14 avril
Gabriel Fauré (1845–1924)
Requiem pour deus solistes, choeur et orchestre en ré mineur op.48
Camille Saint-Saëns (1835–1921)
Symphonie n°3 en ut mineur op.78 "avec orgue"

Chœur du Bayerisches Rundfunk
Staatskapelle Dresden
Adrian Eröd, baryton
Anne Prohaska, soprano
Cameron Carpenter, orgue
Myung-Whun Chung, direction musicale

15 avril
Gustav Mahler (1860–1911)
Symphonie n° 9 en ré majeur
Staatskapelle Dresden

Franz Welser-Möst, direction musicale

16 avril
Wolfgang Amadeus Mozart (1756–1791)
Concerto pour violon et orchestre n°21 en ut majeur, KV 467
Anton Bruckner (1824–1896)
Symphonie n°4 en mi bémol majeur "Romantique"

Staatskapelle Dresden

Daniil Trifonov, piano
Christian Thielemann, direction musicale

Grosses Festspielhaus Salzburg, 14, 15, 16 avril 2017

Le Festival de Pâques de Salzbourg pour ses 50 ans était focalisé sur Die Walküre, mais trois concerts très différents ont complété la programmation, dirigés par trois chefs tout aussi différents (Chung, Welser-Möst, Thielemann) face à une Staatskapelle, telle qu’en elle-même enfin l’éternité la change. C’est l’occasion d’y revenir, à quelques semaines de distance.

Myung-Whun Chung, malgré une carrière déjà longue et riche, reste un chef discret. Il est particulièrement lié à la France, où il a occupé les fonctions de directeur musical de l’Opéra de Paris (pour l’inauguration de l’Opéra-Bastille), puis pendant 15 ans de l’Orchestre Philharmonique de Radio-France. Le public français sait peut-être moins qu’il fut premier chef invité du Comunale de Florence et directeur musical de l’Orchestre de l’Accademia Nazionale di Santa Cecilia (prédécesseur à ce poste de Sir Antonio Pappano), et ce qu’ils savent encore moins, c’est qu’il est aussi lié à la Staatskapelle de Dresde dont il est depuis 2013 le premier chef invité. Et c’est à ce titre qu’il dirige cette année un des trois concerts du festival (il a déjà dirigé le « Konzert für Salzburg » il y a quelques années) puisque Christian Thielemann a dirigé l'Orchestre Philharmonique de Vienne présent (avec les Berlinois) pour fêter les cinquante ans du festival.
Il propose  un programme français composé du Requiem de Fauré et de la Symphonie n°3 pour orgue en ut mineur op.78 de Saint Saëns.
Avec le chœur du Bayerisches Rundfunk, le Requiem de Fauré pouvait difficilement être mieux servi. Le chœur dont Fauré n’est pas le répertoire le plus fréquent réussit à emporter l’adhésion à la fois par la précision, la diction, mais aussi une fascinante intériorité dans cette pièce qui n’est pas spectaculaire, mais au contraire éminemment retenue ; c’est lui qui domine de loin l’exécution, tandis que la direction de Chung est attentive, précise, sans être froide (ce dont on l’accuse souvent), avec un tempo lui aussi très contrôlé , il y a à la fois quelque chose de méditatif sans être mystique, et au total de profondément humain dans cette musique. Du côté des solistes, Adrian Eröd est vraiment magnifique de précision, de contrôle, de nuances avec une diction parfaite et une voix au volume limité, qui par le seul effet de la technique de projection se fait parfaitement entendre. Anna Prohaska en revanche est un peu décevante, par la diction, par les hésitations dans les passages, par les aigus pas toujours maîtrisés, malgré un timbre clair non dépourvu d’attraits.
La symphonie pour orgue de Saint Saëns est une œuvre plus connue et populaire et pour couronner cette programmation du cinquantenaire on avait fait appel à l’orgue à l’une des stars de l’instrument, le jeune américain Cameron Carpenter qui fait rentrer l’orgue dans l’air du Pop.
Très sagement installé côté cour, il écoute avec attention un orchestre de Dresde moins bridé que dans la pièce précédente, plus ouvert, plus délié, avec des cordes somptueuses. Cette symphonie qui n’est pas dans mes pièces de prédilection, est évidemment plus spectaculaire, beethovénienne si l’on veut,  qui respecte les formes sans porter en elle l’intériorité de la pièce de Fauré. Le spectaculaire fait intrinsèquement partie du programme, et Chung lui-même adopte des tempi plus larges avec plus de volume, et l’orchestre s’engage avec un plaisir évident dans une voie qui permet une expression des cordes particulièrement notable, non sans une certaine virtuosité. Chung module le son, le fait respirer, même si l’orgue de la salle du Festspielhaus n’a pas le volume d’un orgue d’auditorium ou d’église, et sans doute en coûte-t-il à l’effet spirituel de la pièce. L’appel à une figure aussi célèbre que Cameron Carpenter ne se justifie peut-être pas musicalement dans les conditions de la salle, mais seulement « médiatiquement ». En tous cas, Chung arrive à bien équilibrer le grandiose final et tout le dernier mouvement, avec une battue tendue et nerveuse, sans forcément jouer sur les volumes, mais en travaillant sur les accents, si bien qu’une énergie évidente se dégage dans le jeu des cuivres, des cordes et de l’orgue, sans que le volume ne soit trop envahissant dans cet équilibre fragile, mais parfaitement dominé.
Au total un concert aux effets contrastés, parfaitement dominé par le chef coréen, qui a su créer dans les deux œuvres un univers, notamment dans le Requiem de Fauré, notamment à cause du jeu entre l’orchestre et le chœur, Saint Saëns est plus spectaculaire et démonstratif, peu intérieur, et plus formel, et Chung s’en est sorti avec la manière qui a très agréablement surpris dans un programme que le public, qui ne remplissait pas toutes les travées de la salle, a accueilli avec enthousiasme.

 

Le lendemain, autre chef et tout autre univers. Franz Welser-Möst dirigeait la neuvième symphonie de Mahler, du démonstratif un peu superficiel de Saint Saëns on passait à un univers symphonique beaucoup plus ressenti, plus intérieur et plus lacérant.
Franz Welser-Möst n’a pas la réputation d’être un chef pénétré de l’intérieur par un discours sur l’œuvre, mais plutôt un remarquable technicien des orchestres, un excellent metteur en son.

La neuvième de Mahler est une symphonie qui est à la fois un adieu résigné, mais aussi une volonté de revenir sur les joies d’antan, sans réussir jamais à évoquer une joie qui soit pleine et sans arrière-pensée, la joie est amère et la danse est grotesque. La question de la fin est implicite pendant toute l’œuvre et même traverse la musique de Mahler depuis les Kindertotenlieder.
Franz Welser Möst n’installe pas de couleur nostalgique au début de l’œuvre mais avec un tempo soutenu et un son clair, il travaille les jeux de contraste et les échos, avec une rare précision et une très grande clarté, c’est une option très proche de la partition, dont il révèle chaque élément. Mais il ne faut pas s’y plonger en y cherchant une quelconque nostalgie, non que cette interprétation soit froide, ou indifférente, mais disons qu’elle se fie à la musique sans surjouer. C’est impeccable techniquement, mais c’est peu sensible.
Les deux mouvements centraux du coup accentuent une sorte de joie grinçante, et les aspects grotesques, avec un vrai rythme et des accents presque vigoureux qui font contraste avec la douceur avec laquelle il conduit le dernier mouvement, réellement marqué par une nostalgie et une tristesse évidentes, mais les dernières mesures restent trop appuyées, et n’ont pas cette évanescence à laquelle on est habitué. C’est une prise de position assumée, qui laisse un peu déçu les tenants d’un Mahler sensible, mais on ne peut nier que la construction, l’approche ait du relief, et que l’orchestre réponde parfaitement (les cordes notamment sont exceptionnelles). Une soirée qui nous montre un Mahler autre, qui n’est pas le nôtre, mais qui est tout à fait digne d’intérêt, au nom de l’exploration de terres inconnues.
Le dernier concert était dirigé par Christian Thielemann et proposait un programme Mozart Bruckner, le concerto n°21 en ut majeur KV 467 de Mozart et la Symphonie n°4 de Bruckner « Romantique » en mi bémol majeur. Le Mozart de Thielemann sonne « classique », presque beethovénien quelquefois, et Daniil Trifonov, le surdoué, saisit l’occasion d’un jeu d’une technicité et d’une facilité déconcertante, très souple, au toucher quelquefois marqué, mais assez séduisant. On a pu entendre un Mozart plus inspiré et plus intérieur, mais il reste indéniablement raffiné et particulièrement frais, du côté du soliste comme du chef.
Puis l’un des monuments d’un auteur des plus familiers du chef, la symphonie n°4 de Bruckner, exécutée dans la version 1880 (on dit en général 1878–1880) avec une précision toute particulière, mettant en exergue certains pupitres-phare de la Staatskapelle comme les cors (premier cor magnifique), ou la première flûte vraiment exceptionnelle : une exécution monumentale, dans la grande tradition germanique, avec un soin tout particulier à exalter les couleurs. Les cordes particulièrement éblouissantes dans le trémolo initial ne cesseront pas d’éblouir, sans toujours d’ailleurs émouvoir. Mais c’est l’occasion de constater combien Thielemann sait exalter le corps de l’orchestre et en tirer une substance sonore riche et profonde ; dans ce type de répertoire, Thielemann reste une référence, en gardant un tempo « nicht zu schnell » comme dit la partition, mais sans lourdeur, ni même être trop démonstratif. Mais ce soir le public a agacé le Maestro tout particulièrement, ce qui a pu nuire à la concentration du public, il a d’abord tiré un mouchoir de sa poche pour faire cesser une toux persistante, une parmi tant d’autres dans ce public pour partie chenu, pour partie souffrant. Et puis deux dignes vieilles dames se sont échappées peu avant la fin, il s’est retourné, les a regardées, et a attendu qu’elles s’approchassent de la porte pour reprendre. Si on va à Salzbourg, Mesdames, il faut supporter jusqu’au bout, c’est la moindre des choses.

 

Avatar photo
Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.
Article précédentNostalgie d'un Salzbourg perdu
Article suivantLa pie sérieuse

Autres articles

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire !
S'il vous plaît entrez votre nom ici