Giuseppe Verdi (1813–1901)
Attila(1846)
Dramma lirico in un prologo e tre atti
Libretto di Temistocle Solera e Francesco Maria Piave
Prima rappresentazione assoluta Venezia, Teatro la Fenice, 17 marzo 1846

Direction musicale : Daniele Rustioni
Préparation du choeur : Barbara Kler

Attila :       Erwin Schrott
Odabella : Tatiana Serjan
Ezio :         Alexey Markov
Foresto :   Massimo Giordano
Uldino :     Grégoire Mour
Leone :       Paolo Stupenengo

Orchestre et chœurs de l'Opéra de Lyon

Opéra de Lyon, dimanche 12 novembre 2017

Introduction automnale au Festival Verdi du printemps 2018 pendant lequel on le réentendra avec une distribution modifiée, l’Attila de Verdi (1846) a mis en délire le public de l’Opéra de Lyon. Palpitations, rythme, ensembles, chœurs : il y a toute l’italianità possible pour emporter l’enthousiasme, surtout quand le plateau vocal exceptionnel réuni trône dans les étoiles. Peu représenté hors d’Italie (27 représentations de 1980 à 1990 à Vienne pour ne citer que le plus gros répertoire existant aujourd’hui, ou création au MET en 2010 et plus repris depuis), c’est un opéra qui mérite l’attention, en dépit d’une dramaturgie un peu faible.

 

Étrange, le destin de l’Attila de Verdi assez souvent représenté en Italie, et peu ailleurs, comme bien des opéras dits du jeune Verdi. Pourtant c’est déjà son neuvième opéra, et après lui ce sera déjà Macbeth (1847). Attila est un opéra politique où est exalté le patriotisme, ce qui en plein Risorgimento, ne peut que satisfaire le public vénitien qui pourtant à la création ne l’a pas salué avec l’enthousiasme attendu. Le livret (de Temistocle Solera et Francesco Maria Piave) en est assez simple : Attila a conquis Aquileia, une cité située aujourd’hui entre Venise et Trieste, avec de belles ruines paléochrétiennes.
Odabella, la fille de celui qu’il a défait, jure de se venger, mais étonne Attila par son courage. Celle-ci retrouve Foresto, son amour qu’elle croyait mort, tandis que le général romain Ezio essaie de négocier avec Attila le partage du monde (« Avrai tu l’universo, resti l’Italia a me ») mais devant le refus de ce dernier, va lui aussi nourrir un désir de vengeance. A la fin, Odabella poignarde le roi des Huns, nouvelle Judith (puisqu’elle lui avait promis sa main), Les « italiques » ont vaincu et Venise sera fondée par ces héroïques aquiléiens.

Il n’y a pas beaucoup plus dans ce livret, où les quatre personnages se partagent les airs. Chacun a ses moments, même si c’est Odabella, sans doute le plus difficile des rôles féminins de Verdi (peut-être après celui de Lucrezia, des Due Foscari), le sommet de l’art du soprano colorature dramatique : énormes écarts entre graves et aigus, agilités triomphantes, mais aussi des moments de retenue, plus intériorisés (la romance « Oh ! Nel fuggente nuvolo ! » où elle invoque son père au premier acte). En bref, le rôle présente une palette de couleurs que peu de sopranos peuvent soutenir. Cheryl Studer avec Muti au disque a une voix qui fut toujours splendide, mais en scène, elle fut copieusement sifflée à la Scala : elle n’y arrivait tout simplement pas ; au MET, Violeta Urmana s’y est essayée avec un peu plus de résultat. Il reste que ni l’une ni l’autre n’avaient le brio nécessaire et le métal pour en triompher complètement.
Avec sa musique éclatante, ses airs « fermés » avec les traditionnels récitatif, air et cabalette, ses ensembles à l’incroyable dynamisme (final du 2ème acte), des duos sublimes (notamment le duo Ezio/Attila), Attila est l’exemple même de l’opéra de grand style italien, déjà libéré du bel canto mais en utilisant les reliques, et déjà tourné vers le futur : le baryton (Ezio) a un rôle important, et l’on sait que Verdi va s’employer à donner aux barytons de très grands rôles (Nabucco, Germont, Rigoletto, Luna, Posa, Boccanegra etc…) ce qui n’était pas la coutume jusque-là. Seul peut-être le ténor garde une couleur belcantiste, très sollicité à l’aigu.
Du point de vue de la psychologie, ne cherchons pas dans Attila des raffinements qui nous plongeraient dans les méandres de la psychè : les personnages sont (plus ou moins) tout d’une pièce. Le ténor amoureux a les naïvetés du ténor d’opéra ; alors que son Odabella chérie lui a dit qu’elle serait la Judith de l’occasion, dès qu’il la voit accepter le mariage avec Attila, il est désespéré par la jalousie en oubliant l’allusion à Judith. Odabella est la femme d’une mission : assassiner Attila par tous les moyens, et elle seule (elle révèle ainsi à Attila que Foresto veut l’empoisonner pour que ce dernier l’épouse par reconnaissance et qu’ainsi elle puisse être au plus près pour le frapper).
Ezio est un peu plus ambigu, il traiterait volontiers avec Attila, pour se garder sa chère Italie et ne se retrouve dans les « ennemis » avec les deux autres que lorsqu’Attila le repousse. Quant à Attila, il n’est pas aussi « tout d’une pièce » que Nabucco, il sait reconnaître la valeur, le courage, et n’est pas atteint de l’hybris qui perd Nabucco. Certes, c’est un barbare, et rien ne repousse sur son passage sinon un zeste d’humanité et de noblesse, il reconnaît la force du Dieu chrétien en voyant apparaître le vieillard Leone, évêque de Rome qu’il a cru voir en songe : c’est un barbare de grand style, voilà ce qui faisait la grandeur d’un Samuel Ramey qui savait parfaitement rendre cet aspect du personnage.

Lyon a su réunir, malgré des changements, une distribution de très haut niveau, on peut même difficilement rêver mieux, au moins sur le papier : Erwin Schrott en Attila, grande vedette du chant surtout en Autriche et Allemagne, Tatiana Serjan en Odabella, c’est l’une des grandes interprètes de Lady Macbeth et donc prête évidemment à affronter ce rôle inhumain, le remarquable styliste Alexey Markov en Ezio, et Massimo Giordano en Foresto, l’une des belles voix italiennes du moment.

Massimo Giordano donne à Foresto une très belle couleur : voix claire, timbre solaire, très lumineux, belle élégance, tout va bien dans le registre central, où la voix projette magnifiquement. Malheureusement la voix se serre, se coince devant certains aigus qui ne sortent pas, même dissimulés par des ensembles. C’est un problème réel, mais qui – reconnaissons-le- ne gâche pas trop la performance vocale, et c’est tout de même un beau Foresto, même s’il manque aussi un peu de personnalité scénique (même en version de concert, cela se remarque).
Alexey Markov est un très beau chanteur, très expressif, avec une belle ligne de chant et un impeccable style, d’une élégance très rare, avec un très beau contrôle qu’on a plus l’habitude d’entendre chez les chanteurs anglo-saxons que slaves. Son Ezio est particulièrement fin, il sait dire le texte, exprimer des inflexions et des nuances, et il sait donner au personnage présence et épaisseur, tout en démontrant force et énergie également. C’est tout à fait remarquable.
Erwin Schrott est Attila, et c’est d’abord la présence scénique qui frappe et qui écrase les partenaires : certains ont même jugé que dans le duo Markov ne faisait pas le poids face à pareil Attila. La voix est immense, le timbre est vraiment magnifique, il s’impose à tous niveaux et triomphe à la fin.
Certes, mais il campe un Attila fruste, un barbare à peine dégrossi, sans aucun sens de la psychologie du personnage, sans vrai style, et pour tout dire un tantinet vulgaire. Avec la voix magnifique et la force qu’il affiche, un minimum de style et de contrôle en feraient un chanteur de légende. Dommage.

Tatiana Serjan réussit une performance époustouflante : d’abord, elle a toutes les notes, hautes comme basses, c’est dans le registre grave qu’elle m’a surpris, parce qu’il n’est jamais poitriné, et qu’il est pleinement naturel. Elle réussit une performance ahurissante dans son air d’entrée « Santo di patria indefinito amor » – une sorte de carte de visite, un peu comme l’entrée d’Abigaille dans Nabucco- avec ses scalette, ses ruptures de rythme, ses aigus ravageurs suivis de graves abyssaux ; mais elle sait aussi chanter de manière très intérieure dans son air du second acte (l’air où elle s’adresse à son père –cité plus haut), et elle domine les ensembles, avec une voix puissante, jamais criée, très homogène au total. Son Odabella est indéniablement supérieure à sa Lady Macbeth. Exceptionnelle.
N’oublions pas les deux rôles de complément, Uldino chanté par Grégoire Mour, sans fautes, mais à la voix légère devant ces quatre protagonistes, et Leone (l’évêque de Rome, le Pape) chanté par la basse Paolo Stupenengo, artiste du chœur, souvent utilisé dans ces rôles de complément, et qui s’en est très bien sorti, comme souvent.
Le chœur préparé par Barbara Kler a lui aussi donné une belle preuve d’excellence : dans une salle aux dimensions moyennes, l’effectif n’est pas si important – on pourrait souhaiter plus, mais la présence vocale, la diction, la dynamique sont telles que l’on ne peut que louer la performance.
L’acoustique de la salle particulièrement sèche est dangereuse pour ce répertoire, l’absence de minimum de réverbération, la clarté des pupitres sans pouvoir jouer comme dans d’autres salles sur les rubatos, ou sur les différences de volume peut nuire à une audition verdienne dans la grande tradition : les cuivres notamment sonnent brutaux et presque « bruts de décoffrage ».
Daniele Rustioni réussit d’abord à soigner les équilibres sans jamais couvrir le plateau, ce qui est assez exceptionnel. Il est vrai aussi que les voix des protagonistes sont de celles qui sont difficiles à couvrir. Il reste que sa performance est notable, avec un sens suprême de la palpitation et du halètement verdien, mais avec aussi une grande limpidité dans les jeux instrumentaux c’est notable au début du premier acte (la flûte) et dans la romance d’Odabella (jeux solistes des bois et du violoncelle, particulièrement soignés), avec notamment la magnifique clarinette : Verdi est toujours surprenant quand on se concentre sur l’orchestre, avec tant de raffinements inédits.
Et Rustioni réussit à la fois à rendre l’intériorité et la vigueur de cette partition et par l’orchestre, il rend simplement compte d’une profondeur qu’on n’y attendait pas.
La manière dont il mène l’ensemble final du 2ème acte, avec son incroyable dynamique, est proprement stupéfiante, mais en même temps jamais l’orchestre n’est excessif, avec un soin tout particulier à en contrôler le volume, sans jamais tomber dans l’excès ni la vulgarité, comme quelquefois dans ce répertoire, mais sans jamais non plus tomber dans l’excès de maniérisme dont on a voulu quelquefois affubler Verdi. Il y a une respiration extraordinaire dans ce travail, une respiration commune chanteurs/orchestre, et Daniele Rustioni suit chacun avec une redoutable attention. On se réjouit à l’avance du Festival Verdi.
Cet Attila est proposé au Théâtre des Champs Elysées le mercredi 15, une occasion rêvée pour découvrir cette œuvre, qui fait partie des Verdi qui vous emportent.

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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.
Crédits photo : © Blandine Soulage (Orch Opéra de Lyon)
@ Tod Rosenberg (Tatiana Serjan)
@ Wanderer (Saluts)

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1 COMMENTAIRE

  1. Merci d'avoir mis des mots sur l'extraordinaire émotion que j'ai ressentie lorsque j'ai découvert Tatiana Serjan dans Odabella à Rome, en mai 2012. Ceux qui la connaissent déjà ne manqueront pas d'aller s'enivrer de sa superbe voix. A l'intention des autres, courez la découvrir !

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