Nabucco (1843)
Libretto de Temistocle Solera
Musique de Giuseppe Verdi (1843)

Direction musicale : ДЯДЮРА Микола (Mykola Diadiura)
Mise en scène :  СОЛОВ’ЯНЕНКО Анатолій (Anatoliy Solovianenko)
Scénographie : ЛЕВИТСЬКА Марія (Maria Levytska)
Chef des choeurs:ПЛІШ Богдан (Bogdan Plish)

Nabucco : МЕЛЬНИЧУК Олександр (Aleksandr Mel'nychuk)
Zaccaria : МАГЕРА Сергій (Sergey Magera)
Ismaele : ДИТЮК Валентин (Valentin Dytiuk)
Abigail : МОНАСТИРСЬКА Людмила (Liudmyla Monastyrska)
Fenena : ШВАЧКА Анжеліна (Angelina Shvachka)
Anna : ГОДЛЕВСЬКА Світлана (Svetlana Godlevskaia)
Abdallo : СКОЧЕЛЯС Сергій (Sergey Skochelias)
l Gran Sacerdote di Belo : ТАРАС Богдан (Bogdan Taras)

Orchestre et choeur de l'Opéra National d'Ukraine

Un projet artistique conjoint Ukraine-Italie
Sous le patronage de l'Ambassade d'Italie à Kiev
en partenariat avec l'Istituto Italiano di Cultura – Kiev

Fondazione Luciano Pavarotti
Regione Basilicata
Matera 2019 – Capitale européenne de la culture

 

Opéra de Kiev le 3 mars 2017

L’opéra national d’Ukraine a réalisé en collaboration avec l’Istituto italiano di Cultura en Mars 2016 une production de Nabucco en langue italienne, qui est reprise un an après, avec la participation exceptionnelle de Ludmilla Monasrtyrska dans Abigail. Le hasard a voulu que je "wanderise" à Kiev à ce moment-là, et la participation de la star est loin d’être un cache-misère : la réalisation musicale est d’un bon niveau, avec des solistes et un chœur qui n’ont rien à envier à des théâtres plus en vue en Europe.

L’Opéra National d’Ukraine, fondé en 1867, est installé au théâtre de la ville, reconstruit après un incendie et ouvert en 1901, appelé aujourd’hui Théâtre Taras Shevchenko ((du nom du grand poète ukrainien)), dont l’architecture extérieure (tout comme celle de l’Opéra d’Odessa d’ailleurs) rappelle le Semperoper de Dresde, tandis que l’opéra de Lviv évoquerait plutôt le Palais Garnier. C’est une vaste salle de 1700 places environ, et une compagnie assez prestigieuse de l’Est européen. Il y a indiscutablement une tradition forte en Ukraine, vocale et chorale : en témoignent les artistes ukrainiens présents dans les théâtres internationaux comme le grand Anatoliy Kotscherga, Alexander Tsymbalyuk, Dmitro Popov ou Liudmyla Monastyrska.
Cette production de Nabucco a un an, et à la création, Liudmyla Monastyrska donnait la réplique au Zaccaria de Riccardo Zanellato, invité pour l’occasion. La distribution est cette fois entièrement ukrainienne, et la représentation en italien.
La mise en scène confiée au metteur en scène maison (Anatoliy Solovianenko) n’est pas particulièrement novatrice, même si les décors (eux aussi confiés à la scénographe maison Maria Levytska) sont stylisés, plutôt sobres, avec des lignes relativement contemporaines. Les costumes assez riches sont en revanche plutôt chargés « à l’assyrienne », notamment certains prêtres. Du côté de la direction d’acteur, elle reste assez frustre, laissant plutôt les chanteurs livrés à eux-mêmes avec leurs gestes usuels. Au total elle n’est pas beaucoup moins intéressante et tout aussi creuse que ce que faisait Roberto de Simone à la Scala en 1986, ou ce qu’on voit encore aujourd’hui dans bien des théâtres y compris au MET et au Lyric Opera de Chicago :  le débat sur la mise en scène à l’opéra, ouvert dès les années 50 avec Wieland Wagner, est plus sensible en Europe occidentale qu’ailleurs.

Ce qui en revanche frappe, c’est l’absence totale de travail sur les mouvements du chœur. S’il y a une évolution dans la mise en scène aujourd'hui, qui touche aussi bien les mise en scènes "modernes" que "traditionnelles", c’est bien le travail sur le chœur qui la marque, des metteurs en scène devenus « classiques » comme Peter Stein démontrent une grande capacité à gérer les mouvements de foule, on pourrait dire de même pour Harry Kupfer car la gestion des mouvements du chœur commence dans les années 70 ou 80. Il s’agit de gérer un équilibre fragile entre le nécessaire contact/regard avec le chef de chœur ou le chef d’orchestre et l’apparent désordre des mouvements et la mobilité exigée par le réalisme de certaines scènes. À ce titre, le travail sur le choeur de Frank Castorf dans l’acte II de Götterdämmerung est prodigieux d’intelligence et c'est souvent le talon d’Achille de certains metteurs en scène d’opéra venus du théâtre , qui constitue un indice bien clair de l’adaptation à l’univers de l’opéra.
Dans ce Nabucco, c’est bien plus la gestion scénique du chœur qu’autre chose qui renvoie la mise en scène au cercle des régies disparues : parfaite symétrie, choristes qui lèvent les bras (le seul geste permis semble-t-il) ou se mettent à genoux, le tout parfaitement en face du chef, comme pour une photo…Ainsi, on nie la part de jeu du chœur (qui dans Nabucco a une part essentielle), et on en fait une masse anonyme et un peu ridicule, cela donne l’impression de quelque chose de suranné et qui fait sourire.
Il en va autrement musicalement où la troupe de l’opéra a démontré sa grande solidité. Un regard rapide du répertoire de la maison et de la programmation montre d’ailleurs que le grand répertoire italien est bien présent à Kiev. Mais dans le cas de Nabucco et plus généralement du premier Verdi (on dit aussi « jeune » Verdi), c’est moins vrai, car c'est un répertoire exigeant pour les chanteurs, mais aussi pour l'orchestre à qui il demande une particulière ductilité : dans toutes les salles d’opéras du monde on privilégie souvent les œuvres plus tardives. Pour Nabucco, il faut trouver d’abord un soprano colorature dramatique qui défende le rôle d’Abigail, l’un des plus difficiles du répertoire, au spectre large des graves aux suraigus.
La partie imbécile (et pérenne) du public de Paris avait osé huer une Grace Bumbry superbe dans le rôle (à Garnier en 1979) parce qu’elle n’avait pas tout à fait le format vocal, alors qu’elle avait fait d’Abigail un vrai personnage, d'une incroyable allure ((Rappelons pour mémoire la distribution Sherill Milnes, Ruggero Raimondi, Carlo Cossutta, Viorica Cortez sous la direction de Nello Santi)). C'est aussi à Paris qu'on entendit sans doute la plus grande Abigail des trente dernières années, au volume puissant, à la ductilité vocale prodigieuse, à la personnalité scénique incontestée, l'immense Julia Varady en 1995. Le rôle, presque exclusivement en proie à la fureur impose des voix rares, au volume important, à la tessiture étendue, et aussi à la ductilité notable (type Ghena Dimitrova à la Scala en 1986), et seul le dernier air de repentance (Su me… morente… esanime…discenda il tuo… perdono!...) laisse la place à l’émotion et un certain lyrisme,
Verdi l’oppose à Fenena, mezzosoprano, beaucoup plus modulée, lyrique, qui met l’émotion en avant pendant toute la représentation (un rôle confié selon les moments dans les dernières décennies à une Violeta Urmana, une Laura Polverelli, une Viorica Cortez ou une Luciana D'Intino).
Liudmyla Monastyrska, dont la carrière a débuté à Kiev, est évidemment idéale pour le rôle et l’une de ses interprètes les plus demandées actuellement puisque cette saison par exemple, outre Kiev, elle le chante à New York, Berlin, Munich, après l’avoir chanté à Londres et Milan les saisons précédentes. Ce chant est particulièrement démonstratif : une assurance très marquée, un volume incroyable, une bonne ductilité, même si certaines agilités sont légèrement « savonnées » à l’aigu, et dans l’ensemble une prestation de très haut niveau, avec un beau phrasé et d’incontestables accents. Il reste que cette voix ne m’a jamais convaincu pleinement, non par sa puissance, mais par l’émotion diffusée et le charisme. Certes le rôle n’est pas particulièrement ni sensible ni tendre, mais si la démonstration vocale est impressionnante, aussi bien dans les airs que dans les ensembles, l’incarnation reste extérieure, malgré les derniers moments plutôt réussis. Ceci étant, nous naviguons à un haut niveau.
Face à elle, la Fenena d’Angelina Shvachka est une très belle découverte. La voix est grave, sombre, mais sait monter à l’aigu avec facilité, le volume est important, et la puissance d’émotion marquée : une prestation notable, même si le phrasé et l’émission restent marqués par la tradition slave. C’est une Marina (Boris Godunov), une Konchachovna (Prince Igor) ce doit être une impressionnante Marfa, et c’est une Fenena qui sait émouvoir, tenir le public, avec une présence scénique certaine et une très belle affirmation vocale…Elles sont rares, les mezzosopranos qui réussissent ce pari-là.
Du côté masculin, le Nabucco d’ Aleksandr Mel'nychuk déçoit par un manque singulier de projection et un chant qui reste peu expressif, ainsi qu'une diction quelquefois problématique. Ce qui manque surtout à l’interprétation, c’est un engagement vocal, un sens des accents et de la couleur, et la ductilité, un style en somme. Visiblement, le texte n’est pas vraiment mis en valeur et tout reste un peu monotone, sans véritable personnification du rôle. Et la voix n’a pas beaucoup de puissance pour un rôle qui en exige.
Au contraire, le Zaccaria de Sergey Magera, sans avoir un volume impressionnant et malgré un timbre un peu mat, domine parfaitement la partie de Zaccaria avec une belle présence vocale, une diction acceptable, de beaux accents et une certaine dynamique. Sans problèmes vocaux particuliers, cette voix sans scories n’est jamais prise en défaut et l’ensemble de la prestation est homogène, dans un rôle qui fait partie des grands rôles de basse de Verdi .
Le jeune ténor Valentin Dytiuk, entré dans la troupe depuis peu, est un espoir du chant ukrainien et il ne serait pas étonnant qu’il apparaisse bientôt dans des distributions internationales. C’est celui qui a la diction la plus claire, et qui dit le texte avec la plus grande exactitude Il reste à cette voix à acquérir plus de personnalité. Il y a les notes, il y a moins les intentions et ce qu’il y a derrière les notes, couleur, expression, accents. Mais c’est un artiste à suivre.

Les autres artistes de la distribution, Abdallo (Sergey Skochelias) et Anna (Svetlana Godlevskaia) sont honorables, avec une petite préférence pour le timbre de basse de Bogdan Taras (le Grand prêtre de Baal).
Le chœur de l’Opéra est vraiment somptueux, voix puissantes mais pas seulement, avec une belle manière de moduler et une superbe présence. Le morceau de bravoure,  Va pensiero est vraiment magnifiquement exécuté avec une note finale tenue au-delà de l’éloge.
L’orchestre était dirigé par le directeur musical de l’Opéra, Mykola Dyadiura. Le rendu sonore n’est pas toujours impeccable (la flûte, stridente…), mais la direction est limpide, fait bien entendre les différents niveaux de la partition et différencie les pupitres, l’acoustique très claire de la salle fait le reste. Ce qui manque, c’est surtout une dynamique, un rythme, un tempo, un halètement enfin le son reste plat et souvent uniforme : il y a peu de contrastes dans une musique qui en exige et qui surtout exige des accents, des ruptures de rythmes et de construction, et aussi du lyrisme. C’est exécuté consciencieusement, sans beaucoup de personnalité ni d’invention, ni d’intention. Il faudrait de la ductilité, de la vélocité, des écarts, et de la tension. Tout cela manque un peu de respiration.
Il reste que ce fut quand même une soirée qui montre un bon niveau musical et une troupe solide, devant un public nombreux, varié, souvent jeune, et très participatif. L’Opéra est un art vivant, et l’Opéra National d’Ukraine le défend avec honneur, en dépit de moyens sans doute relativement limités correspondant à l’état économique du pays, il faudra revenir assister à une représentation du répertoire plus idiomatique de la maison, mais ce Nabucco restera un très bon souvenir.

 

 

 

 

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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.
Crédits photo : © К. Панченко (K.Panchenko)
© Unian (Liudmyla Monastyrska)
(Les photos se réfèrent à l'ensemble des artistes affichés dans la production depuis mars 2016)

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