Richard Wagner (1813–1883)

Tristan und Isolde (1865)
Action en trois actes
Poème de Richard Wagner

Orchestre et Chœur du Teatro Regio di Torino

Direction musicale : Gianandrea Noseda
Mise en scène : Claus Guth
reprise par Arturo Gama
Décors et costumes : Christian Schmidt
Lumières : Jürgen Hoffmann
Chef des chœurs : Claudio Fenoglio

Tristan : Peter Seiffert
Isolde : Ricarda Merbeth
Re Marke : Steven Humes
Kurwenal : Martin Gantner
Brangäne : Michelle Breedt
Melot : Jan Vacík
Un berger : Joshua Sanders
Un pilote : Franco Rizzo
Un jeune marin : Patrick Reiter

Production Opernhaus Zürich

 

Teatro Regio di Torino, 15 octobre 2017

Le Teatro Regio de Turin inaugure sa saison 2017–2018 avec une production réussie de Tristan und Isolde de Richard Wagner venant de Zurich. La mise en scène de Claus Guth qui place laction dans le milieu bourgeois des Wesendonck est très stimulante et s’intègre bien à une exécution musicale convaincante.

Ce sont deux experts du chant wagnérien qui sont les protagonistes ainsi que Gianandrea Noseda, qui dirige l’orchestre de la maison sans scorie aucune.

O König, das                                                       O Roi, ce n’est pas moi
kann ich dir nicht sagen ;                                  qui puis te dire cela ;
und was du frägst,                                             et ce que tu demandes,
das kannst du nie erfahren.                             tu ne pourras jamais l'apprendre.
(Acte II, Scène III)

(Traduction française de Guy Cherqui)

et encore :

Dünkt dich das ?                                                  Le crois-tu ?
Ich weiss es anders,                                           Je suis sûr qu’il en est autrement,
doch kann ich's dir nicht sagen.                      mais je ne sais te le dire
Wo ich erwacht, –                                               Là où je me suis réveillé –
weilt' ich nicht ;                                                   je n’ai pas séjourné ;
doch, wo ich weilte,                                           mais je ne sais te dire
das kann ich dir nicht sagen.                           où j’ai séjourné,
Die Sonne sah ich nicht,                                   Je ne voyais pas le soleil,
noch sah ich Land und Leute :                          je ne voyais ni pays ni gens :
doch, was ich sah,                                               mais ce que je voyais
das kann ich dir nicht sagen.                            je ne sais te le dire.

(Acte III, Scène I)

(Traduction française de Jean-Pierre Krop, L’Avant Scène Opéra juillet-août 1981)

Il n’y a rien d’autre à dire : pour moi, l’essence de Tristan und Isolde est là toute entière : raconter en musique ce qui ne peut se raconter.
L’ineffable est protagoniste et l'arrière-plan en sont la mer, avec son agitation continuelle qui ne laisse aucun point de référence dans cet espace où tout est confondu, et la nuit, qui avec l’obscurité brouille celui qui y évolue avec les sens qui lui servent le jour…
Ainsi la musique en est le miroir fidèle, qui alterne en abandons sans freins, sommets d’exaltation, paroxysmes et cantilènes qui pourraient ne jamais finir.
C’est le récit de deux protagonistes pour qui le temps n’existe pas.
Le philtre d’amour, c’est celui de la mort, expédient qui aide seulement à se dire ce qu’ils ne voudraient ni ne sauraient se dire.

Mais pareil opéra malgré tout, ne se réduit pas à une seule clef de lecture interprétative et bien au contraire, c’est tout le contraire dans la très riche mise en scène venue de l’Opernhaus de Zurich avec laquelle le Teatro Regio de Turin a ouvert avec bonheur la saison 2017–2018.

Confié à Claus Guth, le drame se déroule à l’intérieur d’une villa bourgeoise de l’époque où Wagner mit en musique l’histoire et l’usage d’une tournette permet de varier souvent les ambiances. Une histoire d’amour contrainte par les règles sociales de finir mal.

Ainsi au premier acte Isolde attend ce qui devrait être la fin de la traversée dans une chambre à coucher ensoleillée, la robe de mariée témoigne à tout moment de l'urgence pressante du mariage avec Marke .
La scène est dominée par le rouge pompéien des murs, qui rappelle tant les salles des grands musées nationaux dans lesquels les états souverains mirent avec orgueil en exposition leurs propres collections. Sommes-nous nous aussi spectateurs de tableaux ? de tableaux vivants ?

La furie d'Isolde (Ricarda Merbeth) au premier acte

Tristan attend dans l’antichambre en plaisantant avec ses compagnons, la rencontre se déroule dans un jardin d’hiver et cette fois pour le metteur en scène le filtre est vraiment l’intermédiaire, comme le fut Galehaut entre Guenièvre et Lancelot ((Le texte italien évoque un vers célèbre de la Divine Comédie de Dante qui renvoie au personnage de Galehaut (Galeotto en italien) :
Galeotto fu 'l libro e chi lo scrisse :
quel giorno più non vi leggemmo avante.

Galehaut fut le livre et celui qui le fit
Ce jour-là ne nous lûmes pas plus avant…
Enfer, chant V, Vers 137–138, trad. Jacqueline Risset, Garnier Flammarion))

Dans une chambre à coucher, symétrique à la première, Tristan retrouve les bandages qui lui avaient soigné les blessures : c’est le drame bourgeois de deux amants qui se retrouvent.

Isolde (Ricarda Merbeth) et Brangäne (Michelle Breedt) dans la première scène de l'acte II

C’est sur une cloison bleu-ciel qui occupe la totalité de la largeur de la scène, rythmée par trois portes, que s’ouvre le rideau du deuxième acte et les protagonistes se poursuivent chacun à leur tour dans une salle de réception entre les invités ou restent seuls dans une grande salle à manger pour le duo d’amour.

Marke (Steven Humes), Isolde (Ricarda Merbeth) et Tristan (Peter Seiffert) dans la scène finale de l'acte II.

Le Roi Marke, habit sombre et canne (costumes signés Christian Schmidt, comme le décor), s’abandonnera à sa colère à la fin du repas, entouré de ses invités avec Isolde assise à ses côtés, respectant les canons de la bonne éducation, pendant que Tristan préside la tablée.

 

Acte III (dans la prod.de Zurich) Stig Andersen (Tristan)

Au troisième acte, en cohérence avec le propos, le château abandonné assume les formes de l’entrée d’un édifice fissuré du XIXème (encore un Musée ?). Tristan revit ses tourments dans le décor des deux premiers actes et meurt dans la salle à manger témoin de leur duo d’amour. Le Roi Marke et Brangäne sortent main dans la main…

Le metteur en scène évoque évidemment avec son décor la liaison Wagner-Mathilde Wesendonck, en ajoutant une clef d’interprétation supplémentaire : le spectacle est une production venue de Zurich, la ville même où, dans la villa Wesendonck alors située en périphérie, Richard Wagner l’exilé et Minna son épouse furent accueillis, jusqu’à ce que Minna ne fût l’objet d’une crise nerveuse contre Mathilde…le spectazteur zurichois ne pouvait s'y tromper. Et pourtant, je ne sens pas personnellement la nécessité de pointer cette situation historique : le projet trouve déjà sa cohérence dans le dessein général de l’interprétation en soi. De beaux décors et des costumes élégants complètent le cadre.

Conduite avec une admirable cohérence avec l’idée de la mise en scène, je considère la lecture de Gianandrea Noseda comme l’une de ses plus convaincantes en absolu. Aux prises avec Tristan pour la première fois, le maestro Noseda guide l’orchestre dans une lecture plastique qui ne se perd pas dans des effets esthétisants ou des paroxysmes musicaux excessifs. Il soutient l’urgence des duos au deuxième acte et grâce à son expérience accompagne et soutient les chanteurs dans les moments où la voix est tendue aux limites du possible.
Très beau le son de l’orchestre, toujours en phase avec les chanteurs, et qui contribue à faire ressortir une image sonore concrète, précise, nette, avec une note particulière pour les cordes, surtout les violoncelles, les vents, les cuivres.

Pour ce spectacle inaugural, le théâtre a réuni un ensemble  de premier ordre d'où pour une fois, émergent vraiment les protagonistes. Ricarda Merbeth est un des sopranos wagnériens du moment sur les scènes allemandes, y compris Bayreuth. Avec sa voix lyrique, elle interprète une Isolde qui ne hurle pas, elle domine fermement les aigus, solide dans le registre central, laissant seulement échapper quelques difficultés quand elle descend dans le registre grave.
On nourrissait des doutes sur le comportement vocal de Peter Seiffert, un autre chanteur spécialiste des rôles wagnériens, dans un rôle aussi lourd que Tristan.
En vain les aigus extrêmes de la fin du duo du deuxième acte ou du très long récit du troisième acte, affectés d’un vibrato excessif, mais chantés dans le ton juste, pourraient miner la valeur globale de la performance, qui est celle d’un ténor éminent à la voix claire reposant toujours correctement sur le souffle, encore très ferme sur les notes centrales, à la ligne de chant sûre même dans les moments où seuls l’expérience et une bonne technique prévalent.

Du reste de la distribution on retiendra les interventions précises, mais pas mémorables du Roi Marke de Steven Humes, au poids vocal un peu trop léger pour le rôle,  de Michelle Breedt (aux accents un peu indifférents et toujours à la limite), de Martin Gantner (en difficulté pour rendre à pleine voix les fanfaronnades du rôle). Le reste de la distribution et les interventions du chœur n’appellent aucun reproche.

Succès mérité pour le chef et les deux protagonistes à la fin d’une représentation dominicale devant une salle presque complète, qui, grâce à l’horaire – en matinée- n’a pas enregistré de défections significatives de public malgré la durée totale de cinq heures.

Isolde (Ricarda Merbeth) et Tristan (Peter Seiffert) dans la scène finale de l'acte III

 

 

 

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Paolo Malaspina
Paolo Malaspina est né en 1974 e fréquente le monde de l’opéra depuis 1989. Il pris des cours privés de chant lyrique et d’histoire de la musique, en parallèle avec des études en ingénierie chimique. Il obtient son diplôme en 1999 auprès de l’Ecole polytechnique de Turin avec une thèse réalisée en collaboration avec l’Ecole Nationale Supérieure de Chimie de Toulouse. Ses intérêts en matière musicale s’orientent vers le XIXème et XXème siècles, avec une attention particulière à l’histoire de la technique vocale et de l’interprétation de l’opéra italien et allemand du XIXème.
Crédits photo : © Ramella&Giannese – Edoardo Piva – Fondazione Teatro Regio di Torino
© Opernhaus Zürich (Acte III)

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