ILIADE, mise en scène de Pauline Bayle, COMPAGNIE À TIRE‑D'AILE.

Adaptation / Pauline Bayle d'après Homère
Mise en scène / Pauline Bayle
Avec / Charlotte van Bervesselès, Florent Dorin, Alex Fondja, Viktoria Kozlova, Yan Tassin
Lumières / Pascal Noël
Scénographie / Camille Duchemin
Costumes / Camille Aït
Coproduction / Compagnie À Tire‑d'aile, Label Saison et le Théâtre de Belleville

Avec la participation artistique du Jeune Théâtre National

Avec le soutien : du Plateau 31 – Fabrique de culture de Gentilly, du Shakirail et de l'association Rue du Conservatoire – Élèves et Anciens Élèves du CNSAD

Le spectacle sera au Théâtre de la Bastille (Paris) du 8 janvier au 3 février

Salle Thélème à Tours le 22 novembre 2017

Y a‑t-il encore un intérêt aujourd’hui à adapter et mettre en scène L’Iliade d’Homère, épopée en 24 chants, aux 15 337 vers, racontant six jours et six nuits d’une Guerre de Troie qui dure depuis neuf ans et ne se terminera qu'un an plus tard ? Lorsque l’on sort de ce spectacle, c’est une évidence tant la relecture du mythe proposée par Pauline Bayle est réjouissante, pour la littérature mais surtout pour le théâtre. 

Les spectateurs stagnent dans le hall de la salle Thélème en attendant que les portes s’ouvrent. On nous demande de nous tasser dans les coins, d’investir les escaliers, toutes les générations se côtoient comme assez rarement au théâtre, signe que le texte d’Homère traverse encore les générations. Soudain une altercation et des voix, Achille et Agamemnon se livrent à une guerre des coqs, à propos d’une femme cela va de soi. C’est déjà Homère, et c’est déjà drôle.

La guerre est déclarée, le public est pris à témoin, incarnant de façon aléatoire différents guerriers dont les attributs s’estiment en nombre de bateaux, puis enfin les portes s’ouvrent et le public de théâtre se presse de rejoindre son fauteuil de théâtre. Les enfants sont amusés, lycéens et étudiants sont en alerte, il transpire dans la salle une émulation de la jeunesse qui est déjà une fête en soi.

Sur le plateau, deux panneaux, deux camps, d'un côté les Grecs, de l'autre les Troyens, et entre les deux cette guerre qui dure depuis neuf ans. Parce qu'Agamemnon l'a humilié devant tous ses compagnons, Achille décide de se retirer du combat. Privés de leur meilleur guerrier, les Grecs vacillent tandis que les Troyens gagnent du terrain… Comment faire pour gagner la guerre sans Achille ?

Les cinq formidables comédiens offrent leurs voix, leurs corps, leurs énergies, pour raconter les histoires d'Achille, Hélène, Andromaque, Hector et Agamemnon. Un simple accessoire les métamorphose d’un tableau à l’autre en figures de l’Olympe, qui se présentent en personnages de comédie dont le ridicule et la bassesse rendent  les élans héroïques et tragiques des humains tout aussi grotesques et vains. Et l’on rit. Beaucoup. Pourtant c’est peut-être là que se nichent nos tragédies contemporaines, ne serions-nous pas les pantins de ceux qui nous gouvernent ?

C’est une des questions que soulève la mise en scène de Pauline Bayle, car à y regarder de près ses choix dramaturgiques font écho directement à nos sociétés modernes. C’est cette puissance-là du théâtre qui est à saluer par ailleurs, car davantage que la réécriture ou l’adaptation c’est l’incarnation au plateau qui fait sens.

Alors que le texte d'Homère raconte les exploits de héros à la virilité exacerbée, la metteuse en scène s'affranchit de cette vision archaïque des deux sexes, distribuant les rôles sans distinction de genre, parti pris qui a pour objectif de « questionner les notions de « féminité » ou de « virilité » au centre de nos cultures et pourtant réduites à des archétypes fondés sur le genre. Il interroge ainsi les fonctions sociales antagonistes assignées aux hommes et aux femmes ainsi que la manière dont ces fonctions ont déterminé les rapports humains, dans la sphère privée et la vie publique. ».

L’intérêt de la démarche serait moindre s’il ne s’agissait que de pointer du doigt une question sociétale sans s’inscrire avant tout dans un geste de théâtre affirmé et revendiqué comme tel. Sitôt le glissement des genres opéré, c’est la question du héros qui invite à être redéfinie et celle de ces êtres prêts à tout pour défendre ce qu’ils estiment être leur humanité.

La scénographie de Camille Duchemin relève presque du manifeste pour un théâtre de l’épure, et l’intelligence en est décuplée. Du papier kraft, quelques chaises et seaux qui contiennent toute la fureur et la violence de la guerre, suffisent à insuffler le souffle épique qui accompagne les vers d’Homère, à suggérer la cruauté du combat et la souffrance intime des hommes. Les fulgurances esthétiques de certains tableaux, outre leur beauté et leur puissance évocatrice, installent le texte en exergue de la mise en scène, offrant au spectateur l’espace nécessaire pour réfléchir aux enjeux de ce qui se joue devant lui. Il y a une forme d’émancipation dans ce théâtre là, mais qui apparaît comme un hommage de la jeunesse aux anciens, avec pour seul refus celui d’un art qui ne bougerait pas les lignes de la représentation et qui n’interrogerait pas, qui se prendrait au sérieux sans jamais l’être vraiment.

Comment ne pas se réjouir alors de l’engouement de la jeunesse pour ce spectacle depuis sa création en 2015, de ce prix des lycéens au Festival Impatience 2016, de cet enthousiasme à la fin de la représentation ce soir de novembre 2017 ? La compagnie a d’ailleurs créé en octobre dernier Odyssée et on l’en remercie, parce que ce n’est pas le tout de faire la guerre, il faut aussi en revenir. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Laurent Roudillon
- Professeur de Lettres Modernes et de Théâtre-Expression dramatique.. – Coordinateur de l’Action culturelle dans le domaine du théâtre pour le département d’Indre-et-Loire, missionné par la DAAC de l’académie d’Orléans-Tours auprès du CDN de Tours.  – Membre du conseil d'administration et du comité de sélection du Volapük : accueil de compagnies en résidence pour les écritures contemporaines. (http://www.levolapuk.org/) – Président de Groupenfonction, groupe de création "indisciplinaire". http://www.groupenfonction.net/Actualite#Presentation

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