Mars-avril 2017 au Festival des Arts à Monaco.

Des thématiques comme s'il en pleuvait (Berlioz le révolutionnaire, Musique de la Renaissance, Concept Piano, Événement Congo etc.), des lieux aussi variés qu'insolites, la volonté d'impulser une ligne artistique hors des sentiers battus… voilà la 33e édition du Festival "Printemps des Arts à Monaco". La volonté de Marc Monnet, conseiller artistique du festival, est de décloisonner tout azimut les lignes d'horizon du répertoire et de la création musicale.

Marc Monnet

Souvent victime d'une tradition qui tendrait à la faire passer pour classique par essence, la musique trouve dans cette manifestation des interprètes de tout premier plan, réunis en l'espace de quelques semaines. Cette manifestation présente l'originalité d'une offre musicale extrêmement variée et dans des formats inédits allant de la performance aux associations et combinaisons de plusieurs formes d'expression artistique. Embarquement immédiat vers les sommets.

Cette année, l'originalité vient notamment de ces cinq minutes de musiques de notre temps, glissées à l'improviste en prélude à certains concerts, et interprétées par de jeunes solistes. L'invitation permet de donner à un large public l'accès à des musiques confinées d'ordinaire à des programmations et des espaces spécialisés. Pour la seconde année consécutive, le public aura l'occasion de découvrir le logiciel Logiciel IanniX, outil informatique pour la création ; un workshop en forme d'avant-goût du festival Manifeste-IRCAM sur la Côte d'azur… Inspiré par les recherches du compositeur et architecte d’origine grecque Iannis Xenakis, ce logiciel "open source" s'installe sur n'importe quel ordinateur personnel et permet de "dessiner" et séquencer des paramètres comme la spatialisation du son, la synthèse sonore, la lumière et vidéo, dans de nombreux modes d’expression actuels (musique, danse, arts plastiques, etc.). À l'image du Festival des Arts, ce workshop aura permis aux artistes et étudiants de créer une partition graphique pour une création artistique à imaginer dans un environnement graphique en partition interactive.

Léa Montravers

S'ajoutent à ces ateliers, des formats originaux et conviviaux comme le fameux Voyage surprise qui entraîne le public dans un territoire artistique et géographique inconnu, niché dans la cité monégasque, ou le Monaco Music Forum qui invite à découvrir une série de concerts placés sous la direction de Pierre-André Valade et l'Orchestre de Nice. On retient tout particulièrement la pièce Sull’essere angeli du jeune Francesco Filidei, œuvre confiée au flûtiste virtuose Mario Caroli. Composée en forme de dialogue interactif avec les photographies de Francesca Woodman, la musique développe une forme de chorégraphie de modes de jeux – aux contours faussement disruptifs et diffractés mais constituant un authentique tour de force. Peu à retenir de la performance entre l’accordéoniste Jean-Etienne Sotty et la danseuse Léa Montravers, malgré l'étonnante Bossa Nova de Franck Bedrossian et l'austérité du De profundis de Sofia Goubaïdoulina. L'irruption sonore de Hondar de Ramon Lazkano pourra séduire par moments mais c'est surtout la création mondiale de Move 03 du compositeur tchèque Miroslav Srnka qui retiendra notre attention. Dans la mouvance des premières expérimentations Stockhausen-Ligeti, cette partition recrée les caractéristiques formelles d'une musique électronique basée sur les circulations d'énergies et les réflexions entre les plans et les échelles sonores. L'ensemble dégage une belle et roborative impression, sollicitant la section de cuivres de l'orchestre de Nice. Le pianiste Wilhem Latchoumia enchaîne avec un double portrait des compositeurs pionniers américains Henry Cowell et George Antheil. Dans The Aeolian Harp (1923), le premier explore les possibilités encore balbutiantes du jeu directement sur les cordes du piano, en balayages et appuis divers. Plus affirmée, First Irish Legend fait la part belle aux clusters et autres touchers facétieux, écho idéal à la Jazz sonata de Antheil et The fairy bells qui conclue cet album d'images.

Huelgas Ensemble

Le Festival du "Printemps des Arts à Monte-Carlo" se referme sur deux dernières soirées emblématiques d'une programmation aussi ambitieuse que variée. La riche et complexe polyphonie de la Renaissance est mise en confrontation avec un concert de clôture composé… d'ouvertures signées Hector Berlioz. Ce dernier week-end sur le rocher s'inscrit dans le droit fil des semaines précédentes avec une insolite confrontation entre la musique de la Renaissance et un concert d'ouvertures signées Hector Berlioz. Donné dans l'acoustique très réverbérante de l'Eglise Saint-Charles à Monte-Carlo, le programme concocté par Paul van Nevel et son excellent Huelgas ensemble propose un voyage dans le temps, entre la Rome du Pape Jules III et la cour de Charles Quint. Palestrina ouvre les débats avec l'austère  Missa Ut ré mi fa sol la à 6 voix dont la polyphonie est tout entière dédiée à l'hommage rendu au pontife qui vient d'investir la basilique Saint Pierre. Avec Tous les regretz et Je prens congié de Nicolas Gombert, le contrepoint se resserre autour du texte pour en exprimer les résonances à travers un jeu subtil de réponses sur un même motif. La sensualité s'allie à la complexité des lignes dans l'écriture de Claude Le Jeune. Ces pages, sans doute avec Pascal de L'Estocart parmi les plus difficiles de tout le répertoire polyphonique du XVIe Siècle, sont l'occasion pour le compositeur de faire circuler les figures de la joie et de la tristesse en les combinant à une maîtrise parfaite des jeux de contrastes entre allitérations et assonances. On admire la légèreté et la transparence de Cigne je suis de candeur et les moirures superlatives de Povre cœur, un des sommets du programme. Les célèbres Lamentationes Hiereminae à 5 voix de Roland de Lassus concluent cette soirée dans des efflorescences contrapunctiques que Paul van Nevel a voulu replacer dans leur contexte liturgique. Utilisant différentes dispositions du chœur dans l'Eglise Saint Charles, il crée pour l'occasion une série d'effets d'éloignement-rapprochement qui spatialisent les strophes de ces Lamentations en leur donnant une véritable dramaturgie.

Changement d'atmosphère radical avec ce concert de clôture donné dans l'auditorium Rainier III. On passe rapidement sur l'idée incongrue de donner en ouverture les cinq maigres minutes du mouvement lent (Hora lungä) de la sonate pour alto seul de György Ligeti. La jeune Ieva Struogyté se tire brillamment de l'exercice en libérant un flux sonore très généreux, amplifié par un vibrato très large et opulent. La suite du programme propose en guise de pied de nez sept ouvertures et une romance pour violon et orchestre d'Hector Berlioz. Après la Renaissance de la veille, c'est un pétulant printemps musical qui s'ébroue joliment sous la baguette pas toujours très sobre de Kazuki Yamada, actuel directeur musical de l'Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo. L'ouverture des Francs-Juges donne l'occasion de passer en revue les forces vives de l'orchestre, cuivres en tête. L'élan par trop métronomique de la Grande Ouverture Waverley fait retomber sur le temps un continuum qui ne demanderait qu'à déborder généreusement. Le Roi Lear et Rob Roy filent droit dans un joyeux vacarme qui préfère aux subtilités du phrasé l'énergie brute d'un accomplissement extasié. Mieux calibrée dans son écrin de couleurs et d'effets, l'Ouverture de Benvenuto Cellini finit par séduire une écoute trop sollicitée par la première partie. L'interprétation "à l'ancienne" de la Romance pour violon et orchestre par la jeune Liza Kerob rappelle le défi physique que constitue une musique dont l'aspect décoratif n'est en définitive qu'un trompe‑l'œil. Si Les Troyens à Carthage peinent à trouver un intérêt qui sans cesse échappe à l'écoute, l'ouverture de Béatrice et Bénédict retrouve des couleurs opportunes et met un point final à ce programme Berlioz.

 

Yasuki Yamada
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David Verdier
David Verdier Diplômé en musicologie et lettres modernes à l'université de Provence, il vit et enseigne à Paris. Collabore à plusieurs revues dont les Cahiers Critiques de Poésie et la revue Europe où il étudie le lien entre littérature et musique contemporaine. Rédacteur auprès de Scènes magazine Genève et Dissonance (Bâle), il fait partie des co-fondateurs du site wanderersite.com, consacré à l'actualité musicale et lyrique, ainsi qu'au théâtre et les arts de la scène.
Crédits photo : © Olivier Roller (Marc Monnet)
© Marco Borggreve (Kazuki Yamada)
© Alain Hanel (Léa Montravers et Huelgas Ensemble pour le printemps des Arts)

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