Leonard Bernstein (1918–1990)

Candide

Opéra en deux actes (1956)

Livret de Hugh Wheeler d'après l'oeuvre éponyme de Voltaire
Nouvelle version de John Caird (version du Royal National Theater, 1998)Paroles de Richard Wilbur

Paroles additionnelles de Stephen Sondheim, John Latouche, Lillian Hellman, Dorothy Parker et Léonard Bernstein

Nouvelle production du Théâtre national du Capitole de Toulouse

Coproduction avec le Festival de Glimmerglass et l'Opéra National de Bordeaux

Direction musicale : James Lowe
Mise en scène : Francesca Zambello
Chorégraphie : Eric Sean Fogel
Décors : James Noone
Costumes : Jennifer MoellerLumières : Mark McCullough

Avec :

Andrew Stenson (Candide),
Wynn Harmon (Voltaire / Pangloss),
Ashley Emerson (Cunégonde),
Marietta Simpson (La Duègne),
Christian Bowers (Maximilian / Révérend Père),
Kristen Choi (Paquette),
Cynthia Cook (Vanderdendur / La baronne),
Matthew Scollin (Martin / Jacques),
Andrew Maugham (Cacambo),
Brad Raymond (Le grand Inquisiteur / Le Gouverneur),
Brian Wallin (Le roi d'Eldorado / Un marin),
Cole Francum (Le roi de Bavière / Un homme),
Anthony Schneider (Le Capitaine / Un Inquisiteur / Un seigneur),
Christian Lovato (Don Issacar / Le capitaine),
Laurent Labarbe (Le Baron / Un Inquisiteur),
Isabelle Antoine, Judith Paimblanc (Moutons)

Orchestre national du Capitole

Théâtre national du Capitole de Toulouse, 29 décembre 2016

Œuvre souvent trop rare sous nos latitudes, le Candide de Leonard Bernstein traduit la philosophie voltairienne en ironie bien chantante. La coproduction new-yorkaise du Festival de Glimmerglass fait escale au Théâtre du Capitole avant de poursuivre sa route en janvier au Grand Théâtre de Bordeaux. La mise en scène de Francesca Zambello donne à lire  la partition de Bernstein à la lumière d'un classicisme bon teint mais qui n'entame en rien l'énergie et le brio de cet objet-trouvé musical.

De l'aveu même de Leonard Bernstein, Candide est une œuvre inclassable. Affublée par commodité du titre d'opérette ou d'opéra comique, elle s'adapte aussi bien aux exigences de programmation d'une maison d'opéra qu'à des salles dédiées au genre léger. La partition assemble brillamment un flux musical vif-argent et burlesque, qui court le long d'un livret où culmine un art consommé du faux bond narratif et des apparences. Œuvre inclassable et inclassable livret : Voltaire sous-titre "Conte philosophique" les aventures édifiantes d'un héros qu'une postérité littéraire méritée fera entrer dans le dictionnaire des noms communs. Trop peu féérique pour mériter le titre de "conte" ou de "fable", Candide n'est qu'indirectement "philosophique" dans la mesure où les leçons métaphysico-théologico-cosmologico-panologiques du philosophe Pangloss sont tournées en dérision par l'enchaînement des faits et des péripéties. On pourrait peut-être penser à un roman picaresque mais Candide n'a que peu à voir avec le picaro sans foi ni loi et la quête chevaleresque débouchera en réalité sur une bien-aimée portant les stigmates de cette longue suite de déboires rocambolesques. Roman d'éducation alors ? Mais que dire alors de cet "optimisme" érigé en dogme par Pangloss et recette du bonheur de cette petite communauté de naïfs ? Ramant à contre-courant d'une avalanche de malheurs, cette éducation en négatif fera découvrir par hasard à Candide les vertus du "cultiver son jardin"… En conclusion : tout va mal qui finit bien.

Le contexte historique explique en partie le fait que Léonard Bernstein se soit intéressé au chef d'œuvre de Voltaire. Pour conjurer la paranoïa maccarthyste, la dramaturge Lillian Hellman lui suggère l'idée de monter Candide. L'œuvre se prête idéalement à cette volonté d'adresser un pied de nez aux puritains et inquisiteurs modernes. La composition verra le jour en 1956 (soit un an avant West Side Story), mais Bernstein n'aura de cesse de remettre sur le métier une œuvre enregistrée tardivement et qui continuera d'évoluer après sa mort en 1990. Le Théâtre du Capitole de Toulouse coproduit avec le Grand Théâtre de Bordeaux une version donnée l'an dernier au Festival de Glimmerglass à New-York – version créée en 1998 par John Caird pour le Royal National Theatre. La méticulosité musicologique ne parvient pas pour autant à alléger un livret souvent verbeux et narratif, conséquence d'un respect trop scrupuleux du texte de Voltaire mais aux antipodes des exigences d'un ouvrage lyrique. L'abondance des chapitres ralentit l'impact de certaines scènes et amoindrit la portée initiale du propos philosophique de Voltaire. En témoigne par exemple, l'inutile et inaudible nègre du Surinam ou, à l'inverse, l'absence du Derviche sans lequel le fameux "jardin" demeure bien énigmatique. La logique musicale finit heureusement par l'emporter, notamment par la flexibilité virtuose de l'écriture de Bernstein, capable de fixer en quelques notes les bases d'un air qui font chavirer de bonheur une salle enthousiaste.

La mise en scène de Francesca Zambello ne cherche pas au-delà d'un théâtre de tréteaux la dimension esthétique d'un Candide embourbé visuellement dans des décors façon carte postale signés James Noone. À la simplicité des déplacements et des changements à vue, elle ajoute les ficelles de la suggestion théâtrale qui font d'une table et d'un drap, un navire voguant sur les océans, un ciel exotique ou un château en Westphalie. Candide candeur d'un spectacle à l'efficacité indéniable mais qui porte son lot de déjà-vu et de conventions alla Gilbert et Sullivan. Le plateau vocal porte haut l'enthousiasme et la jeunesse d'une troupe de chanteurs qui font leurs premiers pas sur une scène européenne. Annoncé souffrant, Andrew Stenson assure néanmoins toutes les parties parlées et cède la place à Andrew Maugham qui réalise la performance de chanter à la fois Candide et Cacambo. À l'exception de quelques rôles isolés parmi lesquels Matthew Scollin (Jacques l'Anabaptiste et Martin le Pessimiste) ou Cynthia Cook en Vanderdendur, il règne sur cette soirée un parfum délétère de précaution et de contrôle. La Cunégonde d'Ashley Emerson court après ses notes dans le redoutable "Glitter and be gay", tandis que ni Marietta Simpson en Duègne, ni Christian Bowers en Maximilian et Révérend père, ne font pétiller une ligne de chant maintenue en-deçà du nécessaire. L'acteur Wynn Harmon (Pangloss/Voltaire) alterne déclamation hors d'âge et timbre sans charme. La Paquette de Kristen Choi rattrape en partie les déceptions évoquées plus haut. James Lowe tient la bride haute à un orchestre du Capitole qui semble jouer dans ses petits chaussons une musique qui ne demande qu'à déborder et à exploser. L'enthousiasme se heurte à une carrure rythmique trop motorique pour faire illusion mais qui présente l'avantage non négligeable de garder bien en vue une ligne de crête mélodique pleine de chausse-trappes et de morceaux de bravoure.

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David Verdier
David Verdier Diplômé en musicologie et lettres modernes à l'université de Provence, il vit et enseigne à Paris. Collabore à plusieurs revues dont les Cahiers Critiques de Poésie et la revue Europe où il étudie le lien entre littérature et musique contemporaine. Rédacteur auprès de Scènes magazine Genève et Dissonance (Bâle), il fait partie des co-fondateurs du site wanderersite.com, consacré à l'actualité musicale et lyrique, ainsi qu'au théâtre et les arts de la scène.
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