Eglise de Verbier
Renaud Capuçon, violon/Denis Kozhukhin, piano 
Franz Schubert (1797–1828)
Rondo en si mineur D 895
Ludwig van Beethoven (1770–1827)
Sonate pour violon et piano N° 7 en ut mineur op.30 N° 2
Richard Strauss (1864–1949)
Sonate pour violon et piano en mi bémol majeur op.18
Verbier Festival, Eglise de Verbier, 22 juillet 2017, 11h

Verbier, ce sont les concerts symphoniques dans la Salle des Combins, mais aussi (et surtout) une foule d’événements, entre concerts de musique de chambre, récitals et Master classes dans l’ensemble du village : Verbier est un îlot de bonheur musical rempli de jeunes musiciens avec leur instrument dans une atmosphère détendue, bon enfant, d’un indiscutable agrément. Ainsi après la Salomé inaugurale, un premier concert de musique de chambre a éclairé la journée du 22 juillet, à l’Eglise de Verbier, un magnifique moment chambriste avec Renaud Capuçon au violon et Denis Kozhukhin au piano.

Une chose est claire, la respiration des sommets, les paysages à la fois grandiose et sereins, un temps qui en journée au moins était clément, tout cela favorise la disponibilité mentale, la concentration, l’envie de musique. Nous sommes abstraits du monde ambiant et Verbier, c’est cela : un lieu avant tout destiné à une sorte d’otium musical dans une ambiance particulièrement chaleureuse.
Il y avait foule en ce samedi matin dans la moderne église de Verbier, pour ce récital de deux anciens membres de l’académie de Verbier, Renaud Capuçon un vétéran qui vient en voisin se replonger dans l’ambiance paisible du Valais suisse et qui participe à plusieurs concerts de musique de chambre, et Denis Kozhukhin, plus jeune qui a commencé sa carrière comme vainqueur du Concours Reine Elisabeth de Belgique.   Renaud Capuçon aime jouer avec d’autres, en collectif, en formation de chambre et on se rappelle notamment qu’avec son frère Gautier, alors qu’ils étaient déjà engagés dans leur carrière de solistes, ils faisaient partie des cordes du Lucerne Festival Orchestra en 2003, sous la direction d’Abbado, et cela en dit long…

Un des caractères du Festival de Verbier est l’importance donnée à la musique de chambre, aux petits ensembles, et à l’apparition de solistes internationaux dans des groupes où ils « font simplement de la musique ensemble », comme aurait dit Abbado.  Renaud Capuçon outre sa carrière de soliste aime ces rencontres, et son séjour à Verbier inclut plusieurs concerts dont celui-ci est le premier.
Le programme Schubert, Beethoven Strauss, était pour les deux premières œuvres un écrin (de luxe) pour l’exécution de la troisième, la rare sonate pour violon et piano en mi bémol majeur op.18 de Richard Strauss.
Le rondo Schubertien (et aussi un peu beethovénien), est une pièce virtuose et apéritive bien choisie. Écrite en 1826, c’est une pièce destinée à mettre en valeur le violon, et composé pour le violoniste Josef Slawjk considéré par Chopin à l’égal de Paganini. C’est une pièce légère que Renaud Capuçon, accompagné par Kozhukhin de manière discrète et très élégante, exécute avec brio mais sans exagérer le côté virtuose. Cela reste un poil retenu et particulièrement sensible, pour donner une couleur légère, mais pas démonstrative. C’est d’ailleurs ce qui m’a beaucoup plu dans l’ensemble du concert, où les échanges entre les deux instruments semblent plus sensibles que la domination de l’un sur l’autre.
La sonate pour violon et piano remonte à 1802, c’est une pièce qui fait contraste avec la précédente, plus sombre, avec des moments de tension notable (dans le mouvement final notamment). Le travail des deux artistes est marqué par le souci des accents et de dessiner une vraie couleur.

Beethoven est en train de s’affranchir des influences mozartiennes notamment pour conquérir un style vraiment personnel. La tonalité en ut mineur rappelle des œuvres à peu près contemporaines comme le quatuor n°4 de l’op.18 et le concerto pour piano n°3. L’énergie sombre, la tension dramatique marquent une rupture avec les œuvres qui précèdent. Cette tension, les deux artistes la font bien entendre, notamment dans le mouvement initial Allegro con brio

mais sans jamais surjouer. Ce qui m’a séduit dans tout ce concert, justement c’est l’absence de recherche de l’effet, et une fluidité naturelle qui laisse à la musique la prééminence et non la virtuosité ou l’histrionisme. Peut-être l’interprétation eût-elle pu laisser apparaître un peu plus de sentiment.
Le deuxième mouvement (adagio cantabile) respire justement une couleur élégiaque et douce, qui leur convient à tous deux parfaitement, un des moments que j’ai préférés, tout comme les échanges en canon du scherzo, particulièrement heureux et dansant, tandis que l’allegro finale revient un peu à la couleur du premier mouvement tendu et plus sombre et plus sensible.

Mais on attendait surtout cette sonate de Strauss, la Sonate pour violon et piano en mi bémol majeur op.18, composée à 23 ans, en 1887–1888, et publiée en 1888.  Certes sur le papier une œuvre de jeunesse et la seule avec ces deux instruments. Les œuvres de chambre (à l’exclusion des Lieder) sont concentrées sur cette première période, où Strauss publiait aussi Aus Italien et son Don Juan, c’est le dernier essai avant le grand saut dans le poème symphonique et l’opéra, qui sont les formes de la musique straussienne de la maturité.
On peut considérer les influences romantiques et post romantiques de Strauss, surtout Brahms et sans doute aussi Schumann, et pour les aspects plus formels, Mozart et Beethoven que nous venons d’entendre. Mais il paraît plus stimulant de démêler dans cette musique le Strauss futur, celui qui va écrire pour la voix, mais qui va aussi travailler les cordes et le violon dans ses opéras. Il y a des solos de violon dans ses opéras qui s’entendent singulièrement dans cette œuvre (Die Frau ohne Schatten !). On est aussi stimulé par le rôle du piano, qui introduit aussi bien le premier mouvement (allegro, ma non troppo) que le dernier (finale andante-allegro) d’une manière presque orchestrale (l’introduction du finale rappelle Don Juan) et l’ensemble constitue un échange très fort entre violon et piano, comme s’il s’agissait presque d’un concerto pour violon avec réduction pour piano…
Seul le deuxième mouvement en la majeur, est un peu à part, si bien que Strauss l’a publié aussi de manière autonome sous le titre Improvisation, même si le schéma formel de trois parties est bien précis pourtant, où la part du violon est prépondérante, avec un dialogue entre les deux instruments (très marqué dans toute la sonate) qui finit par donner un climat passionnel singulier.
Il y a chez Capuçon et Kozhukhin dans cette œuvre une respiration, une joie de jouer, évidente et presque solaire. Un contraste entre un violon à la fois spectaculaire, mais sensible et un piano plus rêveur, qui a conduit à des sommets expressifs au dernier mouvement, où Capuçon se libère de sa légère distance perceptible précédemment. Un moment de grâce indicible.
Un bis ensuite, plus libre et plus dansant, le Liebesleid de Kreisler, a conclu un concert à l’image de cette matinée musicale et ensoleillée et un sympathique Happy birthday destiné au fondateur-directeur du Verbier Festival Martin T:son Engstroem.

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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.
Crédits photo : © Nicolas Brocard 
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