The Fairy Queen (1692)
Henry Purcell (1659–1695)
Semi-opéra en 5 acte

Version de concert

Orchestre : Les Nouveaux Caractères
Dir.mus : Sébastien d’Hérin

 

Avec :

Caroline Mutel, Virginie Pochon, Hjördis Thébault, sopranos
Caitlin Hulcup, mezzosoprano
Christophe Baska, Alto
Samuel Boden, Anders J.Dahlin, Julien Picard, ténors
Guillaume Andrieux, Kevin Greenlaw, Ronan Nédélec

Abbatiale d'Ambronay, le 24 septembre 2016

Après Tamerlano de Haendel le week end précédent, le Festival d'Ambronay, dans une abbatiale pleine à craquer, propose The Fairy Queen de Purcell, dans une version de concert qui peut-être ne convient pas à la féerie shakespearienne, malgré les nombreux numéros orchestraux qui en font un semi-opéra.

 

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Sébastien d'Hérin swingue…

Il faut une certaine hardiesse à Daniel Bizeray, le talentueux directeur du Festival, pour oser The Fairy Queen sans la féérie (le mot fairy et le mot féérie sont les mêmes) car c’est bien le spectacle du merveilleux scénique qui devait accompagner cette musique conçue à l’origine pour s’insérer entre les dialogues de la pièce de Shakespeare The Midsummer’s Night’s Dream (le Songe d’une nuit d’été), l’un des succès du dramaturge anglais jamais démenti depuis sa création, avec ses nombreuses adaptations musicales dont The Fairy Queen fut la première. Inutile de rentrer dans les détails complexes de la composition, des reprises, des remords, des transformations qui vont finalement aboutir à un semi-opéra qui est une sorte de variation sur l’original shakespearien. Semi-opéra parce que les morceaux orchestraux sont à peu près aussi importants et nombreux que les entrées chantées, et le genre fait un peu penser à la tragédie-ballet française ; il est vrai que la tradition anglaise oscille entre la France, grandiose et formelle, et l’Italie, toujours plus souple et peut-être plus inventive. Il faudrait sans doute la scène pour rendre pleine justice à cette musique
Il faut une certaine hardiesse pour faire entrer cette musique un peu païenne, avec ses fées et ses allégories, dans l’architecture austère de l’abbatiale d’Ambronay : on rêve d’une mise en scène jouant avec les ogives et les colonnes, avec ses héros dissimulés derrière des piliers ou jouant avec l’architecture du cloître. Mais non, l’orchestre est là, bien sagement installé entre trois rangs de public distribué dans le chœur et devant une nef archi-comble pour un concert traditionnel, là où l’on rêve de voir descendre Puck des voûtes ou courir entre les sièges.
Sébastien d’Hérin et son orchestre Les Nouveaux Caractères promènent The Fairy Queen de théâtre en théâtre depuis longtemps et s’arrêtent le temps d’un soir à Ambronay pour faire de la féérie scénique une féerie seulement mais pleinement musicale, avec une troupe de chanteurs pris singulièrement plutôt comme voix que personnages et collectivement comme chœur, avec quelques petites libertés dans l’utilisation des voix et leur adéquation aux personnages. On ne saura pas si le choix d’anonymer la troupe de chanteurs (aucun rôle n’est affecté à un chanteur sur le papier, et les chanteurs dans le programme sont définis par leurs voix) est dû à une mise en scène existante ou au choix spécifique du concert.
Ces réserves de départ n’effacent en rien le plaisir à retrouver une musique vive, rythmée, qui sait aussi allier des moments élégiaques et presque nostalgiques et des moments particulièrement dansants. Le monde de Shakespeare n’est jamais uniforme, il porte en lui la diversité du monde et des hommes et c’est justement ce que la musique doit relayer. Le Songe d’une nuit d’été est une œuvre que le monde musical depuis Purcell a su adapter et utiliser, soit à l’opéra (on compte au moins trois titres majeurs, The Fairy Queen, Oberon de Weber un peu plus rare aujourd’hui  et The midsummer Night’s dream de Britten qu’on voit depuis des années sur toutes les scènes mais il y a aussi Le Songe d’une nuit d’été (1850) d’Ambroise Thomas bien oublié aujourd’hui, ainsi que des ballets et des comédies musicales. C’est une de ces œuvres particulièrement plastiques qui peut s’adapter à tous les styles, et à tous les lieux.

La manière de diriger de Sébastien d’Hérin, plutôt détendue, indiquant les rythmes comme le ferait un chef de variété, fait gamberger en moi cette idée de comédie musicale. C’était bien d’ailleurs le propos initial d’intercaler des musiques entre les parties parlées du texte de Shakespeare, et sans les coupures qui la réduisent à environ 1h40, l’œuvre durerait plusieurs heures entre parties parlées, chantées, et strictement musicales. La relation au spectacle que les spectateurs du Dorset Garden Theater à la création devait avoir quelque chose de notre relation à la comédie musicale, avec des solistes d’orchestre (trompette etc..) valorisés, plus sans doute que notre relation assez compassée au monde de l’opéra.
Alors ça swingue un peu, c’est vif, c’est allant, c’est toujours sur un mode égal, mezzoforte, et il manque sans aucun doute dans cette approche quelque chose de plus mélancolique, quelque chose de plus élégiaque. Il y a des moments plus apaisés (l’apparitions des allégories, la Nuit, le Mystère) mais le son le rythme, le volume ne sont pas vraiment contrastés et font que la musique semble sonner toujours sur le même mode, scène après scène. Il est possible que la version de concert impose peut-être de tenir l’attention du public par une tension musicale continue, mais le caractère de la pièce de Shakespeare est si pluriel, entre magie, élégie, farce, que ces différences semblent effacées par une sorte d’uniformité interprétative, et un certain manque de subtilité quelquefois.
L’orchestre répond bien aux sollicitations, avec des solistes de très grande qualité (remarquable timbalier, excellents violoncellistes et altistes).
Du côté des solistes, – qui font aussi chœur- une très grande diversité, y compris de style et d’approche, l’ensemble étant de bonne qualité, peut-être plus homogène du côté des femmes que des hommes.

Caroline Mutel, à la ville épouse de Sébastien d’Hérin est une voix de soprano bien contrôlée, avec une jolie ligne de chant un aigu large, et un timbre chaleureux…Mais la disposition des chanteurs, derrière le chef au clavecin a occasionné quelques problèmes de tempo et de mesure dans un air, et l’on peut regretter chez elle une certaine froideur dans l’interprétation au demeurant formellement satisfaisante. La mezzo australienne Caitlin Hulcup, évidemment à l’aise avec ce répertoire est peut-être la plus expressive, avec une voix fraiche, bien contrôlée, et de jolies subtilités vocales tandis que Hjördis Thébault complète avec élégance la distribution (joli duo féminin dans la scène finale).

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Virginie Pochon

On peut regretter enfin que Virginie Pochon, si musicale habituellement ne fasse qu’une brève apparition, marquée, et bien trop courte pour que puissent s’exposer ses qualités.
Du côté masculin, les deux ténors Samuel Boden et Anders J.Dahlin sont particulièrement convaincants : l’un a le raffinement, l’élégance élégiaque (Dahlin) la subtilité, voire la fragilité sensible, l’autre (le britannique Samuel Boden) est dans son répertoire national : sa voix lyrique, le contrôle du texte, très attentif, l’absence bienvenue de maniérismes, tout cela donne un prestation particulièrement remarquée avec une vraie présence vocale. Julien Picard complète honorablement le groupe des ténors, tandis que Christophe Baska, contreténor, a une voix légèrement instable (Mystery) qui ne réussit pas à convaincre…
Parmi les barytons, (Guillaume Andrieux, Kevin Greenlow et Ronan Nédélec), si Ronan Nédélec fait une trop brève apparition, c’est Guillaume Andrieux avec son timbre chaud, sa voix bien posée et projetée, l’incontestable élégance du chant et la sûreté de la ligne, qui m’a vraiment convaincu. Kevin Greenlow a une voix plus claire, sonnant presque quelquefois « baryténor », et les qualités particulières aux chanteurs britanniques qui savent dire le texte et le défendre, particulièrement attentifs à la sculpture des mots, sans jamais surjouer ou surchanter dans une sorte de volonté de démonstration…Le chant à mesure qu’on avance dans l’œuvre est de plus en plus affirmé et élégant.
Au total, triomphe du public pour une soirée séduisante, aux incontestables qualités musicales, mais qui laisse un petit goût d’inachevé : si Purcell est bien là, il ne l’est pas dans toutes ses nuances et sa richesse. Il reste qu’Ambronay est toujours ce lieu d’une rare séduction qui de chaque soirée une vraie soirée charmeuse.

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Anders J Dahlin et Samuel Boden
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Guy Cherqui
Agrégé de Lettres, inspecteur pédagogique régional honoraire, Guy Cherqui « Le Wanderer » se promène depuis une cinquantaine d’années dans les théâtres et les festivals européens, Bayreuth depuis 1977, Salzbourg depuis 1979. Bouleversé par la production du Ring de Chéreau et Boulez à Bayreuth, vue sept fois, il défend depuis avec ardeur les mises en scènes dramaturgiques qui donnent au spectacle lyrique une plus-value. Fondateur avec David Verdier, Romain Jordan et Ronald Asmar du site Wanderersite.com, Il travaille aussi pour les revues Platea Magazine à Madrid, Opernwelt à Berlin. Il est l’auteur avec David Verdier de l’ouvrage Castorf-Ring-Bayreuth 2013–2017 paru aux éditions La Pommerie qui est la seule analyse parue à ce jour de cette production.
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