Soudain l’été dernier de Tennessee WILLIAMS (1911 – 1983)

Mise en scène : Stéphane Braunschweig

avec Jean-Baptiste Anoumon, Océane Cairaty, Virginie Colemyn,
Boutaïna El Fekkak, Glenn Marausse, Luce Mouchel, Marie Rémond

Traduction Jean-Michel Déprats, Marie-Claire Pasquier

Collaboration artistique Anne-Françoise Benhamou
Collaboration à la scénographie Alexandre de Dardel
Assistante à la scénographie Lisetta Buccellato
Costumes Thibault Vancraenenbroeck
Lumière Marion Hewlett
Son Xavier Jacquot
Vidéo François Gestin
Assistante à la mise en scène Amélie Énon
Production Odéon-Théâtre de l’Europe

Odéon-Théâtre de l'Europe, 21 mars 2017

Stéphane Braunschweig explore pour la première fois les espaces étouffants de Tennessee Williams, enfermant ses personnages dans la prison verte d'un jardin infernal, sorte de huis clos en serre, où se révèlent les gens, leurs fantasmes mais aussi la réalité du monde.

« Je sais que c’est une histoire épouvantable, mais c’est une histoire vraie de notre époque et du monde où nous vivons » s’inquiète Catherine, un des personnages. On aurait du mal à la contredire.

C’est une étrange greffe végétale qui semble avoir pris sur le plateau de l’Odéon-Théâtre de l’Europe. Délocalisation – polémique – des serres d’Auteuil ? Prolongement des Grandes Serres du jardin des plantes ? Non. Juste l’Eden-reliquaire d’un poète mégalo, Sébastien, disparu dans d’étranges circonstances l’été dernier à Cabeza de Lobo, en Espagne. C’est par ce choc visuel, ce vert qui ripoline la scène, que le metteur en scène, Stéphane Braunschweig, accueille les spectateurs dans son adaptation (sa première mise en scène en tant que directeur de l’Odéon) de Soudain l’été dernier de Tennessee Williams. L’écrivain américain, déjà célèbre pour ses pièces précédentes, La Ménagerie de Verre (1944), Un Tramway Nommé Désir (1947) ou La Chatte sur un Toit Brûlant (1955), proposait une description très précise de ce cocon utérin avec lianes ombilicales : « Un jardin fantastique, sorte de jungle ou de forêt tropicale, évocateur de l’âge préhistorique des fougères arborescentes, d’un temps où chez les bêtes s’opérait la transformation des nageoires en pattes, des carapaces d’écaille en peau. Les couleurs de ce jardin-jungle sont violentes, d’autant plus qu’elles brillent après la pluie dans la vapeur que fait monter la grande chaleur. Certains arbres portent d’énormes fleurs, semblables à des organes arrachés à un corps et encore luisants de sang frais. On entend des cris rauques, des sifflements stridents, des bruits de choc, comme si le jardin était peuplé de bêtes, de serpents et d’oiseaux d’une extrême férocité. »

Stéphane Braunschweig fait de cet enfer vert, sonorisé de cris d’oiseaux inquiétants, une prison. Au sens littéral du terme lorsque les cloisons capitonnées enserrent le jardin pour la troisième partie. Y déambule (ou plutôt y roule en fauteuil), Mrs Violet Venable (Luce MOUCHEL), la mère de Sébastien, sorte de harpie inquiétante qui tente de laver le souvenir de son fils mis à mal par le récit insolite de la cousine, Catherine (Marie REMOND), internée depuis ce fameux épisode dans la station balnéaire espagnole. A son bras, le Docteur ès-lobotomie Sugar ((Dr Cukrowicz)), vertueusement intéressé par l’argent de la vielle pour financer ses recherches et que (j’ai un doute) Violet aimerait bien voir manier son bistouri, prête, dans sa grande générosité, à lui proposer de l’argent mais aussi un cobaye au cerveau dérangé, Catherine.

Jean-Baptiste Anoumon (Docteur  Cukrowicz, dit Sugar)

En 1957, Tennessee Williams perd ce père qu’il détestait, Cornelius Coffin Williams et entame, en juin, une psychothérapie censée le guérir de son homosexualité. La première de Soudain l’été dernier a lieu à New York en janvier 1958. Cette chronologie n’a rien d’anodine quand on analyse les thèmes abordés. On retrouve bien évidemment la figure de la sœur martyre qui renvoie à Rose, la sœur lobotomisée de l’écrivain. L’homosexualité refoulée ou dissimulée, jusqu’à l’utilisation du prénom, Sebastian/Sébastien, renvoyant au mythe sacrificiel de saint Sébastien, une des iconographies gays par excellence. Le magma psycho-sociologique propre, aussi, à cette époque qui s’enthousiasmait des dernières avancées de la psychanalyse bien qu’aujourd’hui, Soudain l’été dernier et son sérum de vérité, s’apparentent plus à de la psychologie pour les nuls à la manière d’un Alfred Hitchcock dans la Maison du Docteur Edwards (1945). Mais le thème central reste les rapports contrariés mère-fils. « Un critique perspicace a observé que le véritable thème de mon œuvre théâtrale est l’inceste » confessait Tennessee Williams dans ses mémoires d’un vieux crocodile (1975). L’inceste innerve toutes les relations de Soudain l’été dernier. L’amour, consommé par procuration entre la mère, rabatteuse à ses heures perdues, et son fils ou entre Sébastien et Catherine, dans ce Sud intolérant, pétri de préjugés, qui hiérarchise et catégorise, si souvent dépeint par Tennessee Williams. D’ailleurs Stéphane Braunschweig joue avec les codes de l’auteur et de cette Nouvelle-Orléans ségrégationniste en distribuant le rôle du Docteur Sugar à un comédien noir, Jean-Baptiste Anoumon, excellant dans la réitération et convaincant d’incrédulité dans le rôle du scientifique réitérateur accoucheur de vérité.

« Qu’est-ce que ça veut dire, être un écrivain ?, se questionnait l’auteur de la Nuit de l’Iguane (1961), Je dirais volontiers : c’est être libre ». La liberté est bien un sentiment qui se dérobe aux personnages de Soudain l’été dernier. Catherine, chaperonnée par sa bonne sœur (Boutaïna EL FEKKAK), en est tout bonnement privée. Violet, carburant au daiquiri frappé servi par sa domestique (Océane CAIRATY), est calfeutrée dans son jardin et dans le souvenir immaculé et messianique de son fils. Tandis que les existences de la mère (Virginie COLEMYN) et du frère (Glenn MARAUSSE) de Catherine ne tiennent qu’à la philanthropie toute… Vénale de Mrs Venable.

C’est une pièce du verbe, bavarde comme toutes les créations de Tennessee Williams, une pièce de la frime pour les deux actrices qui jouent Violet et Catherine. A ce petit jeu Marie REMOND et Luce MOUCHEL s’en tirent plutôt bien même si l’on garde en tête les interprétations vibrantes et incarnées de Montgomery CLIFT et sa gueule cabossée post-accident de voiture, d’Elizabeth TAYLOR et de Katherine HEPBURN dans l’adaptation (1959) de Joseph L. Mankiewicz. Cette dernière, exaltée, extravagante, délicieusement démente, arrivait par petites touches successives à nous faire croire que Violet déniait totalement et inconsciemment la sexualité et la mort de son fils. Finalement la folle n’était pas celle que l’on croyait. Luce MOUCHEL offre une Mrs Venable à la diction affectée, plus terre à terre et inflexible, qui ne semble jamais dupe des intentions et des penchants de Sébastien et qui souhaite seulement étouffer la vérité pour préserver les apparences. Marie REMOND, même s’il lui manque cette couleur glamour qui justifierait la densité vamp de Catherine, excelle dans ces monologues nerveux où son débit mitraillette dévoile l’impensable tout en en préservant le mystère. Tennessee Williams ne goûtait guère (à) l’adaptation cinématographique de Mankiewicz qui levait le voile sur la mort allégorique de Sébastien, en en faisant explicitement le festin nu de ces Olvidados de Cabeza de Lobo (dans les ruines d’un temple païen au cas où le hurlant « It looked as if – as if they had devoured him ! » d’Elizabeth Taylor n’était pas assez signifiant). Stéphane Braunschweig, habitué des émois sentimentaux et symboliques des personnages des auteurs nordiques comme Henrik Ibsen, respecte les zones d’ombre de la pièce. Dans le film, la confession finale d’Elizabeth Taylor la libère de la folie et de l’internement. Ici, Marie Rémond s’éloigne sans que l’on sache si elle est guérie ou pas, si l’histoire crachée est le fruit avarié de ses « visions » ou le récit exact de cette après-midi chaude et blanche à Cabeza de Lobo.

Virginie Colemyn  (Mrs Holly), Marie Rémond (Catherine Holly), Glenn Marausse (Georges Holly)

L’actrice Silvia Monfort qui interprétait Catherine en 1965, remarquait (citée dans le Tennessee Williams de Jeanne Fayard) : « Chez Williams, rien n’est abstrait, les personnages sont toujours incarnés et tout est symbolique ». Tennessee Williams se livrait aussi, par ce théâtre de la chair, à une critique allégorique des pays riches exploiteurs (notamment le sien) et de la société américaine. Tout y est prédation dans cet état de nature organique et sous les auspices de ce Dieu cruel auquel s’identifie Sébastien : des plantes insectivores du jardin aux tortues de mer dévorées par les oiseaux carnassiers qui répondent, par un jeu de miroirs, au mercantilisme des corps auquel se livrait Sébastien et qui se retournera contre lui. « Je sais que c’est une histoire épouvantable, mais c’est une histoire vraie de notre époque et du monde où nous vivons » s’inquiète Catherine. On aurait du mal à la contredire.

 

Florent Oumehdi
Diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques d’Aix-en-Provence, il sillonne depuis son installation à Paris, en 2007, les cinémas de quartier, les théâtres et les salles de concert de la capitale. Journaliste depuis 2009, jonglant entre l’écrit, le son et la vidéo, il a déjà collaboré avec Modzik ou Arte Radio. Responsable d’une formation en journalisme, organisée par l’Institut National du Sport, de l’Expertise et de la Performance et par le Centre de Formation des Journalistes, il est aussi pigiste régulier pour plusieurs médias dont le groupe l’Equipe et le Routard.

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