Tannhäuser oder der Sängerkrieg auf Wartburg, grand opéra romantique en trois actes (1845) de et d'après un livret de Richard Wagner (1813–1883), version abrégée.

Direction musicale : Boris Schäfer
Mise en scène : Zsófia Geréb
Décor : Jule Saworski
Lumières : Peter Younes

Brandenburgisches Staatsorchester Frankfurt(Oder)

Avec :

Landgrave : Jukka Rasilainen
Tannhäuser : Hans-George Priese
Wolfram von Eschenbach : Kay Stiefermann
Walther : Stefan Heibach
Biterolf : Raimund Nolte
Elisabeth : Caroline Wenborne
Venus : Stephanie Houtzeel

le 28 juillet 2017 à la Probebühne VI du Festival de Bayreuth

Tannhäuser avait été en 2010 le premier opéra de la série "Richard Wagner für Kinder", lancée par BF Medien en marge du Festival de Bayreuth. Cette initiative signée Katharina Wagner vise à ouvrir la programmation en direction du jeune public, souvent parent pauvre et tenu en marge des grandes manifestations culturelles. L'édition 2017 remet le couvert dans un espace également utilisé pour des répétitions, à proximité immédiate du Festspielhaus. L'idée de départ est de proposer à un public entre 8 et 12 ans une version adaptée (et non pas "simplifiée") d'un opéra de Wagner dans une durée d'une heure environ. Pas de bande son ou de vidéo, on travaille ici avec un orchestre de poche qui tutoie les sommets et des rôles solistes chantés par des artistes engagés en parallèle dans les productions du Festival "pour adultes".

Venus (Stephanie Houtzeel)

On se bouscule à l'entrée, c'est un joyeux tumulte de rires et de bavardages – une atmosphère de colonie de vacances où les adultes se comptent sur les doigts d'une main. À l'intérieur, changement radical d'attitude : on distribue les programmes, les enfants prennent place sur les premiers rangs de l'estrade. On se montre en chuchotant les lumières, les musiciens… Le décor de Jule Saworski se présente tout en largeur avec, à jardin, un Venusberg en forme d'entrée de grotte et à cour, une bande de garnements qui batifolent sous la surveillance des grands-parents assis sur un banc. Zsófia Geréb imagine une Wartburg peuplée d'adolescents turbulents qui jouent au foot et s'amusent avec des bouts de carton en éclatant d'un rire gras.

Il y a du rififi à la Warturg. Tannhäuser est parti explorer la grotte interdite de Vénus, une jolie rouquine qui n'a pas froid aux yeux et qui le retient auprès d'elle pour jouer aux indiens (sans cowboys). Moins par mauvais esprit que par désir de mieux lire, on peut facilement voir ici une forme édulcorée du jeu de la découverte interdite, un rite de passage de l'enfant vers l'adolescence. Les gamineries s'enchaînent, Vénus trace à gros traits sur le visage de Tannhäuser une peinture de guerre mais les meilleures choses ont une fin et il finit par se lasser et souffler d'ennui. Ce séjour ne l'amuse plus – "das ist nicht cool !". Il faut dire que ses copains s'agitent à côté et l'invitent à les rejoindre dans une version plus masculine du bac à sable. Il rejoint également Elisabeth qui l'attend en dessinant des fleurs à la craie sur un mur. Les traces de maquillage le trahissent et tel un enfant contraint de mentir, il refuse de lui avouer où il avait disparu pendant tout ce temps. Nul besoin ici d'obscurcir par la notion du péché le comportement de Tannhäuser, il suffira d'évoquer la désobéissance d'un enfant et une bêtise qu'il convient de se faire pardonner. Sur ce point, Zsófia Geréb choisit de montrer un couple de grands-parents en charge de surveiller ce groupe d'enfants, comme si l'absence des parents trahissait une forme moderne de délégation d'autorité. La rigidité de la société de la Wartburg est perçue à l'envers, avec tout un cortège de dérision et d'immaturité. Le concours de chant s'improvise comme un jeu où chacun enfile des parodies de costumes médiévaux, avec casques en carton et épées de bois (mention spéciale à Walther von der Vogelweide et son sceptre-guitare électrique). Tandis qu'on distribue au jeune (et vieux) public des couronnes en papier pour jouer le tribunal de la Wartburg, les Minnesänger juniors enchaînent des tubes destinés à épater leur copine Elisabeth. C'est elle qui tire au sort le candidat au moment où un spot de lumière vient éclairer l'heureux élu. Tannhäuser taquine ses copains, évidemment lui en connaît davantage sur l'art de draguer les filles et il ne se prive pas de se moquer d'eux. Quand vient son tour, la vérité éclate, on découvre qu'il a fait une grosse grosse bêtise au "Venusberg". Le voilà pris les doigts dans le pot de confiture : les indiennes, c'est rigolo mais rigoureusement interdit par les adultes. Poussé par ses copains à aller voir le Pape-Opa qui lit son journal sur le banc pour tout lui avouer, Tannhäuser reçoit une leçon de morale – le tout délicieusement mimé tandis que les autres attendent le verdict. Elisabeth a droit elle aussi à une leçon de morale mais Oma se montre visiblement plus indulgente et les enfants sont autorisés à reprendre leurs jeux : clin d'œil subtil au dialogue et la connivence entre (grand-)mère et (petite) fille et, à l'inverse, cette apparence de rudesse et d'autorité masculine pour rappeler le respect des règles…

Malgré le soin scrupuleux à conserver l'essentiel du livret, on pourra toujours regretter l'absence de O du mein holder Abendstern qui atténue la dimension de l'amour de Wolfram pour Elisabeth. Difficile également de se passer du chœur, dont l'importance dramatique est ici absente. Qu'on se rassure, ce sont là des peccadilles qui ne pèsent pas bien lourd dans l'impression générale que nous laisse ce Kinderoper de luxe. Vocalement, c'est une fête à tous les étages. Même si le petit jeu des avis critiques prend ici une dimension assez particulière, on peut envier d'une manière générale ce jeune public invité à entendre des voix qui ne truquent pas leurs rôles au prétexte qu'il s'agit d'un spectacle "non sérieux".

Seuls Hans-George Priese et Jukka Raisilanen ne chantent pas cette année au festival. Le premier n'a d'ailleurs jamais mis un pied sur la scène du Festspielhaus mais il est déjà venu chanter Tristan il y a quatre ans, déjà dans une version pour enfants. Si la voix n'est pas exempte de scories et d'une certaine stridence, il empoigne vaillamment ce personnage qu'il dessine à gros traits en matamore et chef de bande en pleine crise d'adolescence.
Kurwenal chez Marthaler et Telramund chez Neuenfels, le baryton basse Jukka Raisilanen ne boude pas son plaisir sous les traits d'un Landgrave faussement bougon et débonnaire. On peine à reconnaître Raimund Nolte, Biterholf hirsute en T‑shirt fluo et Stefan Heibach en boutonneux Walther von der Vogelweide. Les voix sont saines, amples et sonores, avec toutefois un léger avantage au timbre exceptionnel de Kay Stiefermann, Wolfram von Eschenbach éminemment luxueux et captivant, que l'on se réjouit à l'avance de réentendre en Steuermann dans le Tristan de Katharina Wagner. Epatante dans sa façon de trépigner de colère, la Venus tellurique de Stephanie Houtzeel l'emporte sur la sage Elisabeth de Caroline Wenborne, plus bêcheuse et mijaurée. Installé en fosse à l'arrière-scène, le Brandenburgisches Staatsorchester Frankfurt (Oder) est excellent d'impact et de précision. Boris Schäfer (directeur musical à l'opéra d'Oslo, excusez du peu), conduit avec brio une version abrégée qu'il dirige par cœur, avec un à‑propos et un engagement proprement réjouissants. Amis festivaliers, courez ! c'est une aubaine. Les autres devront attendre la parution du DVD et pourront découvrir les réalisations sur le site de BF Medien.

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David Verdier
David Verdier Diplômé en musicologie et lettres modernes à l'université de Provence, il vit et enseigne à Paris. Collabore à plusieurs revues dont les Cahiers Critiques de Poésie et la revue Europe où il étudie le lien entre littérature et musique contemporaine. Rédacteur auprès de Scènes magazine Genève et Dissonance (Bâle), il fait partie des co-fondateurs du site wanderersite.com, consacré à l'actualité musicale et lyrique, ainsi qu'au théâtre et les arts de la scène.
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