Programme
À l'occasion des 190 ans de la Reale Mutua Assicurazioni

Robert Schumann (1810–1856)
Symphonie no 1 en si bémol majeur op.38 (surnommée « Le Printemps »)
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L.v.Beethoven (1770–1827)
Symphonie numéro 7 en la majeur, op. 92

Auditorium Giovanni Agnelli, Torino – Vendredi 27 avril 2018

En conclusion de la tournée de printemps du Mahler Chamber Orchestra, traditionnellement dirigée par Daniele Gatti, conseiller musical de l‘orchestre, un concert exceptionnel au Lingotto de Turin, à l’occasion des 190 ans de la Reale Mutua Assicurazioni, la grande société d’assurances turinoise. Un public d’invités, une ambiance festive, et un concert comme d’habitude de grand niveau et engagé, sur un programme classique et fouillé de manière passionnante  : la symphonie « Le printemps » de Schumann et la Septième de Beethoven

Le Mahler Chamber Orchestra est un orchestre fondé en 1997 par des membres du Gustav Mahler Jugendorchester qui voulaient continuer de faire de la musique ensemble, Claudio Abbado a accompagné cette fondation en dirigeant l’orchestre qui évidemment avec le temps s’est transformé, mais dont certains musiciens sont encore des fondateurs. La figure d’Abbado est évidemment tutélaire, et me semble-t-il semble planer encore sur l’orchestre d’aujourd’hui tant il respire la jeunesse, l’énergie et la joie de jouer.
Pour moi le Mahler Chamber Orchestra, ce sont des souvenirs souvent émus, ce sont des concerts le plus souvent enthousiasmants, ce sont encore des soirées marquantes.
Daniele Gatti en est le conseiller artistique, et il entretient avec cet orchestre depuis plusieurs années une relation exceptionnelle.
On sait combien Gatti aime fouiller les partitions, aime oser, aimer aborder les œuvres sous des points de vue divers, au risque même de ne pas être compris, ou même fortement critiqué. C’est justement cette manière de travailler, où un concert ne ressemble jamais à l’autre qui plait aux musiciens. « Au moins, avec lui on ne s’ennuie jamais », me disait l’un des plus anciens membres de cet orchestre. Et ce travail, avec des musiciens qui sont ensemble non par routine, mais par envie de jouer, il prend tout son sens dans cette relation visiblement heureuse et pleinement partagée.
Cette tournée de printemps a donc mené l’orchestre à Bari, à Heidelberg, à Bilbao, Saragosse, à Barcelone, et à Turin sur un programme symphonique classique (Schumann et Beethoven ont été labourés par Gatti et l’orchestre depuis plusieurs années), sauf à Barcelone où ils ont exécuté avec grand succès d’ailleurs la IXe de Beethoven.
Même s’il s’agissait d’un concert privé, le rendez-vous au Lingotto est traditionnel pour Daniele Gatti, que ce soit avec le MCO (Mahler Chamber Orchestra) ou le RCO (Royal Concertgebouw Orchestra), le lien est fort entre Daniele Gatti et Lingotto Musica, l’institution qui gère les magnifiques concerts de l’auditorium Giovanni Agnelli.

« Im Tale blüht der Frühling auf ! ».
Voilà comme se termine le poème d’ Adolf Böttger qui a inspiré la symphonie, terminée en trois semaines en 1841.
L’expérience de cette symphonie était d’autant plus passionnante que nous l’avions entendue quelques semaine avant à Lucerne avec un Mariss Jansons serein et solaire (voir le compte rendu ci-dessous).
Daniele Gatti l’aborde d’une toute autre manière, cherchant à rendre non la sérénité d’un printemps solaire, mais ce printemps que Stravinski a consacré, un printemps qui explose, qui heurte, qui bouscule, comme l’âme romantique pouvait le percevoir. Il en résulte donc une interprétation presque inquiétante quelquefois, moins sereine et vraiment passionnante. C’est une vraie leçon d’interprétation qui nous est donnée en comparant les deux approches, qui ne s’appuient pas sur les mêmes données. Là où Jansons cherche la joie d’un couple qui vient de se former un an avant, Gatti cherche à retranscrire une agitation printanière, la sève qui monte, la nature en transformation : plus Dionysos qu’Apollon, ce qui au fond convient très bien à tout le programme, quoi de plus dionysiaque que la septième de Beethoven. L’avantage d’avoir en main le MCO, c’est qu’il peut tout tenter avec eux et les amener au plus infime des sons, aux rythmes syncopés, à une vision de l’âme en mouvement perpétuel.
Le début explosif, la fanfare, les légers silences, le tempo quelquefois un peu heurté, le rythme, tout nous emmène vers un printemps bien peu botticellien, avec une urgence et une verdeur singulière. Cette urgence on la remarque par un tempo vif, des contrastes marqués, des volumes parfaitement calibrés, en bref un discours d’une rare sensibilité et qui fait respirer un air de jeunesse…
Ce que traduit aussi l’approche de Gatti dans ce Schumann, c’est aussi l’inquiétude du compositeur, sa manière l’alterner moments de joie et de quiétude et moments d’agitation plus tendus et dramatiques. Une âme jamais en repos malgré la joie apparente.
Le deuxième mouvement fait partager cette joie et un moment de sérénité qui pourtant ne se laisse jamais aller totalement il y a toujours cette tension sous-jacente, qu’on retrouve au troisième mouvement, un scherzo à la fois énergique et subtil, et Gatti veille à chaque accent d’un geste à peine perceptible ou d’un regard. La variété des couleurs, les sons à peine perceptibles, les respirations, l’énergie et final à peine murmuré., presque en suspension
Le dernier mouvement, plus dansant, reste aussi souvent fait de clair-obscur qui rappelle évidemment l’âge du romantisme, qui donne à cette symphonie une couleur presque weberienne. Schumann, souvent si difficile à percevoir dans sa totalité est ici ressenti comme rarement, et avec un engagement phénoménal des musiciens qui affichent sur leur visage leur joie de jouer.

 

La Septième de Beethoven, l’une des références du répertoire, est approchée ici avec le même esprit que le Schumann, dans une vision dionysiaque et une lecture de la partition qui refuse les effets et  les interprétations trop accusées notamment de l’allegretto, souvent confondu avec une marche funèbre bis (on se souvient l’approche terrible et sinistre de Furtwängler dans ses enregistrements de 1943). Ici rien n’est appuyé, rien n’est insistant, rarement un allegretto aura été aussi fluide au départ, puis plus éclatant dans l’entrée des cuivres qui va en s’amenuisant et justifie la deuxième partie plus bucolique. Ce que soigne ici Daniele Gatti c’est d’abord un certain lyrisme, non départi de nervosité et de tension, en pleine cohérence avec le Schumann précédent. Il y a là de la tristesse, mais pas de deuil.
Et le côté primesautier du scherzo revient à une joie de vivre sans mélange, avec des accents marqués et une clarté de l’exécution notable. La lisibilité de l’orchestre, l’exaltation des différents pupitres (magnifiques bois et cuivre) sont vraiment exceptionnels, ainsi que la précision dans la réponse aux impulsions données par le chef.
Dionysiaque s’il en est, le dernier mouvement est pure démonstration de l’engagement et de la réactivité de l’orchestre : Claudio Abbado en donna une exécution mémorable insurpassée avec les Berliner un soir d’avril 2001 à Salzbourg .
Daniele Gatti est sur cette lancée, une dynamique incroyable dans un rythme étourdissant (les cordes emmenés par le talentueux Raphael Christ) qui montre à quel point l’entente avec le chef est grande (que de sourires dans les regards des musiciens) sans aucune scorie ni aucun flottement de tempo. Tout est net, précis, joyeux et profond à la fois, avec des accents marqués sans que le souffle épique ne retombe jamais. Une démonstration (mais qui n’est pas inutilement démonstrative…) qui est volonté d’exalter la musique dans ce qu’elle a de plus profondément vivant et vibrant, en annonce d’un romantisme à laquelle cette symphonie ouvre la voie. Un moment exceptionnel qui confirme le triomphe qui a conclu chaque étape de la tournée.

Raphael Christ et Daniele Gatti : une entente profonde entre orchestre et chef
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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.
Crédits photo : © Wanderersite

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