Francesca da Rimini
Opéra en quatre actes de Riccardo Zandonai (1883–1944) créé le 19 février 1914 au Teatro Regio de Turin

Livret de Tito Ricordi, d’après la pièce de Gabriele d’Annunzio
Nouvelle production

Mise en scène : Nicola Raab
Décors et costumes : Ashley Martin-Davis
Éclairages : James Farncombe

Avec :

Saioa Hernández (Francesca),
Josy Santos (Samaritana),
Ashley David Prewett (Ostasio),
Marco Vratogna (Giovanni Lo Sciancato),
Marcelo Puente (Paolo iI Bello),
Tom Randle (Malatestino),
Francesca Sorteni (Biancofiore),
Marta Bauzà (Garsenda),
Claire Péron (Altichiara),
Fanny Lustaud (Adonella),
Idunnu Münch (Smaragdi),
Stefan Sbonnik (Ser Toldo Berardengo),
Dionysos Idis (Le ménestrel),
Sébastien Park (L’arbalétrier),
Fabien Gaschy (Le guetteur)

Chœurs de l’Opéra national du Rhin
Direction : Sandrine Abello
Orchestre philharmonique de Strasbourg
Direction musicale : Giuliano Carella

 

 

 

 

8 décembre 2017 à l'Opéra national du Rhin

Coup de maître à l'opéra du Rhin. Pour sa première saison, Eva Kleinitz propose une production de Francesca da Rimini de Zandonai mise en scène par Nicola Raab, sous la direction de Giuliano Carella (Cf. l'interview publiée le mois dernier). Rarement monté sur les scènes, cet opéra contient tous les ingrédients qui permettent de séduire un large public amateur tout à la fois du chant italien, straussien, voire wagnérien. Les interprètes répondent ici avec brio au redoutable défi qui leur est proposé.

 

 

Francesca da Rimini est un opéra complexe et abondant, une œuvre quasi inclassable qui voit le jour au moment où éclate la première guerre mondiale. Riccardo Zandonai marche sur les brisées du vérisme de son maître Pietro Mascagni – vérisme qu'il ne cesse pourtant de recouvrir sous une couleur fin-de-Siècle qui affirme fièrement une hallucinante porosité stylistique. L'œuvre puise à grands traits dans le métal wagnérien et les chromatismes straussiens, avec çà et là des ruptures rythmiques façon Janacek ou des épanchements debussystes. L'écoute de ce conglomérat puissamment brassé à la fois éprouve et fascine, non seulement par le jeu des références musicales mais également par le lyrisme et la puissance abrupte du livret de Gabriele D’Annunzio. L'adaptation de Tito Ricordi n'affaiblit en rien ce texte vertigineux, inspiré par le récit des amours tragiques de Francesca et Paolo dans la Divine Comédie de Dante.

Elevant une histoire d'adultère à des hauteurs de drame postromantique, D'Annunzio dessine ses personnages à la lumière noire du Tristan de Wagner – référence soulignée dans la mise en scène par une reproduction en noir et blanc du célèbre tableau de Rogelio de Egusquiza. Destinée à un mariage arrangé avec le bien nommé Giovanni Malatesta, elle se détourne de lui et tombe amoureuse du beau Paolo, son frère. Dénoncés par dépit sentimental par le frère cadet, le vil Malatestino, le couple adultère sera mis en pièces par l'épée de Giovanni, fou de douleur.

Découverte en France dans un très intéressant Semiramide à Nancy, Nicola Raab livre une vision aux antipodes de l'embarrassant assemblage de ferblanteries signées Giancarlo del Monaco vu à Bastille en 2011. Pour un peu, l'austérité du décor et des costumes de Ashley Martin-Davis évoquerait la Pénélope de Fauré dans la production Pierre-André Weitz / Olivier Py dans cette même salle il y a deux ans. Deux très hauts demi-cylindres de bois noir pivotent en sens opposé sur le principe d'une inoffensive (et un peu ennuyeuse) tournette. Découpant l'espace en multipliant les angles de biais, la courbe de ces pans de murs s'ouvre tantôt d'une porte ou d'une fenêtre.

L'utilisation très habile du proscenium dans les premières scènes permet de distinguer deux scènes se déroulant en décalage temporel. Francesca est au premier plan tandis que les servantes assurent la narration des événements passés avec, au besoin, l'utilisation d'une figurante qui double la princesse malheureuse. Avec un soin scrupuleux accordé à la partition, la mise en scène détache de l'orchestre des solos d'instruments interprétés par des musiciens en frac directement sur scène, discrètement à cour ou à jardin.

Nicola Raab sait parfaitement doser les détails visuels pour mieux suggérer là ou del Monaco étouffait le drame par un replâtrage d'un goût douteux. Les parois du donjon noir crépitent d'une multitude de traces figurant les coups d'épées et le champ de bataille. Sur les murs blancs latéraux, ce sont des éclaboussures de sang noir ou bien une pluie d'épées plantées au hasard comme une violente volée de flèches que les éclairages de James Farncombe dessinent telles des croix dans un cimetière. La symétrie des deux "mauvais" frères tendrait à faire sourire (Malatesta traînant une jambe prisonnière d'une attelle de cuir parente de celles que portent Malatestina sur l'œil et autour du bras), de même la mort des amants, transpercés d'un seul coup d'épée dans un geste presque accidentel et involontaire. L'univers des légendes chevaleresque use d'éléments très proche de la narration des récits épiques : Le livre géant dont on tourne les pages, le rugissement des scènes de bataille ou encore une direction d'acteurs au cordeau qui semble multiplier en une foule soldatesque les dizaines de choristes qui se ruent le long des murs.

Francesca da Rimini est une fresque musicale qui s'appuie sur une écriture vocale particulièrement développée et qui ne laisse aucun rôle dans l'ombre. C'est le cas en particulier pour les quatre suivantes, dont la puissance et la projection évoquent des Walkyries miniatures. L'Opéra-Studio de l’Opéra du Rhin peut s'enorgueillir du galbe et de l'élan furieux de Francesca Sorteni (Biancofiore), Fanny Lustaud (Adonella) et Marta Bauzà (Garsenda), bel ensemble complété par Claire Péron (Altichiara).  La belle Smaragdi est tenue par Idunnu Münch, qui reprendra le rôle à la Scala cette saison. Josy Santos campe une Samaritana de premier ordre. Marco Vratogna est parfait dans le rôle de Giovanni, à la fois noir et brutal dans ses interventions, tonnant de sa belle voix de baryton. Le Malatestino de Tom Randle étonne dans un emploi pas forcément adapté à ses moyens. Les aigus n'ont pas la précision requise mais le jeu d'acteur compense en grand partie ces réserves. Marcelo Puente domine son sujet avec un Paolo très affirmé qui parvient à faire oublier une tendance à resserrer son vibrato dans les passages délicats. Il forme avec Saioa Hernández (Francesca) un couple moins spectaculaire que Svetla Vassileva et Roberto Alagna dans la production citée plus haut mais d'un équilibre et d'une incarnation remarquables – incarnation sur laquelle plane l'ombre portée de Tristan et Isolde. Saioa Hernández surmonte avec brio les difficultés d'une ligne de chant constamment sollicitée, au prix d'une relative froideur dans les épanchements et les nuances que l'exigence de Zandonai transforme en armes de séduction massive.

Préparés par Sandrine Abello, les Chœurs de l’Opéra national du Rhin signent une impressionnante prestation, en particulier dans les scènes de bataille. Giuliano Carella tient les clés de cette réussite, imposant une battue à la fois fine et sans relâchement, capable de faire ressortir le moindre détail dans des ensembles à la rutilance sauvage.

 

 

 

 

 

 

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David Verdier
David Verdier Diplômé en musicologie et lettres modernes à l'université de Provence, il vit et enseigne à Paris. Collabore à plusieurs revues dont les Cahiers Critiques de Poésie et la revue Europe où il étudie le lien entre littérature et musique contemporaine. Rédacteur auprès de Scènes magazine Genève et Dissonance (Bâle), il fait partie des co-fondateurs du site wanderersite.com, consacré à l'actualité musicale et lyrique, ainsi qu'au théâtre et les arts de la scène.

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