Benjamin Britten (1913–1976)
Gloriana (1953)

Opéra en trois actes, livret de William Plomer
Créé au Covent Garden de Londres, le 8 juin 1953

David McVicar (Mise en scène)
Robert Jones (Décor)
Brigitte Reiffenstuel (Costumes)
Adam Silverman (Lumières)
Colm Seery (Chorégraphie)

Elizabeth 1ère : Anna Caterina Antonacci
Robert Devereux : Leonardo Capalbo
Frances : Paula Murrihy
Charles Blount, Lord Mountjoy : Duncan Rock
Penelope, Lady Rich : Sophie Bevan
Sir Robert Cecil : Leigh Melrose
Sir Walter Raleigh : David Soar
Henry Cuffe : Benedict Nelson
Une dame de Compagnie : Elena Copons
Un chanteur aveugle : James Creswell
Le notaire de Norwich : Scott Wilde
Une tenancière : Itxaro Mentxaka
L’esprit du masque : Sam Furness
Le maître de cérémonie : Gerardo López
Le prisonnier : Àlex Sanmartí

Chœur et Orchestre du Teatro Real
Ivor Bolton (Direction musicale)

Nouvelle production du Teatro Real, en coproduction avec l’English National Opera (ENO) et De Vlaamse Opera.

12 avril 2018 au Teatro Real de Madrid

Créée en juin 1953 au Covent Garden de Londres pour le couronnement de la Reine Elisabeth II, la Gloriana de Britten, de par sa complexité et l’effectif qu’elle requiert, est trop rarement programmée dans les grands théâtres. Grâce au Teatro Real de Madrid et à son directeur Joan Matabosch, cette pièce maîtresse du répertoire de Britten, mise en scène par David McVicar et dirigée par Ivor Bolton, est à l’affiche jusqu’au 24 avril, avant d’être reprise à Londres (ENO) puis à Anvers.

 L’exercice du pouvoir, les rapports de force, l’ambiguïté des sentiments et la marginalité ont passionné Benjamin Britten tout au long de sa vie et il n’est pas surprenant que les dernières années du règne d’Elisabeth 1ère d’Angleterre lui aient inspiré sa huitième composition lyrique, Gloriana. La « Reine vierge », crainte et adulée par son peuple est un sujet en or pour le compositeur fasciné par les anti-héros, les êtres isolés, rejetés par la société pour lesquels il réalisa de singulières partitions.
Au terme d’un règne exceptionnellement long, Elisabeth 1ère sent son astre et son ascendant décliner ; tourmentée, critiquée pour ses choix politiques hasardeux, elle tombe amoureuse d’un arriviste, Robert Devereux, dont la trahison finira par l’affaiblir en tant que femme et en tant que Reine. Bien que flamboyante et audacieuse, la partition qu’en a tiré l’auteur de Peter Grimes n’en est pas moins exigeante. D’une grande modernité de ton, elle allie à un discours musical profondément novateur, d’enivrantes références à la musique de cour élisabéthaine. Reconnaissable comme la plupart des œuvres de Britten, le style est éclatant, l’écriture orchestrale, des tutti puissants aux échos lointainement murmurés, virtuose, le traitement des voix définissant très précisément le profil psychologique de chaque personnage.

Anna Caterina Antonacci

Le rôle-titre écrit pour des actrices-chanteuses chevronnées, capables de déclamer en tragédienne et de chanter avec autorité, ne s’improvise pas. Marqué par le passé par de fortes personnalités comme Joséphine Bartsow et Sarah Walker, c’est à Anna Caterina Antonacci en alternance avec Alexandra Deshorties, que Gloriana a été confiée à Madrid, dans la nouvelle production de David McVicar. Adeptes des reconstitutions historiques où l’élégance rivalise avec le respect, le metteur en scène écossais a une nouvelle fois réussi son pari. Le décor unique, un somptueux astrolabe dont le socle et les arcs dorés peuvent être actionnés pour se soulever, s’imbriquer et créer d’impressionnants effets visuels, rappelle combien l’astronomie était en vogue à la Renaissance dans l’Europe entière. Cette astucieuse scénographie (Robert Jones) permet également de résoudre les nombreux changements de lieux et de relier les scènes entre elles afin de gagner en fluidité. Le spectacle habilement réglé, s’attache à restituer ce qu’était la cour d’Elisabeth entre 1558 et 1603 avec ses scènes d’apparat, ses masques shakespeariens, ses danses extrêmement codifiées en opposition à quelques moments de pure intimité : parmi eux, celui où Gloriana est découverte les pieds dans une bassine, sans maquillage et sans perruque par Robert, d’une belle intensité dramatique. Costumes signés Brigitte Reiffenstuel, accessoires changés à vue, lumières blafardes (Adam Silverman), tout est ici soigné avec minutie et fidélité.
La présence en fosse d’Ivor Bolton n’est évidemment pas étrangère à cette réussite. À la tête de l’orchestre du Real, le chef britannique propose une direction racée, cinglante et passionnée soumise à une tension permanente. La mise en place des ensembles est admirable, le travail sur les couleurs éblouissant, orchestre, chœur et solistes étant traités avec une attention particulière.
Anna Caterina Antonacci n’aurait sans doute pas accepté d’aborder Gloriana sans avoir David McVicar à ses côtés, qui l’a déjà dirigée dans Carmen et Les Troyens. Très central, le rôle tombe sans un pli sur sa tessiture, la cantatrice parvenant à s’imposer dans les parties chantées comme dans les passages parlés où ses dons de comédienne se déploient avec assurance. Dominateur, le personnage qu’elle défend n’a rien de monolithique, car la femme tourmentée, vieillissante et fatalement vulnérable s’expriment malgré l’étiquette et les conventions qui la broient. Quasi maternelle face à Robert pendant le splendide duo « Happy where he could finish forth his fate », elle tient son rang en public, avant de nous émouvoir pendant sa prière (final du 1er acte) et l’épilogue qui conclut l’œuvre dans une sorte de délire.

Leonardo Capalbo (Robert Devereux) et Elisabeth (Anna Caterina Antonacci)

L’italianité naturelle et les phrasés solaires de Leonardo Capalbo constituent de sérieux atouts pour le chanteur italo-américain, très en voix, qui rompt sans le vouloir, la tradition perpétrée depuis Peter Pears jusqu’à Philip Langridge et Anthony Rolfe-Johnson, dont les timbres étaient plus éthérés. Mountjoy, son rival, trouve en Duncan Rock un interprète de grande qualité, tandis que Leigh Melrose (Cecil), David Soar (Raleigh) et Benedict Nelson (Cuffe) sont d’excellents partenaires. La mezzo Paula Murrihy (Frances) et Sophie Bevan (Pénélope) sont idéales comme les membres du chœur très sollicités dans cet opéra, que l’on pourra revoir à Londres puis à Amsterdam à une date encore inconnue.

Leonardo Capalbo (Robert Devereux) et Elisabeth (Anna Caterina Antonacci)
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François Lesueur
Après avoir suivi des études de Cinéma et d'Audiovisuel, François Lesueur se dirige vers le milieu musical où il occupe plusieurs postes, dont celui de régisseur-plateau sur différentes productions d'opéra. Il choisit cependant la fonction publique et intègre la Direction des affaires culturelles, où il est successivement en charge des salles de concerts, des théâtres municipaux, des partenariats mis en place dans les musées de la Ville de Paris avant d’intégrer Paris Musées, où il est responsable des privatisations d’espaces.  Sa passion pour le journalisme et l'art lyrique le conduisent en parallèle à écrire très tôt pour de nombreuses revues musicales françaises et étrangères, qui l’amènent à collaborer notamment au mensuel culturel suisse Scènes magazine de 1993 à 2016 et à intégrer la rédaction d’Opéra Magazine en 2015. Il est également critique musical pour le site concertclassic.com depuis 2006. Il s’est associé au wanderesite.com dès son lancement

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