) / Magnificent Theater
5 au 22 juin 2019 – Odéon/Ateliers Berthier (Paris)

Spectacle vu le 29 mai 2018 au Théâtre Olympia CDN de Tours.

Bien que nous ayons déjà publié un compte rendu de ce spectacle vu à l'Odéon (voir ci-dessous le lien vers l'article de Jean-Marc Proust, "Le vrai du Phô"), nous aimons les regards divers, et nous aimons voir voyager les productions pour vérifier leurs effets sur d'autres publics, notamment en région. Ainsi Laurent Roudillon rend-il compte de ce spectacle, de passage au CDN de Tours.
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Avec SAIGON, Caroline Guiela Nguyen et sa compagnie Les Hommes Approximatifs poursuit sa recherche sur l’influence des blessures dans nos propres existences. En racontant le trajet des larmes entre le Vietnam et la France entre 1956, année de départ des derniers Français de Saigon, et 1996, lorsque le gouvernement autorise les Vietnamiens ayant émigré à l’étranger à rentrer dans leur pays natal, la metteure en scène raconte ce que l’Histoire et la Géographie enfantent de rêves brisés, de destins contrariés et de douleurs contenues. Une fresque polyphonique incroyablement maîtrisée portée par une interprétation et une mise en scène magistrales. 

Il s’est passé un an depuis la création de SAIGON à Valence, ce soir de première au CDN de Tours. Une année d’existence d’un spectacle qui fut la révélation d’Avignon, de nombreux articles élogieux, des portraits de la metteure en scène, des émissions de radio…Il y a toujours dans les rencontres tardives avec une œuvre à succès la peur qu’elle ne soit pas aussi belle que prévue à force que ses qualités soient données ainsi en pâture au public, la peur qu’une intimité et une émotion ne soient plus possibles, verrouillées par l’unanimité.

Il y a également l’attente fébrile du travail des artistes qui nous ont déjà offert de grands chocs émotionnels et esthétiques, comme ce fut le cas avec Elle brûle, l’histoire d’une femme qui décide de saboter sa propre vie et dont les blessures s’insinuent peu à peu dans les corps de ceux qui, eux, vont rester en vie. Puis avec Le Chagrin où l’on assiste à la fabrique du deuil entre retour à l’enfance et douleurs silencieuses qui jalonnent le parcours de chacun des personnages. Deux expériences – physiques- de spectateur qui ont placé Caroline Guiela Nguyen à la place difficile des artistes à qui l’on dit secrètement à chaque nouvelle création « s’il te plaît ne me déçois pas »… Un an d’attente donc avant d’être rassuré, et ô combien.

Un décor unique de restaurant vietnamien à Saïgon, en 1956, ou à Paris en 1996, dans le 12e arrondissement où se sont installés les exilés vietnamiens. C’est un restaurant comme il en existe beaucoup ici et là-bas, avec ses fleurs colorées, artificielles ici et naturelles là-bas, son décor orné d’objets dont la présence révèle autant d’existences qui ont traversé le lieu, et son karaoké, qui trahit et traduit à la fois l’influence de la France et de sa culture populaire, et qui raconte les douleurs intimes des personnages. La scénographie d’Alice Duchange sublimée par la lumière de Jérémie Papin raconte dans un même élan le passé colonialiste et le processus de re-création d’un lieu que l’on a quitté et que l’on tente de reproduire ailleurs. On y retrouve également l’identité esthétique de la compagnie, des clins d’œil ou références à la scénographie d’Elle brûle, ses magnifiques éclairages latéraux, ce qui inscrit bien Saigon dans la continuité d’un travail et d’une recherche théâtrale plus vaste sur les territoires intimes du chagrin, de la douleur, mais aussi de la réconciliation :

« Plus que jamais, la grande préoccupation de notre compagnie est de savoir quels sont les récits que nous apportons comme réponse à notre monde. Nous souhaitons considérer le théâtre, aimer le théâtre, dans sa capacité à être poreux à ce qui nous traumatise, nous inquiète, nous empêche de dormir ou au contraire, nous console. Aujourd’hui plus que jamais, nous pensons que nous avons cette responsabilité-là, celle de libérer nos imaginaires pour représenter le monde tel qu’il nous arrive, dans son mystère et son réel.

Notre grande peine serait de laisser derrière nous des terrains abandonnés, des sujets innommables, de l’impensé, du mutisme et de dresser des murs entre nous et d’autres. »

En voulant donner à entendre des voix que l’on n’entend pas sur les plateaux de théâtre, Caroline Guiela Nguyen poursuit son observation du monde, de son bruit et parfois de sa fureur. L’Histoire n’est pas le prétexte à des histoires intimes et ces histoires intimes existent également, sous d’autres formes, en dehors de l’Histoire. Il est, dans Saigon, question d’exil, d’absence, de désillusions, d’espoir également. Comme dans les pièces précédentes d’ailleurs, il ne s’agit pas de dire des choses ou de « faire passer un message », mais d’observer le poids du monde dans la turbulence des corps, de révéler cet héritage indicible des blessures que l’on porte et dont on ne sait rien. Ainsi le personnage d’Antoine porte sans le savoir le poids des larmes de sa mère, les larmes de la désillusion, du mensonge, peut-être de la résignation, et ne comprend pas pourquoi sa mère refuse son cadeau d’anniversaire, ou son billet d’avion pour retourner quelques jours au Vietnam. Il ne comprend pas que ces gestes d’amour réveillent les blessures d’une promesse qui n’a pas été tenue. Jusqu’à lui demander « Est-ce que tu m’aimes ? ».

Le trajet des larmes dont il est question dans Saigon  n’est donc pas seulement celui qui circule du passé au présent, ou de Saigon à Paris ; il constitue une représentation du monde qui appartient à l’histoire et à la géographie des corps.

Saigon est donc une œuvre magistrale dans ce qu’elle donne à voir de l’errance des blessures humaines dans le chaos du monde. Parfaitement maîtrisée, la mise en scène confronte au plateau un décor cinématographique impressionnant mais dans lequel chaque objet à sa petite histoire, sa propre intimité. Tout comme ces personnages au destin chargé d’Histoire mais dont les chagrins leur appartiennent intimement. Et Caroline Guiela Nguyen de partir de sa propre intimité pour offrir un récit qui s’adresse à tous ; revendiquant l’absence d’autobiographie, car «  nous sommes faits d’autres histoires que la nôtre, nous sommes faits d’autres blessures que les nôtres. Pour cela, l’une des grandes nécessités que nous éprouvons aujourd’hui et qui motive de façon viscérale notre projet Saigon, est cette volonté de mettre en présence des comédiens qui viennent d’horizons lointains, pour que nous ayons, ensemble, le projet de livrer un récit commun. »

Laurent Roudillon
- Professeur de Lettres Modernes et de Théâtre-Expression dramatique.. – Coordinateur de l’Action culturelle dans le domaine du théâtre pour le département d’Indre-et-Loire, missionné par la DAAC de l’académie d’Orléans-Tours auprès du CDN de Tours.  – Membre du conseil d'administration et du comité de sélection du Volapük : accueil de compagnies en résidence pour les écritures contemporaines. (http://www.levolapuk.org/) – Président de Groupenfonction, groupe de création "indisciplinaire". http://www.groupenfonction.net/Actualite#Presentation
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